Le Manifeste Lesbien : Interview de l’auteure Pauline Londeix

Pauline Londeix

Interview accordée à par Ursula Del Aguila à le 28 Avril 2008 pour le site Têtu.com

Cette jeune activiste de 22 ans, vice-présidente d’Act Up-Paris vient de sortir son revigorant Manifeste Lesbien.

«Le Manifeste lesbien, véritable boîte à outils, est un livre écrit par une lesbienne pour les lesbiennes. Il appelle chacune à questionner de manière radicale son identité et à s’emparer des armes politiques nécessaires pour combattre la lesbophobie institutionnelle et quotidienne, ainsi que l’injonction sociale à l’invisibilité.»

Vice-présidente du comité IDAHO et vice-présidente d’Act Up-Paris, Pauline Londeix est fondatrice et membre active du GLR, un groupe activiste lesbien radical, et a pour objectif de participer à la création d’un grand pôle activiste lesbien.

Cette activiste à l’énergie débordante est promisE à un bel avenir militant, nous l’avons rencontrée.

Comment situes-tu ton Manifeste Lesbien eu égard au travail de l’ancienne génération de lesbiennes féministes?

Pas question de nier leur travail, en revanche sur certaines questions, je suis en désaccord politique: prostitution, loi sur le voile, je me sens plus proche des outils activistes d’Act Up-Paris, le lobby notamment, que par rapport au féminisme des années 80 et à ses méthodes. J’étais au collectif « Une école pour tous » en 2004 qui luttait contre l’interdiction des signes religieux à l’école. Je suis contre la loi de 2004, la plupart de ces filles revendiquent le voile comme un moyen d’affirmer leur culture, c’est un signe politique et je suis pour la liberté individuelle de chaque femme. Cette loi est un recours du patriarcat, on s’en prend au corps des femmes, alors que la base du féminisme, c’est le droit de disposer de son corps librement. Il faut penser à faire évoluer le droit, ici et maintenant, en fonction du pays dans lequel on vit:  pour les lgbt en Afrique, il y va de leur survie qu’il faut assurer tout de suite, et pour nous ici, ce sera vivre comme on l’entend et réduire les discriminations. Ce qui est nouveau aussi par rapport à l’ancienne génération de féministes, c’est le combat trans.

À ce sujet, qu’est-ce que le combat trans apporte, selon toi, au combat lesbien que tu vois comme « spécifique »?

Tu expliques en effet que chaque minorité doit être prise de façon spécifique, les lesbiennes, les gays, les trans, mais tu réaffirmes aussi la nécessité de la transversalité des combats pour faire avancer les luttes. Comment articules-tu ce mouvement apparemment contradictoire ? 

Les trans sont les «experts du genre» pour reprendre une expression du GATT, ils expérimentent par leur transition les codes du genre, de domination, la construction sociale du genre, tout ce qu’on apprend à une fille d’être, ils en ont une expérience en tant que trans. On peut appliquer ici l’analyse de Monique Wittig (“les lesbiennes ne sont pas des femmes”) à la problématique trans : une remise en cause de la binarité des sexes que les transsexuels pointent. Donc, l’idée est la suivante : plus qu’une orientation sexuelle, les lesbiennes remettent en cause le schéma de la société hétérocentrée. En ça, les deux combats se rejoignent. Les FTM que je connais, par exemple, expriment le fait qu’après leur transition, on attendait d’eux qu’ils soient dominants.

Ce sont les mêmes armes qu’on doit employer pour lutter contre les discriminations lesbophobes et transphobes mais quels sont alors les armes pour lutter contre l’homophobie ?

L’homophobie, la transphobie, la lesbophobie sont tous basées sur le sexisme et une conception binaire du genre, et le sexisme sur une conception de la différence des sexes figée, et dont l’hétérosexualité est le pivot, on revient toujours au même problème.

Quels sont les principaux axes de lutte selon toi dans un pays comme la France encore profondément misogyne ?

D’abord, il faut identifier l’oppression, déceler de quelle façon elle se construit, d’abord dans le langage, dans la conversation. Identifier à quels niveaux, se situe les discriminations. Il est nécessaire d’utiliser le queer, cest-à-dire le subversif pour renverser ces codes dans la conversation. Etre vigilant de ne pas appliquer les mêmes codes qui discriminent les femmes.

Le queer n’a t-il pas des moyens de subversion et d’efficace politique limités ?

Les limites, c’est la non-prise en compte de l’oppression comme structurant la société dans son ensemble. Par ailleurs, les limites du queer, c’est aussi le fait d’omettre que l’urgence politique se situe dans la loi aussi. Je rappelle qu’un tiers de la planète a une législation homophobe. Ce qui est important donc c’est : l’évolution des législations, la pratique de la subversion à l’échelle individuelle, ainsi que des luttes collectives qui rejoignent les autres minorités.

Comment définirais-tu la lesbophobie ? 

C’est un mélange d’homophobie et de sexisme d’abord. Les lesbiennes souffrent soit d’hypersexualisation, et là elles sont réduites à l’état de phantasmes pour le regard masculin, soit d’absence de représentation, et là, on leur dit qu’elles n’existent pas.

Retrouves-tu les mécanismes de domination hommes/femmes et de misogynie au sein même des structures lgbt? 

Act Up-Paris n’est pas forcément le bon exemple, car c’est d’abord un groupe de pédés malades du sida, et la nouvelle équipe est très féminine. Je pense en revanche que dans d’autres groupes lgbt, il y a une invisibilisation des lesbiennes, je pense à l’Inter-lgbt, au projet sur les Archives lesbiennes de la Mairie de Paris, d’où les lesbiennes avaient été évincées, ne parlons pas de GayLib et de HES. On peut remarquer que dans certaines de ces associations,  c’est souvent les garçons qui vont au rendez-vous, qui s’expriment en public, et dans les stratégies de langage, ils s’imposent plus que les femmes et ont tendance à leur laisser moins la parole. En général, les lesbiennes sont complètement invisibles.

Que penses-tu de la génération The L-Word, est-ce un progrès pour les lesbiennes ?

Ça a vraiment le mérite d’exister. Bien sûr qu’on peut se demander si ce n’est pas fait pour le regard masculin, et c’est bourré de stéréotypes. Je suis très contente que le personnage trans soit présent, les conséquences de la transphobie sont bien abordées.

Pourrait-on dire aujourd’hui que l’utopie se situe aujourd’hui du côté des lesbiennes et des trans et l’institutionnalisation du côté des gays ?

Oui c’est la brèche par laquelle le féminisme peut renaître car il y a une réelle remise en cause de la structure binaire. Mais c’est une illusion de croire qu’il n’y a plus d’homophobie pour ceux qui ne luttent pas, ou qui croient que tout est acquis.

Les enjeux des combats à venir ?

Une mobilisation activiste, une remise en cause de la nécessité de se battre pour faire évoluer la législation. Etre visible dans les centres de pouvoir et prendre conscience de ce qui lit les minorités entre elles.

Interview Originale sur le Site Têtu.com

A propos de Isabelle B. Price

Créatrice du site et Rédactrice en Chef. Née en Auvergne, elle s’est rapidement passionnée pour les séries télévisées. Dès l’enfance elle considérait déjà Bioman comme une série culte. Elle a ensuite regardé avec assiduité Alerte à Malibu et Les Dessous de Palm Beach avant l’arrivée de séries inoubliables telles X-Files, Urgences et Buffy contre les Vampires.

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