Le Tour de Ma Vie : Interview de la romancière Catherine Tanvier

Le Tour de Ma Vie : Interview de la romancière Catherine Tanvier

Interview accordée à Isabelle B. Price le 21 Décembre 2008 pour le Site Univers-L.com

Qu’est-ce qui vous a amenée à l’écriture après l’arrêt de votre carrière dans le tennis ?

Le besoin viscéral de parler des outrages de mon passé, de raconter la joueuse cassée que j’ai été pour que naisse celle que je suis maintenant, de révéler notamment l’envers d’un Tour qui n’est pas aussi doré que l’on veut bien nous le faire croire. La lecture a été mon viatique dès l’âge de 25 ans. Ce qui me permit sans doute d’acquérir par la suite ces deux trois bases indispensables pour écrire des livres.

Votre premier livre témoignage, Déclassée a été très bien accueilli par les critiques. Pourquoi avoir choisi, cette fois-ci, d’écrire un roman ?

Parce que je n’avais pas encore tout dit. Dans Déclassée, je parle (que) de mon parcours accidenté. Dans Le tour de ma vie, je voulais davantage témoigner la vie dure que mènent une grande majorité de joueuses sur le circuit Pro. Notamment sur le circuit parallèle (Challengers). À l’heure où je vous écris, bien de jeunes filles se font encore abuser par des pères impulsifs, des coaches gourous-vindicatifs, des agents respectables mais épouvantables en réalité, qui se jouent de l’ignorance de ces mineures jetées trop prématurément dans un monde d’adultes pour mieux les exploiter en toute impunité.

Pourquoi avez-vous décidé de faire de votre héroïne, Megan, une lesbienne ?

Peut-être pour défendre cette minorité (Gay) qui est méprisée encore de nos jours par un monde qui ne tolère pas les différences, l’ayant trop de fois constaté. Ce livre est ma manière de la soutenir et de militer en quelque sorte, car ce sont principalement les préjugés qu’il faut abolir.

Vous êtes-vous inspirée d’une personne que vous connaissez réellement pour dresser le portrait de ce personnage ?

Absolument. Je me suis fortement inspirée d’une ex-joueuse et grande amie australienne (Louise, dans Déclassée) et de ma propre expérience de joueuse, pour écrire l’histoire peu banale de sa vie sur le circuit et hors celui-ci, tout  en y mêlant de la fiction, je le précise, qui n’a pas toujours à voir avec ce qu’a été réellement sa vie.

Avez-vous repris toute la vie de cette personne ou avez-vous romancé, notamment afin d’offrir une fin positive ?

Seulement les grandes lignes : ses relations féminines, la religion asphyxiante de sa mère, l’obligation de se marier vierge – son frère Damien me le dira de vive voix alors qu’il a 22 ans et le demeurait toujours ! -, le cancer de son père, la mort terrible de son frère (dont elle ira reconnaître le corps en Écosse dans des circonstances plus effroyables encore que dans le roman !). Tout ce qu’elle a pu m’en dire ou bien pu me donner à voir notamment quand je fus invitée à deux fois à séjourner à Wagga-Wagga dans la grande maisonnée familiale.

Disons que 90% des histoires racontées dans le roman sont basées sur des faits réels que j’ai ensuite « romancées », notamment pour le « happy-end » qui n’est pas le fait d’une réalité dans la vie de cette amie. Mais venant d’un pays comme la France, je n’ignore pas non plus à quel point il est à la traîne sur la question de l’homoparentalité par exemple, à côté de nos pays voisins européens.

Ce happy-end est ma façon de me positionner personnellement là-dessus.

Pourquoi avoir choisi d’utiliser à plusieurs reprises le terme « invertie », alors que vous auriez pu utiliser plus de synonymes ?

Je m’attendais davantage à ce que vous releviez le mot « invertissement » tout droit sorti de ma tête, qui n’existe pas sur notre Larousse – n’en trouvant pas un plus approprié par rapport à quelques tournures de phrases… Employer le mot « Invertie » est à mon goût plus élégant, tellement moins « médical » que le mot « homosexualité ».

Mais ce n’est là qu’un point de vue personnel.

Votre héroïne est-elle réellement tombée amoureuse de toutes ces femmes ou était-ce juste des coups de cœur ?

Non, pas de toutes. Disons la moitié, le steward inclus bien qu’en réalité, Louise n’ira pas jusqu’au bout de l’aventure avec lui (elle prendra la porte au moment des préliminaires ! me confiera-t-elle). Mais la plupart de ces femmes ont vraiment existé. (Sauf Sam, Jessica, June (désolée !), les boys…). Quand je viendrais à la connaître assez tardivement, je la verrai avec pas moins de dix nouvelles amies en l’espace de trois ans !

Pourquoi avoir choisi de conserver le terme de PACS au lieu d’utiliser simplement celui d’Union Civile ?

