Cracks : Interview de la réalisatrice Jordan Scott

Cracks : Interview de la réalisatrice Jordan Scott

Interview accordée au site rainbownetwork.com le 04 Décembre 2009

Cela faisait longtemps que Jordan Scott désirait réaliser des longs métrages – le tout était de trouver le bon support. Lorsque Cracks s’est présenté, elle a su qu’elle tenait le script qu’elle attendait.

Situé dans un austère pensionnat de jeunes filles, Cracks relate la sombre histoire d’une envoûtante professeure entretenant une relation avec une de ses élèves. Nous nous sommes entretenus avec Jordan Scott afin d’en découvrir davantage.

Avez-vous d’abord lu le script ou le livre ?

On m’a donné le script à lire. Il est légèrement différent du roman. Dans le livre, l’histoire se déroule en Afrique du Sud dans les années 60 et le personnage principal, Miss G, est très différente – beaucoup plus extrême.

Le troisième personnage réellement important est Di, jouée par Juno Temple, qui est obsédée par Miss G. Je pense que Miss G représente tout pour ces filles. Si elles voient en elle une grande sœur, alors c’est le rôle qu’elle joue. Elle peut aussi être une mère pour certaines d’entre elles, ou leur meilleure amie. Mais pour Di, je pense qu’elle est à la fois la grande sœur, la meilleure amie et le gourou. Elle représente tout pour elle et ça reflète tout à fait l’idée du béguin platonique d’écolière.

Les adolescentes tissent des liens très intenses, qui sont amplifiés par le fait d’être en pensionnat, n’est-ce  pas ?

Oui, c’est multiplié par 100. Vous devez à la fois protéger votre bonheur et défendre votre place dans la foulée. De plus, tout dans la vie de Di est articulé autour de cette femme, Miss G. Il en est de même pour toutes les filles parce qu’elles sont toutes extrêmement jeunes, leurs pères sont officiers dans l’armée et dans les faits, elles ont toutes été abandonnées pour une raison ou une autre. Donc Miss G endosse le rôle de tous ces membres de la famille qui sont absents.

Di l’idolâtre totalement et elle a toute son attention parce qu’elle est la capitaine de l’équipe de plongeon et d’une certaine façon, Miss G se reconnaît en grande partie dans cette fille. Du moins, jusqu’à ce qu’une nouvelle fasse son entrée à l’école. Ce que nous commençons à comprendre concernant Miss G, c’est qu’elle est complètement narcissique et qu’en fait, il n’est pas question de ces filles : tout tourne autour d’elle.

Lorsque Fiamma fait son entrée, l’univers tout entier de Di est menacé et complètement ébranlé. Elle prend conscience que Fiamma est meilleure qu’elle en tout point, sans faire d’efforts qui plus est. Elle peut surpasser Di dans tous les domaines. De plus, cette dernière va être remplacée et va descendre d’une marche dans la hiérarchie, donc elle doit faire ce qu’il faut pour se protéger.

Visuellement, le plongeon est une image saisissante pour un réalisateur. Et bien sûr, cela symbolise la liberté.

Oh oui, c’est un rendu fantastique. Les filles que nous avons engagées comme doublures pour les plongeons ont été incroyables. J’ai aimé ce que la nage et le plongeon représentaient – l’instant où elles étaient en total contrôle d’elles-mêmes, fortes et fantastiquement expressives.

Vous-même, êtes-vous allée en pension ?

Non, je suis allée dans un externat.

Mais reconnaissez-vous la dynamique qui unit les filles ?

Oui, absolument. Je suis allée dans une école non mixte. Vous retrouvez cette dynamique dans toutes les écoles, mais particulièrement dans les écoles de filles. Vous vivez et ressentez chaque instant avec les mêmes personnes. C’est toute votre vie. Et quand il s’agit de filles, ces relations sont tellement plus intenses – elles y accordent tellement plus de poids et d’importance. Donc si vous vous sentez même vaguement rejetée ou  chassée, étrangère à vos pairs, cela peut être ravageur.

L’école a-t-elle été une bonne expérience pour vous ?

J’ai trouvé ça assez dur. Tout ce qui a un quelconque rapport avec les institutions m’effraie. Mais j’étais dans une bonne école. Je m’y suis fait des amis merveilleux. Mais c’était difficile. Personne n’aime vraiment ça, pas vrai? C’est vraiment un environnement étrange.

Pensez-vous que cette expérience soit différente en Angleterre comparée aux autres pays ?

Eh bien, nous campons un peu sur nos traditions. Le système scolaire anglais est tellement sacralisé, en particulier s’agissant des pensionnats.

Parlez-moi de l’actrice, Maria Valverde, qui joue Fiamma. Où l’avez-vous découverte ?

C’est une jeune actrice déjà reconnue en Espagne. Et elle est tout simplement merveilleuse.

Était-il important pour vous de trouver votre Miss G en premier ?

Absolument, parce que les relations sont tellement pointues qu’il devait y avoir un vrai cheminement qui en découle, et Miss G est le point de départ.

Eva Green m’a dit que vous lui aviez écrit à propos du rôle. Donc vous ne l’aviez pas rencontrée lorsque votre père a fait Kingdom of Heaven ? (Le Royaume des Cieux)

Non. Il m’avait dit qu’elle était fantastique mais je ne l’avais jamais rencontrée auparavant.

