La Vie Heureuse de Nina Bouraoui

La Vie Heureuse de Nina Bouraoui

Titre Français : La Vie heureuse

Titre Original : La Vie heureuse

Auteur : Nina Bouraoui

Date de Sortie : 2002

Nationalité : Française

Genre : Roman Contemporain

Nombre de Pages : 286 pages

Éditeur : Le Livre de Poche

ISBN : 2-253-07260-5

La Vie heureuse : Quatrième de Couverture

« Il n’y a aucun choix à aimer une fille. C’est violent. C’est l’instinct. C’est la peau qui parle. C’est le sang qui s’exprime. Je n’ai pas choisi d’aimer Diane. C’est une loi physique. C’est une attraction. C’est comme la Lune et le Soleil. C’est comme la pierre dans l’eau. C’est comme l’été et la neige. C’est de l’histoire naturelle. Ça reste longtemps dans le corps. C’est inoubliable. C’est la grande vie.

J’aime Diane, je suis milliardaire. »

La Vie heureuse : Avis Personnel

Tout d’abord, la quatrième de couverture n’offrant pas de résumé, mais un extrait du livre, il convient de dresser, en quelques lignes, un petit topo de l’ouvrage. La Vie heureuse nous conte une période décisive de la vie de Marie. C’est l’été de ses 16 ans. Il fait chaud, il fait beau et, alors qu’elle est en vacances en famille en Bretagne, elle est sur le point de perdre sa tante qui souffre d’un cancer. Dans cette atmosphère pesante où la mort plane, la jeune fille se remémore les derniers mois de sa vie et se questionne sur ses rapports aux autres et ses désirs.

Dans un premier temps, il est intéressant de noter les similitudes entre le personnage de Marie et l’auteure elle-même. Tout comme Nina Bouraoui, elle a grandi en déménageant régulièrement (Paris, la Bretagne et la Suisse pour Marie, l’Algérie, Paris, la Bretagne et la Suisse pour la romancière) ; il en résulte une jeune fille sans réelle attache, à qui l’immobilisme et le sédentarisme font peur. Autre point commun, le caractère à la fois timide mais déterminé (Marie a tout d’un clown triste), et l’amour du sport (comme son personnage, Nina Bouraoui a voulu à une période faire du tennis à haut niveau). Un livre fortement empreint d’autofiction donc (un genre qui mêle éléments autobiographiques et fictionnels).

J’ai beaucoup apprécié l’ambiance créée par Nina Bouraoui dans La Vie heureuse. La mort et la vie, un peu comme un pied de nez au titre, y sont intimement liées. On ressent ce contraste permanent dès le prologue où, malgré cette description d’une famille heureuse, on sent comme un malaise, une menace qui plane. Il est intéressant de voir à quel point on ressent cette légèreté et ce bonheur de vivre propre aux enfants, mais qu’en même temps on a l’impression qu’ils cèdent lentement la place à des sentiments plus sérieux et mesurés. Si l’été précédent elle s’amusait avec insouciance, cette année Marie semble avoir conscience du monde extérieur et de ses dangers (la maladie de sa tante, le sida, etc.). Comme elle le dit elle-même, « Avant un rien m’amusait. Je veux plus désormais. » Elle devient adulte et commence à tourner la page de son enfance, dont elle vient de perdre à jamais cette légèreté qui lui est propre. C’est la le thème principal de l’ouvrage : l’adolescence. Nina Bouraoui nous raconte les rêves, les révoltes, les joies, les gênes, les premiers émois de toute adolescente et ce avec maestro.

En parlant d’émois, on trouve dans ce livre une réflexion réellement réussie sur l’identité sexuelle. J’ai beaucoup aimé la manière dont cet amour naissant entre Marie et Diane a été présenté (Diane qui au passage est le sosie de l’héroïne de Flashdance – un comble…!). On ressent très bien cette peur qu’éprouve Marie au départ en comprenant qu’elle est attirée par sa camarade. Elle lui résiste puis, petit à petit, elle se laisse aller et donne libre cours à ses sentiments. Et c’est son premier véritable amour, un amour fou et irrésistible. Marie se pose bon nombre de questions et tente d’y trouver les réponses. Comment sait-on avec certitude que l’on est vraiment attirée par une fille ? Peut-on vivre son amour pour une autre fille au grand jour, sans avoir à cloisonner sa vie ? Est-on obligée de s’habiller en fille-fille pour devenir une femme à part entière ? Des interrogations à la pelle qui parviennent au final à parler de manière exhaustive de la naissance du désir, de l’orientation sexuelle et de la place de la femme dans la société. On ressent très bien à quel point Marie est démunie face à ses sentiments qui remettent en cause cette vision hétéronormée du monde qu’on lui a enseignée depuis son enfance, elle perd ses repères.

