Interview accordée à Louis Maury pour le Magazine Têtu
Il y a dix ans, avec Rivière espérance, votre nom est devenu synonyme de série fleuve au succès fleuve ?
C’est vrai qu’il y a un avant et un après Rivière Esperance. J’ai tourné les neuf épisodes, alors que seulement six étaient prévus, dans l’urgence, avec un budget très serré. Et le feuilleton n’a pas été de suite un succès. Pourtant, au fil des épisodes, le miracle s’est produit et un public de plus en plus nombreux nous a suivi. Mais le vrai déclic, ce fut de simple coup de téléphone. Dès le premier épisode, Gérard Depardieu m’appelait pour me dire à quel point il avait aimé la saga. Je ne le connaissais pas. Il a renouvelé cet appel jusqu’au dernier épisode. A la fin, on a alors décidé de travailler en semble sur Monte Cristo. Avec le succès mondial que vous savez…
Vous travaillez souvent sur de grandes sagas historiques. Pensez-vous que ce type de programme soit le bon reflet de l’évolution de la société d’aujourd’hui ?
Je termine Les Rois Maudits qui se passe au Moyen–Age. C’est pourtant une œuvre qui sera très ancrée dans la vision que j’ai de la société d’aujourd’hui. Il y a trente-cinq ans, quand Les Rois Maudits ont été pour la première fois adaptée à la télé, la société était plus frivole, plus jouissive, plus inconsciente. On surfait sur le plaisir immédiat. Cela s’est ressenti dans le traitement de cette histoire, à la fois féroce et légère. Dans ma version à moi, au milieu des guerres, de la violence de notre époque, mes rois Maudits sont plus violents, plus sauvages, plus durs. Voilà comment j’interprète l’air du temps.
Depardieu, Deneuve, Moreau, Ardant…Vous avez dirigé les plus grands. La seule qui manquerait à votre palmarès, c’est Adjani ?
On se connaît bien et je l’aime beaucoup (elle se lève alors et fait écouter une carte de vœux musicale ou Isabelle, avec sa voix inimitable, lui souhaite avec chaleur une bonne année). Mais je ne vais pas la poser, dans n’importe quel sujet. Il faut qu’elle s’impose. Et je cherche…
Vous avez du caractère. Et les stars que vous dirigez n’en manquent pas non plus. Dur à gérer ?
Je n’aime que les gens qui ont du caractère. Je suis un animal qui aime être face à un autre animal. J’aime admirer. Je crois que pour être un grand acteur, il faut avoir certes du talent, mais aussi de la force. Très souvent, les acteurs célèbres et charismatiques sont en roue libre sur un tournage car on les craint. Pas moi. Avec moi, ils aiment avoir une liberté à l’intérieur d’un espace dont ils savent qu’il est maîtrisé. Ce n’est par hasard si les mêmes retravaillent avec moi…
Vous enchaînez les superproductions. Et vous trouvez aussi le temps de tourner des films plus personnels. L’énergie, vous la trouver où ?
Je ne la cherche pas, elle arrive d’elle même. Je m’auto recharge. Si je ne tourne pas, je n’existe pas dans ma tête, comme décérébrée. Si je n’ai pas un projet en tête, je suis comme décapitée. Cet hiver, pendant le tournage des « Rois maudits », on a fait dix jours d’arrêt à Noël. J’ai été couché et malade. Le 5 janvier, je suis partie en Transylvanie. Il faisait – 20 ° et j’étais guérie.
Si la télé aime regarder dans le rétroviseur, certains fantasment aujourd’hui sur un retour à une sorte d’ordre moral, arguant que la société a besoin de barrières…
J’ai été élevé par des parents qui m’ont laissé à la fois totalement libre. Et très surveillée. Je pouvais décider d’aller ou pas en classe, de me coucher ou pas à trois heures du matin. Mais je ne pouvais pas me baigner seule ou traverser une rue toute seule. J’avais à la fois une liberté physique réduite mais une liberté mentale absolue. Car je vivais en Algérie au moment de la guerre de l’indépendance. Quand 68 est arrivé, pour moi c’était normal ! Je n’ai pas ressenti le besoin de cracher à la figure de mes profs. Car je n’allais pas à l’école. Je ne suis pas très passéiste. Et ce fantasme de paradis perdu me gêne. Mais s’il y a beaucoup de choses qui me fascinent dans ce millénaire, je regrette qu’il y ait moins d’insouciance, moins de rêve…
On ne vous imagine pas rêveuse…
Je déteste la réalité, tout ce qui est matériel. Le quotidien m’englouti, me harasse. Je n’aime que le cinéma. Je travaille beaucoup sans avoir le sentiment de travailler.
Contrairement à beaucoup de réalisateurs gays qui ont pu travailler sur des sujets traitant de l’homosexualité, cela n’a jamais été votre cas ?
Je n’en ai pas trouvé parce que je n’en ai pas cherché ! On m’a proposé un film autour de ce sujet. J’y réfléchis. Et puis, si je fais un film sur l’homosexualité, il faudra que cela soit moi qui l’écrive. Je sais ce que je veux dans une histoire, mais pas forcément l’écrire. C’est peut-être cela qui bloque.
Le blocage ne vient-il pas du fait que le thème vous ait trop proche ?
Je n’ai guère de fascination pour moi (sourire). Je parle souvent avec Jeanne Moreau, qui est pour moi la plus grande actrice du monde. Elle me dit souvent « Racontez votre vie, faites quelque chose sur vous, ne vous cachez pas derrière la fiction… ». Elle peut être raison…Mais si je parle de moi, j’aborderais aussi l’Algérie…un thème que je n’ai par exemple jamais voulu toucher. C’est compliqué. Mon film le plus autobiographique, c’est curieusement « Cet amour-là ». Tout ce que le personnage de Yann vit, même s’il est beaucoup plus passif que moi, mais tout ce qu’il a pu avoir comme admiration, comme étouffement lié à sa fascination pour Marguerite Duras. Et moi mon obsession, c’est le cinéma.
Y a t-il des films de la cinématographie gay qui vous ait ému ?
Mort à Venise m’a marqué, The Servant aussi m’a beaucoup touché. A chaque fois avec Dirk Bogarde, qui est extraordinaire. Ludwig, la douleur de Louis 2 vue par Visconti, cela atteint des sommets. Je préfère Fellini qui est beaucoup plus personnel. Si j’avais fait Senso, Ludwig grosso modo. Je pense que je pourrais le faire. Jamais de ma vie, je n’aurais pu faire 8 et demi ou Le Satyricon.
Interview Originale sur le Site Têtu.com