May in the Summer : Interview de Cherien Dabis, la réalisatrice et l’interprète de May

Cherien Dabis - May in the summer

Interview accordée à Trish Bendix le 29 août 2014 pour le site Afterellen.com

La réalisatrice palestino-américaine, Cherien Dabis est habituée à travailler derrière la caméra. Elle était scénariste pour The L Word puis a écrit et réalisé son premier long-métrage Amerrika, qui a fait sa première au festival de Sundance en 2009. Dans son nouveau film, May in the Summer, Cherien interprète également le personnage principal, May, un heureux hasard qui a permis à Cherien de « réaliser un film depuis l’intérieur d’une scène » et d’en apprendre plus sur elle-même.

Tout comme May, Cherien est une romancière new-yorkaise qui rentre chez elle, en Jordanie, pour revoir sa mère et ses sœurs avant de se marier avec son petit-ami musulman. Sa plus jeune sœur, Dalia, une lesbienne dans le placard tout le long du film, est interprétée par Alia Shawkat. Dalia, en tant que garçon manqué sarcastique, est la moins enthousiaste à l’idée de retourner chez elle, mais est tout de même contente de revoir ses sœurs. Leur mère (parfaitement interprétée par Hiam Abbass) est franche et malheureuse depuis que son mari l’a quittée pour une femme plus jeune qu’elle. Elle passe le plus clair de son temps à faire la tête concernant le mariage de May, disant qu’elle n’y assistera pas et emportant partout avec elle une grosse corde qu’elle essaie déraisonnablement de dérouler, même lorsqu’elle fait les boutiques dans les galeries commerciales.

Chaque membre de la famille possède un secret. De plus, l’écriture intelligente couplée aux très bons acteurs font de May in the Summer un film auquel quiconque ayant déjà été en désaccord avec ses proches pourra s’identifier.

J’ai vraiment beaucoup apprécié le film. Pouvez-vous m’en dire un peu plus sur sa naissance ?

J’ai commencé à concevoir ce film lorsque je faisais la tournée des festivals pour promouvoir mon précédent film, Amerrika. Ce film-là explorait l’une de mes identités culturelles, c’est-à-dire être arabe en Amérique, mais une autre facette, un autre sentiment n’avait pas été exploré : être toujours considérée comme Américaine dans le monde arabe. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à avoir l’idée d’un film qui parlerait d’une femme qui rentrerait dans son pays. Ce film parle donc d’une femme qui rentre chez elle et qui se sent un peu comme une étrangère là-bas aussi. Je porte un regard sur cette expérience culturelle, une expérience à l’opposé de celle de mon premier film. C’est de là que tout est parti. À l’époque, en 2009, quand j’ai commencé à y penser, je lisais beaucoup sur cette tendance de la migration inversée. Il y avait beaucoup d’immigrants qui quittaient leur pays d’adoption occidental et retournaient chez eux et se retrouvaient à un niveau culturel différent. Il se passait beaucoup de choses inattendues lorsqu’ils retournaient chez eux. Je voulais juste faire un film là-dessus : le retour chez soi.

Le mariage est très symbolique dans le film. Pourquoi vous êtes-vous concentrée sur les noces de May ?

Parmi tous les moyens qu’il existe de rassembler les gens, le mariage est toujours le meilleur choix. Mon premier film était plus autobiographique ; celui-ci tient plus de la fiction. Mais ici, c’est vraiment intéressant de voir comment la vie imite l’art. Pendant les années d’écriture du scénario, ma sœur s’est mariée et son mariage a eu lieu en Jordanie. Et toutes mes sœurs et moi nous sommes retrouvées en Jordanie pour la première fois en dix ans. C’était marrant de faire le parallèle avec le film. En y pensant, ça m’a semblé être un moyen naturel de réunir toute la famille et d’explorer les ruptures familiales. Le divorce a créé une grosse rupture au sein de la famille et dont elle ne s’est jamais vraiment remise. Je me suis donc dit que j’allais explorer l’effet d’un divorce dans un film sur le mariage. C’est donc une espèce de film subversif sur le mariage, ou alors un drame sur le divorce déguisé en comédie sur le mariage.

Je savais que Dalia allait se révéler lesbienne, mais je me demande si certaines des choses qu’elle a dites ou faites étaient des indices que vous avez laissé traîner. Par exemple, elle est végétarienne et elle appelle un groupe d’hommes « des attardés ». Était-ce fait exprès ?

Je crois que ça fait partie de sa personnalité. D’une certaine façon, le personnage de Dalia est celui que je connais le mieux, et je crois que c’est tout simplement ce qu’elle est. C’est un personnage qui me parle beaucoup et très clairement. J’ai toujours su qu’Alia jouerait ce rôle. J’avais travaillé avec Alia dans mon premier film et j’avais beaucoup aimé travailler avec elle. C’est une actrice talentueuse avec un excellent sens du comique. Nous sommes devenues amies après avoir travaillé sur Amerrika, et sa voix résonnait dans ma tête en écrivant ce personnage. Parfois je me disais « Bon, qu’est-ce qu’elle dirait… ? ». J’avais l’impression de très bien connaître Dalia. Il fallait la révéler lentement grâce à quelques commentaires pour que, d’une certaine façon, cela puisse être perçu comme des indices égarés.

Les sœurs sont toutes très différentes mais elles ont toutes en commun le fait d’avoir un secret, on peut donc faire beaucoup de parallèles entre elles. Est-ce quelque chose que vous aviez prévu ou bien est-ce venu au fur et à mesure de l’écriture ?

Je voulais faire en sorte que tout le monde ait quelque chose de particulier. Je voulais que tout le monde ait un secret et je voulais que ce soit un film sur la famille ; rien n’est lié au début. Cette rupture qu’est le divorce a installé une grande distance entre elles et les choses dont elles n’avaient jamais parlé. Je voulais que ce soit un film sur des femmes fortes qui devraient surpasser cela et devraient se mettre suffisamment à nu pour pouvoir se reconnecter, avoir des liens plus forts entre elles et s’aimer les unes les autres, malgré les distances. J’ai donc voulu explorer cela parce que, d’une certaine façon, la famille est un microcosme du Moyen-Orient. Elles ont toutes une expérience très différente, et elles ont toutes une religion différente : l’une est athée, l’autre est très chrétienne et une autre est bouddhiste. Le père est américain, la mère palestinienne, et il existe cet impérialisme de la terre natale. Je voulais représenter tous ces points de vue au sein d’une même famille qui devrait alors surpasser ces différences pour redevenir une vraie famille.

J’adore la corde que la mère de May utilise pour dénouer les relations. C’est quelque chose qui existe vraiment ?

C’est quelque chose dont j’ai entendu parler. C’est un peu une légende urbaine, comme un sort, le sort de la corde nouée. J’en ai entendu parler plus jeune et je n’ai jamais oublié ; cette image est très forte : quelqu’un essaie de défaire cette corde incroyablement nouée. Ça m’est venu lors de l’écriture du scénario parce qu’il y a tellement de conflits internes que je voulais trouver un moyen cinématographique de représenter ce conflit. La corde nouée peut représenter la mère essayant de défaire le lien qui unit May et son fiancé, tout du moins, c’est ce que May pense. La corde est donc devenue le symbole de leur lutte acharnée, de leur relation.

A propos de Lou Morin

Traductrice Anglais/Français

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