Autre chose à laquelle j’ai été très sensible : la qualité de l’écriture. Les phrases courtes se succèdent dans une espèce d’urgence et n’ont parfois aucun lien les unes avec les autres. Les chapitres, courts eux aussi, mélangent le temps et sont tour à tour consacrés à cet été fatidique de ses 16 ans et aux mois qui ont précédé. Le temps est brouillé et on a du mal au début à lier les événements. Puis tout commence à s’assembler et cela donne une force et une aura particulière à l’histoire. C’est comme si la narratrice se souvenait devant nous et nous livrait en pagaille ses souvenirs tels qu’ils lui reviennent. On lit alors comme on regarderait des photos jaunies avec elle, tandis qu’elle nous chantonnerait des airs de ces années-là – des extraits de chansons qui à chaque fois traduisent à la perfection l’époque et les sentiments des personnages.

En bref, une œuvre sublime qui, au travers de cette adolescente qui commence à apprivoiser la vie et vit ses premiers émois, traite de l’adolescence, du passage de l’enfance à l’âge adulte et du questionnement de l’identité sexuelle comme rarement. Un livre magnifique à découvrir absolument.

La Vie heureuse : Extraits

« Diane ouvre la porte, « Je suis heureuse que tu sois là. » Et Céline ? Tu n’es pas heureuse de voir Céline ? Pourquoi moi ? Moi, je suis triste d’être ici, dans ta maison d’Uster, si tu savais comme je suis triste, Diane, de t’entendre, de te regarder danser, d’être à ta fête, de voir le mal que tu t’es donné, le champagne, le buffet, les gâteaux, triste au deuxième étage quand tu me montres ta chambre, triste d’avoir accepté de revenir, bientôt, oui je suis triste de danser avec Olivier, de rire avec Céline et les filles, triste de te prendre en photo, ton beau visage, Diane, tes cheveux et tes yeux, comme l’actrice de Flashdance, tout cela est d’une tristesse infinie, triste de ne pas savoir qui je suis, triste à en pleurer, dans ta maison, chez toi, triste de traverser ton jardin dans la neige, triste de te trouver si belle, triste de t’avoir rencontrée. Comment cela a pu arriver, Diane ? Et cette chanson d’Elton John, how wonderful life is, when you’re in the world. C’est horrible que tu existes Diane. Je dois tout refaire à l’envers, l’enfance, ce qu’on m’avait dit, l’homme de mes rêves, le prince et la princesse, la légende. Moi, je n’aurai pas peur de faire l’amour avec toi. Ce sera plus qu’avec un garçon. Il ne manquera rien, là. Ce sera la vie, la Vie heureuse. » (Pages 60-61)

« Antoine dit qu’il faut être fier de ce qu’on est. Que ce sont les autres qui ne vont pas. Qu’une société qui n’accepte pas ses homosexuels est une société malade. Antoine dit que les homos ne sont pas assez protégés par les lois. Qu’il faut emprisonner les types qui insultent. Que c’est traumatisant. Que ça peut ruiner la vie. Antoine dit qu’il connaît plein de garçons qui ont eu envie de mourir. Antoine dit que c’est à cause de la famille. Que certains pères renient leurs fils. Antoine dit que les homos sont souvent heureux d’être homos. Que ça procure beaucoup de joie. Antoine dit que ce sont les autres qui rendent malheureux. Antoine ne comprend pas pourquoi les hétéros sont obsédés par les homos. Antoine a vu un psy un jour. Il lui a dit que ce n’était ni un choix ni une maladie. » (Page 193)

Un commentaire

  1. Perso, j’aime son style d’écriture – ses phrases courtes mais tellement percutantes
    dans ce livre, ce qui m’a “perturbée” de prime abord, c’est l’aller-retour entre 2 périodes

    En effet, l’histoire se déroule entre la Bretagne et Zürich et, à chaque chapitre, cela change. De plus, la période Bretagne est + avancée dans le futur que Zürich.
    Une fois que tu as assimilé ceci, le livre se lit tout seul.

    J’ai vraiment aimé ce concept de 2 mondes (passé, présent / vie, mort / Bretagne – Suisse). Pour ma part, une belle réussite de la part de Nina Bouraoui. 😎
    Et puis, même s’il n’est pas complètement autobiographique, on ressent son vécu 😉

    Donc, oui à lire!
    (je vais aller en acheter d’autres de la même auteure)

Répondre