L’Almanach des Dames de Djuna Barnes

L'Almanach des Dames de Djuna Barnes

Titre Français : L'Almanach des Dames

Titre Original : Ladies Almanack

Auteur : Djuna Barnes

Date de Sortie : 1928 (édition française 1982)

Nationalité : Américaine

Genre : Roman Contemporain

Nombre de Pages : 166 pages

Éditeur : Flammarion

ISBN : 2-08-064454-8

L'Almanach des Dames : Quatrième de Couverture

Imprimé en 1928, chez Darantière, à Dijon, Ladies Almanack s’inspire du genre des almanachs du XVIe siècle pour relater la vie et les miracles de Dame Evangéline Musset, sainte d’un calendrier éminemment profane, évoluant au milieu de prêtresses lascives. Jeune en janvier, moribonde en décembre, la spirituelle Dame Musset est la prédicatrice d’une étonnante philosophie de l’amour… Les personnages de ce très inconvenant récit ont eu des modèles célèbres : Natalie Clifford Barney, Romaine Brooks, Radclyffe Hall, Janet Flanner, etc… L’ouvrage exerce aujourd’hui une grande fascination sur toutes celles qui, sous le couvert de la satire, le tiennent pour un manifeste saphique.

L'Almanach des Dames : Avis Personnel

L’Almanach des Dames est un objet rare et un petit bijou. Rare puisqu’assez peu connu, et petit bijou pour son principe d’écriture si original et son ton si vif.

Djuna Barnes, l’auteur, a fait partie de ces Américaines exilées à Paris dans les années 1920-1930, regroupées en sociétés de femmes – lesbiennes pour beaucoup – et qui ont utilisé la culture occidentale comme un terreau fertile pour y faire éclore leurs idées novatrices. C’est de ce mouvement qu’est né l’Almanach des Dames, qui parodie allègrement les textes religieux canoniques en les mettant au service d’un personnage hors du commun : Dame Evangéline Musset.

Djuna Barnes s’inspire ainsi des textes bibliques mais aussi – surtout – de toute la littérature chrétienne traditionnelle pour rédiger une «vie de sainte» un peu particulière… Pourtant, et c’est bien là que le génie de l’auteur apparaît et que l’esprit du lecteur se régale, tous les codes de l’écriture religieuse sont bien présents, malgré l’incongruité du propos : paraboles métaphoriques, micro-récits insérés au sein de l’histoire principale, miracles produits par la sainte… Tout semble bien classique, sauf l’héroïne ! Dame Musset est en effet une grande séductrice (de femmes, était-ce la peine de le préciser ?) qui répand la bonne parole auprès de chacune, n’hésitant pas parfois à employer quelque phénomène extraordinaire pour convaincre une demoiselle hésitant à se convertir. Comme dans les récits bibliques, notre sainte rencontre sur son chemin nombre de personnages secondaires méfiants et dubitatifs, tentant de remettre en question sa façon de vivre et essayant de la faire revenir dans le droit chemin (tiens tiens, voilà qui rappelle quelques souvenirs…).

L’écriture de Djuna Barnes est absolument extraordinaire et il faut reconnaître à Michèle Causse tout le mérite qui lui revient pour en avoir livré une traduction très réussie – et pour avoir joint, à la fin de l’ouvrage, un entretien avec Djuna Barnes dont la lecture est passionnante et instructive. L’humour de l’Almanach est omniprésent, la moquerie systématiquement sous-jacente et la vivacité toujours au rendez-vous. L’effet comique vient également du fait que l’auteur prend un malin plaisir à réutiliser une langue ancienne, typique de la Renaissance et du XVIe siècle, dont elle exagère les particularités et accentue les drôleries.
Vous trouverez aussi, intercalées entre les chapitres du récit, des réécritures du calendrier traditionnel, de fêtes des saints, de prières, etc… En version lesbienne. Si si.

Pourtant, bien que le récit soit drôle et totalement décalé grâce à son procédé parodique, il n’en demeure pas moins le véhicule d’idées surprenantes pour leur temps (le livre a été rédigé en 1928 !), et aux étranges accents de modernité, alliant avec brio le plaisir de la forme et l’utilité du fond. Les discours des personnages sont ainsi porteurs de réflexions passionnantes sur des questions d’éducation, d’assignation de rôles sexuels par une société normée (Barnes semble précéder les travaux de Wittig et les Genders Studies !) et même sur le thème du mariage entre femmes… Qui a dit que les auteurs anciens ne devaient plus être d’actualité ?!

 

L'Almanach des Dames : Extraits

« Son Père, point ne convient de le celer, passa bien des veillées venteuses à arpenter sa bibliothèque dans le plus simple appareil, s’efforçant vainement d’imaginer un moyen de ramener son enfant prodigue au sein de cette Religion ou Occupation de tout temps censée convenir à la Femme. Déjà, en effet, quand Evangéline se rendait aux thés de la duchesse Clitoressa de Natescourt, les femmes croisées en chemin (bourgeoises se hâtant, un enfant au sein et un mari au bras, vers quelque gracieuse église catholique afin d’y suivre l’office) retroussaient promptement leurs jupes de crainte d’être contaminées, et ce geste, précipité et timoré, jetait leurs proches dans une telle panique que la Bonne Société avait fini par s’en aviser : Evangéline était en passe de rejoindre le peloton de ces créatures auxquelles on adresse la parole par pure bonté. Circonstance qui, aux yeux de son Père, n’était guère susceptible de la conduire sur le chemin de l’autel. »

« Parce que les Femmes, de nos jours, s’entrecherchent et s’entr’aiment, doit-on conclure que nous faisons fi de la morale ? Qu’a fait l’Angleterre pour légaliser ces Passions ? Rien ! Ne devrions-nous point atteler la Nation à la tâche ? Vit-on jamais, sous son climat sinistre, deux chères colombes parées de leurs dentelles de noces remonter la nef en grande pompe, et, devant l’autel, faire unir leur Similitude en se jurant mutuellement Amour, Respect et Obéissance, toutes deux, en cette faste et téméraire conjoncture, cherchant fébrilement les anneaux d’or identiques destinés à faire de l’une l’Épouse et l’autre la Mariée ?
Hélas, trois fois hélas, oncques n’ai-je ouï tel prodige ou vu, de mes yeux vu, ladite paire de colombes reposée toute embrelée de rubans sur un lit conjugal, sein contre sein, natte contre natte, giron contre giron, sous un dais de batiste ! Depuis l’aube de cette alliance, c’est en péchant d’un double et semblable péché qu’elles partagent la même couche et se lèvent au matin sans que l’Église ou l’État leur assurent protection. Et elle forniquent dans une culpabilité à ce point siamoise que c’est un bien tremblant tandem qui devra répondre aux trompettes du Jugement dernier !
Lors, le cas nous sied de porter la question devant les tribunaux et de la soumettre à la Chambre des Lords. Lorsqu’une jeune fille s’embrase d’amour, quel que soit l’objet de son inclination, ne devrait-elle point être protégée des périls qui toujours accompagnent l’illégalité ? Et si, dans un couple, l’une ou l’autre voulait commettre quelque incartade, la loi – afin d’étouffer dans l’œuf toute foucade – ne devrait-elle pas obliger la coupable à verser une pension alimentaire comme n’importe quel mari ? »

A propos de Julia Clieuterpe

Chroniqueuse occasionnelle

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