Laurel Canyon : Interview de la réalisatrice Lisa Cholodenko

Laurel Canyon : Interview de la réalisatrice Lisa Cholodenko

Interview accordée à Marty Mapes le 3 Avril 2003 pour le site moviehabit.com

Lisa Cholodenko a engrangé les critiques élogieuses pour son premier long métrage, High Art qui met en scène Ally Sheedy en photographe à la retraite revenant sous le feu des projecteurs grâce à une jeune stagiaire. La stagiaire stricte tombe amoureuse de la photographe plus âgée et de son style de vie bohème.

Laurel Canyon, la seconde œuvre de Cholodenko, cultive un peu le même terrain : une jeune bourgeoise étudiante en médecine est séduite par le style de vie rock n’roll de la mère de son fiancé, une productrice de disques.

J’ai parlé avec Cholodenko de ses influences, des similarités de thématiques dans ses deux films et de sa relation avec les acteurs.

Parlez-moi un peu de votre parcours ?

En fait, mon parcours est un peu conventionnel dans un sens, je veux dire, j’ai grandi à L.A ; j’ai grandi dans la banlieue de San Fernando Valley, mes parents sont toujours mariés, ils vivent encore dans la maison où j’ai grandi. Mon père est graphiste et ma mère est directrice d’école. Je suis allée dans des écoles publiques. C’est très carré. J’ignore si moi j’étais hétéro*, mais l’environnement n’avait rien de bohémien.

* [NDLT : jeu de mots avec “straight”]

Comment vous êtes-vous retrouvée impliquée dans les films ? Avez-vous toujours été amoureuse d’eux ?

Vous savez quoi ? C’est venu plus tard. J’ai grandi à L.A. donc évidemment que ça faisait partie du décor. J’avais connu des gens à la fac –j’ai fait mes études dans l’État de San Francisco- et ils avaient un enseignement cinématographique profondément expérimental. J’ai connu des personnes qui étaient dans ce milieu, mais je n’ai fait aucun film pendant mes études.

Et puis vers les 25 ans, je suis tombée presque par hasard sur ce job à l’Institut du Film Américain et j’ai côtoyé des cinéastes et été exposée à la réalisation de films et à partir de là, j’ai entamé cette lente trajectoire pour m’entraîner à devenir réalisatrice. J’ai quitté L.A pour aller à NY. J’ai fait un MFA* à Columbia. J’ai fait des courts-métrages et des trucs du genre.

* [Master of Fine Arts]

C’est surprenant. On dirait que tellement de gens d’ici le font dès le départ.

Ouais, dans un sens je suis vraiment reconnaissante que ce soit arrivé par la petite porte parce que j’ai le sentiment d’avoir beaucoup de –j’ai voyagé, j’ai étudié plein de choses différentes- j’ai eu le sentiment de pouvoir y apporter plus une fois que j’ai décidé de m’y mettre.

Vos deux films parlent d’art et on dirait que c’est un sujet qui vous tient à cœur. Avez-vous eu une expérience du monde artistique ?

J’ai toujours été un peu attirée par l’art d’une façon générale parce que ces films traitent de sujets dans le monde de l’art. Je pense que dans un sens, je suis moins intéressée par ces disciplines ou les vies des artistes que je suis intéressée par ces types de personnalités comme métaphores de libre expression. Dans ces deux films, il y a cette opposition entre la personne qui suit les règles, toujours dans le droit chemin, la personne qui essaie de résoudre le problème de manière plus formelle et puis la personne qui sera le libre penseur.

C’est une réponse intéressante, et révélatrice d’une certaine façon. En regardant les films, on aurait dit que les artistes ressemblaient à des artistes typiques, mais ensuite, ils s’étoffent. Donc c’est intéressant de vous entendre dire que vous êtes plus intéressée par les artistes en tant que catégorie plutôt que par l’art qu’ils font.

Ouais, dans High Art –j’aime la photographie et j’étais vraiment impressionnée par un certain style de photographie que j’ai représenté dans ce film, mais je pense que c’est le sujet dans le sens large qui fait qu’un film est transcendant plutôt que cette chose en particulier. Si ce n’est que cette chose en particulier, c’est difficile de s’y connecter si ça n’a pas vraiment d’intérêt pour vous ou que vous ne l’avez pas vécu. Donc vous le prenez comme si ça présentait une qualité métaphorique.

Je suis évidemment très intéressée par le monde de la musique –tout entier, les problèmes, le procédé, tous les aspects- mais pour rendre mes intentions nobles, je dirais que c’est vraiment la raison pour laquelle ces choses reviennent toujours.

Les deux films semblent impliquer quelqu’un qui tombe amoureux d’un style de vie, de cette façon complètement différente d’appréhender les choses.

Ouais, et je pense que dans les deux cas, l’un des ressors dans le film est cette personne plus jeune, inexpérimentée qui a toujours joué selon les règles et qui a toujours fait entre guillemets « ce qu’il fallait » qui se retrouve dans un monde où les comportements répréhensibles semblent vous conférer une position tellement supérieure. Une étendue de possibilités tellement plus vaste.

Avez-vous déjà réfléchi à ça dans votre propre vie ?

Ouais, je pense que quiconque dans le milieu créatif ou libre penseur se débat avec ça à des degrés divers. Je veux dire qu’il y a tellement de bons films, si vous y réfléchissez, comme tous ces films géniaux du début des années 70 qui ont été faits aux États-Unis. Beaucoup de bons films se sont  vraiment focalisés là-dessus –ont eu pour sujets le héros se débattant avec…

Pouvez-vous me donner un ou deux exemples ?