Pourquoi intituler le film “Cracks” ? Est-ce parce que la façade de Miss G se craquelle ?

On devra peut-être changer le nom parce qu’il a d’autres connotations. [Rires] Mais dans le livre, dans l’Afrique du Sud de l’époque, “crack” signifiait béguin ou passion. Donc ils avaient l’habitude de parler de passions et de coups de cœur, sous-entendu des béguins. Mais effectivement, cela signifie aussi que sa façade se fissure.

Vous avez dû assister à tellement de tournages. Quel est le premier dont vous puissiez vous souvenir ?

Le premier dont je me souviens était Legend en 1985, un des films de mon père. J’y jouais la doublure du personnage principal, la princesse, ce qui pour moi était la chose la plus cool du monde.

Étaient-ce des endroits amusants pour un enfant ?

Oui, c’était toujours une expérience magique, de pénétrer dans un autre monde. Mais à sept ans, c’était ce parfait royaume de contes de fées qui existait sur le plateau de tournage des Pinewood Studios et vous pouvez imaginer combien ils étaient immenses. Il y a avait des séquoias géants et des animaux qui volaient aux alentours. Je pense qu’à l’époque je croyais que cet endroit existait réellement et c’était vraiment excitant. Ça a eu une énorme influence. C’était très impressionnant.

Vous rappelez-vous d’autres films ayant ponctué votre enfance ?

Oui, mais mon père veillait beaucoup à ce que je ne sois pas trop exposée, et j’ai probablement dû être tenue à l’écart de beaucoup de choses, ce dont je me réjouis aujourd’hui. Je ne suis jamais allée à Los Angeles ou quoi que ce soit de ce genre mais si c’était quelque chose comme le tournage de Legend, alors il m’emmenait avec lui.

Mais quand avez-vous commencé à penser que vous pourriez vouloir devenir cinéaste vous-même ?

Eh bien, c’était le domaine d’activité de toute ma famille, donc c’est venu à moi de toute part. Donc assez tôt.

Dans quelle école d’art avez-vous étudié ?

Je suis allée au Art Center de Pasadena en Californie, qui était une très bonne école, mais je ne suis pas allée jusqu’au bout. Ça ne me convenait pas. Tout ce que je voulais c’était sortir de là pour “aller dans les tranchées” quelque part. Je voulais juste trouver du boulot.

À ce moment-là, commenciez-vous à admettre que votre future carrière se ferait dans le cinéma ?

Oui, avant d’intégrer cette école, j’avais travaillé un peu dans des productions de vidéos et de publicités et j’ai commencé à travailler pour le département d’Art. C’est très addictif, donc ça s’est fait comme ça.

Et êtes-vous restée à Los Angeles ?

Oui, je voulais être près de ma famille. Je partageais mon temps entre LA et Londres. Je passais beaucoup de temps à Londres parce que je pense que vous devenez fou sinon. Et quand vous avez autant de membres de votre famille à un endroit, vous voulez y être aussi.

J’ai commencé à travailler côté production et je voulais essayer la réalisation quand la femme pour qui je travaillais m’a dit « Vois si tu peux te trouver une équipe qui accepterait de te prendre et fais donc une vidéo. » Ça s’est fait comme ça.

Et comment c’était de vous retrouver de ce côté de la caméra ?

C’est différent lorsque vous le faites par vous-même. En étant sur de nombreux plateaux de tournage et en voyant les choses depuis le banc de touche, tout vous paraît tellement lisse et civilisé… jusqu’à ce que vous vous asseyiez dans la chaise. [Rires]

Mais pouvoir apprendre sur les traces de l’un des meilleurs réalisateurs du monde a dû être inestimable.

Oui, tout à fait inestimable – avoir une exposition constante et des conseils était très utile.

Cela faisait longtemps que vous pensiez à faire un long métrage ?

Oui, mais je n’ai jamais voulu sauter le pas avant que ce soit absolument parfait – et plus important encore, avec le bon support. Pour votre première fois, vous voulez être sûr que vous faites les choses bien, ou du moins selon vos critères à vous, sinon ce serait perdu d’avance.

Prévoyez-vous de continuer votre carrière dans les films dorénavant ou pensez-vous que vous pourriez retourner à la publicité ?

Les deux ! Le gros avantage avec les publicités, c’est que ça a été pour ainsi dire mon école du cinéma. C’est à travers la publicité que j’ai trouvé ma voie. Je pense que c’est précieux de pouvoir faire des publicités entre deux films ; ça vous garde dans cet esprit parce que c’est formidable d’être sur un plateau et de tourner. Si vous avez une idée folle que vous voulez essayer visuellement, et bien, c’est un excellent endroit pour essayer vos nouvelles idées ou inventions.  

Plus vous aurez fait de films et moins les gens souligneront le fait que vous êtes la fille de Ridley Scott, mais pour le moment, ils vont forcément  faire la remarque. Est-ce que ça vous dérange ?

Pas vraiment, parce que j’entretiens une excellente relation avec mon père et je chéris l’idée de nous deux travaillant ensemble. Je ne crains pas les conséquences ! Je pense également qu’une fois qu’on prend cette décision, on ne doit plus s’en soucier. Ça ne sert à rien, donc c’est un chemin que je n’emprunte pas.

Traduction Magali Pumpkin

Cracks sortira en France le 30 Décembre 2009.

Interview Originale sur le site Rainbownetwork.com

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