Le Pacs  à la place de pacte civil me paraissant davantage le langage courant utilisé par tous, me semble-t-il. Cela ne va pas plus loin. Peut-être du fait aussi qu’en anglais, cela se dit « pacs » et que je viendrais à l’entendre de par l’Amérique bien avant que ce mot arrive en France.

La question de la reconversion se pose peu dans le roman malgré les difficultés qui s’amoncellent. Est-ce la même chose dans la réalité ?

La question de la reconversion est déjà une transition difficile à vivre pour toute joueuse pro, alors à aborder… On n’en parle à vrai dire pas dans le milieu, comme si cela est tabou de le faire. Peut-être du fait que c’est comme une petite mort que l’on vit quand sonne l’heure de la retraite sportive. On en chiale à la manière d’un véritable deuil. On sent sa fin venir et c’est suffisamment douloureux comme ça même si, paradoxalement, notre vie de joueuse nous fut éprouvante. Mais c’est une passion qui s’arrête avant tout, et ça… Ca nous bouleverse! Tout changement est difficile à accepter, je crois. Megan sent la fin venir pour elle. Elle parle de cette nouvelle génération férocement industrieuse et arrogante, presque irrespectueuse des anciennes. Clairement, elle réalise que la mentalité a changé, qu’elle n’est plus ce qu’elle était à ses débuts. Cet amour pour le Tour se modifie petit à petit. Ces centres d’intérêts aussi. Tout doucement, ils s’écartent. Elle recherche un seul amour à présent, un peu plus de confort, plus de sécurité. C’est déjà le début de la fin pour elle. Le début d’un nouveau départ dans sa vie. Et ce qu’elle comprend est véritablement ce que beaucoup de joueuses ressentent en fin de parcours.

Vous avez été joueuse professionnelle de tennis pendant de nombreuses années. Jugez-vous que l’acceptation de l’homosexualité féminine sur le Tour ait évolué ?

Oui, indéniablement. Et cela, grâce à des icônes telles que Billie-Jean King, Martina Navratilova – plus de mon époque, et elles en ont bavé plus que quiconque, déjà des médias et divers publics machos qui ne les ont jamais épargnées !  Amélie (Mauresmo) aussi a fait à sa manière évoluer les mentalités sur la scène internationale.

Bob Dylan c’est une réelle passion ?

Dylan est partout dans ma vie. C’est vraiment quelqu’un que j’écoute au moins une fois par jour. Alors oui, on peut parler de véritable adoration chez-moi pour cet homme que je trouve de surcroît d’une grande noblesse. Tout m’émeut chez-lui. Sa voix, ses lyriques, sa poésie. Tout !

Sur quoi travaillez-vous actuellement ?

Actuellement, je travaille sur la traduction intégrale en anglais de « Déclassée » en duo avec un ami irlandais (doctorat en lettres françaises) et suis sur le projet d’une histoire déjà écrite ( premier jet, donc toujours en travaux) qui traite le destin courageux d’un touareg, fils naturel d’un Capitaine français méhariste dans l’armée française dans les années 20et 30 au Hoggar. Le fils, par mimétisme et admiration pour son père qu’il idolâtre secrètement, deviendra méhariste à son tour, jusqu’au jour où il décide de le rencontrer alors que celui-ci mène une retraite tranquille sur la Côte d’Azur depuis des années, ignorant tout de son existence. C’est une histoire qui tourne là encore sur la quête de l’identité et qui est tirée d’une réalité, de vérités personnelles et d’une fiction indissociables.

Enfin pour terminer, je vous dirais que l’une de mes principales préoccupations dans Le tour de ma vie a été pour moi de dénoncer les dysfonctionnements du circuit. Les iniquités, les dérivations qui y sont endémiques, les abominations que beaucoup de joueuses y endurent, après avoir été assaillies, humiliées, ruinées, abusées par un entourage sans scrupule. Pour des joueuses de moins de 18 ans, cela porte un nom : détournement de mineures. Autant de sujets graves que j’ai voulu déplorer de toutes mes forces dans le roman. Et puis, à côté de ceux-là, un autre sujet délicat : l’homosexualité à travers une héroïne ordinaire, et la brutalité du monde tennistique et hors celui-ci et notamment celle de sa famille qu’elle subit, là encore, non sans violence, et qui reste tristement de nos jours le reflet grossier d’une société en mal de tolérance.

A propos de Isabelle B. Price

Créatrice du site et Rédactrice en Chef. Née en Auvergne, elle s’est rapidement passionnée pour les séries télévisées. Dès l’enfance elle considérait déjà Bioman comme une série culte. Elle a ensuite regardé avec assiduité Alerte à Malibu et Les Dessous de Palm Beach avant l’arrivée de séries inoubliables telles X-Files, Urgences et Buffy contre les Vampires.

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