La grande inspiration pour ce film a été The Graduate (Le Lauréat). Et Five Easy Pieces (Cinq Pièces Faciles) est un autre film que j’adore. Ce sont deux classiques traitant de jeunes-gens-faisant-un-voyage-existentiel, devant gérer la famille et les pièges des attentes et révéler leur identité selon leurs propres termes et ce genre de choses.

Vous avez une excellente relation avec les acteurs, un grand sens de l’intimité. Comment s’y prendre pour amener les acteurs à être aussi intimes et ouverts avec une caméra braquée sur leurs visages ?

D’après ma propre expérience, j’ai le sentiment que ce qui a fonctionné, c’est ma propre présence et mon investissement dans les scènes, dans le film, ma capacité à exprimer mon affection pour chacun des personnages et chacun des acteurs. Je pense que quand des acteurs travaillent avec moi, ils sentent que je m’investis vraiment pour eux et que je suis vraiment impliquée dans ce que se passe concernant leur interprétation. Je pense que ça donne à l’acteur l’envie de donner le meilleur dans son travail et le sentiment qu’on lui donne un genre de filet de sécurité pour le faire.

La scène du baiser dans la piscine… La caméra se rapproche et vous êtes dans la piscine et ça doit être une étrange installation d’avoir la caméra et l’équipe, l’éclairage et tout le reste. Et pourtant, le moment est tellement intime entre ces trois-là. Est-ce que ça a été difficile à obtenir ou est-ce que c’était juste une scène comme les autres ?

C’est difficile dans le sens où je suis un peu –assez bizarrement, j’écris ces conneries mais– je suis très timide. Donc je suis mal à l’aise d’avoir à diriger. Je m’identifie trop, je crois. Je deviens presque co-dépendante des acteurs. Mais vous savez, je l’ai écrit, j’ai passé beaucoup de temps à l’écrire, j’ai repensé chaque détail au moins un milliard de fois. Ce n’est pas comme si je l’avais juste lu la veille et que j’avais pensé : « Waw, comment est-ce que je vais faire ça ? »

Et puis les acteurs, ils ont signé pour ça et ils savent exactement ce qu’ils font et ce qui va se passer. Et alors que tout se met en place, ils savent quelle partie va se faire et quand. J’avais un très bon caméraman et j’ai en quelque sorte trouvé le bon endroit pour mettre la caméra. Et vous savez, nous avons juste tourné la scène et avons vraiment essayé de la faire efficacement afin qu’ils n’aient pas à la jouer 5 millions de fois et que je puisse les faire sortir de la piscine et qu’on en ait fini. Je pense que c’est plus pénible pour moi de tourner ces scènes que ça l’est pour les acteurs.

Les personnages collet-montés semblent un peu moins intenses que les personnages artistes.

Dans un sens, honnêtement, c’était plus difficile d’écrire ces personnages parce que je les comprends moins, par expérience ou émotionnellement. Mais cela étant, je pense que ce que je dis sur ces personnages c’est que ce sont des gens assez méconnus, et méconnus d’eux-mêmes également. Ils sont refoulés. Et ce que je voulais créer, c’était ce genre de personnages qui sont un peu comme des énigmes, ceux dont vous n’êtes jamais sûrs de savoir ce qui se prépare, parce que tout est soigneusement réprimé.

Alors que l’action s’intensifie, on voit le personnage de Christian Bale commencer à devenir agité et à s’envenimer et à avoir ces petits affrontements, ces petits tremblements avec Fran. Et puis le personnage de Kate commence à avoir des insomnies, c’est comme s’ils commençaient progressivement à se dénouer, pour qu’à la fin quand vraiment ils se dénouent, vous vous disiez : « Ok, on avait ces gens enfermés, refoulés et maintenant les voilà expulsés hors du canon –qu’est-ce qui va se passer ensuite ? »

Qu’avez-vous pensé de la fin ? C’est un « happy » end mitigé, mais émotionnellement, c’est une autre histoire. 

Ouais, ce sera intéressant. Je pense que les gens auront toutes sortes de réactions concernant la fin. Personnellement, je suis beaucoup plus attirée par les films qui ont une fin ouverte. Je fais ces films qui sont plutôt réalistes. J’aime ce domaine d’interprétation. J’aime ce genre de dialogues. Je pense que dans la vraie vie, il n’y a aucune fin qui soit définitive jusqu’à ce que vous mouriez, et même là, qui sait ce qu’il y a peut-être après.

Je trouve que quand je regarde un film et qu’il y a un genre d’étiquette de fin –je veux dire que quelquefois je suis d’humeur à regarder un mélodrame et ça me ravit ou je veux juste me pelotonner et pleurer un bon coup ou autre. Ce n’est pas vraiment ce style de films. Donc j’ai senti qu’arriver à  la fin et avoir une sorte de fin très fermée et définitive, au moins dans le domaine du script, serait gnangnan.

Et ça paraissait plus organique pour le film d’emmener chaque personnage à un endroit complètement nouveau intérieurement et auquel nous pourrions nous identifier.

Je pense que c’est un film plus sur le changement que sur la solution.

Laissez-moi vous interroger sur vos films préférés. Aimez-vous regarder des films ?

Oui, j’adore les films. Je pense que nous sommes dans une période intéressante. Je pense que les films qui sont nominés pour les Oscars cette année sont intéressants. Alexander Payne est un ami et j’aime vraiment beaucoup ses films. Je trouve qu’il fait des personnages de tragi-comédies géniaux, drôles et sarcastiques. Spike Jonze est très intéressant je trouve et j’aime beaucoup Adaptation. Je n’ai pas vraiment aimé la fin, mais j’ai aimé ce film.

Traduction Magali Pumpkin

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