Naissance des Pieuvres : Interview de la réalisatrice et des actrices principales

Naissance des Pieuvres : Interview de la réalisatrice et des actrices principales

Interview accordée à Olivier Valkeners pour le site Lalucarne.org

Concernant l’âge des protagonistes, Pauline, Louise et Adèle étaient respectivement âgées de 15, 16 et 17 ans lors du tournage…

L’age de leurs personnages ?

Céline : « Plus ou moins ça, oui… »

Louise : « Moi je me suis jamais vraiment posée la question de quel âge elles avaient, ça correspond à un moment de vie, mais chez certaines personnes, ça peut se passer à 15 ans, comme à 14, comme à 16, c’est une période. L’âge n’était même pas nécessaire je trouve… »

Mais être aussi proche des personnages, dans la réalité de l’adolescence aide à construire le personnage, non ?

Adèle : « On a travaillé pendant un mois, toutes ensemble, et on a fait des exercices pour créer des liens entre nos personnages. Puis on a aussi beaucoup travaillé pour construire nos personnages. Par exemple, pour moi, pour Floriane, on a beaucoup travaillé sur comment lui trouver un corps, une démarche, une allure. Donc c’était un travail qui était quand même un travail de composition, de concentration… »

Céline : « On a beaucoup travaillé la périphérie du scénario, mais on n’a pas fait de scène, on n’a pas répété…

Il s’agissait d’aller loin, de travailler l’ambiguïté physique entre elles, qu’on dépasse des stades d’apprivoisement, quasiment, pour qu’une fois qu’on arrive sur le tournage on ne soit pas démunis par rapport à comment raconter l’attraction, un érotisme latent, ce genre de chose… Fallait débroussailler tout ce terrain là… »

Justement, concernant cet érotisme latent, ce désir…

C’est une légende urbaine que les filles s’essaient souvent au baiser entre elles… Mais pour toi Pauline, pour ce premier baiser de cinéma, embrasser une fille était plus facile que si t’avais dû embrasser un mec ?

Silence gêné de la cadette de la bande… Et Adèle d’intervenir pour la sauver : « Ben moi j’ai embrassé Warren, je peux dire que c’est plus facile.

…d’embrasser Pauline ! »

C’est sans difficultés que la gent masculine serait venue lui porte secours s’il avait fallu !

Et la réalisatrice de rajouter « Ah, c’est un petit hétéro, mais il a un succès fou chez les garçons, Warren, c’est un truc de malade ! Son petit air de Ryan Philippe, ça plait ! »

Fou rire général, avant que Pauline s’exprime finalement :

« C’est une scène que j’appréhendais quand même beaucoup, c’est vrai, mais au bout du compte, c’était quand même plus facile que ce que je pensais. »

Adèle : « Sur le moment ce qui était le plus dur finalement, c’était d’avancer… »

Céline : « Et on a fait que deux prises.

C’est tellement stressant, impressionnant comme moment, qu’on n’a pas tellement à se transposer dans le personnage, parce que de toute façon c’est émouvant. Donc finalement, c’est le moment où on a le moins besoin de se demander “mais qu’est-ce qu’elle ressent à ce moment là ?”. C’est de toute façon un moment assez culte. »

Pour la scène de défloraison, c’était une décision consciente de ne pas y mettre de baiser, d’attendre plus loin dans le film ?

Le baiser prend presque plus de signification que cette perte de virginité…

Céline : « S’il y avait du baiser, alors il y avait de la tendresse et ça devenait une scène explicitement amoureuse et pour moi, la scène raconte des sentiments très contradictoires. Elle raconte un rapport de force – qui s’inverse – entre deux personnages. Il y a l’amour d’un côté, le sacrifice, et puis de l’autre côté, il y a cette injonction de perdre sa virginité et l’instrumentalisation de quelqu’un.

Faut raconter tout ça dans une scène. Et si jamais il y a de la tendresse, on raconte complètement autre chose.

Moi je voulais le traiter de façon clinique parce que je ne voulais pas non plus être dans le voyeurisme, fallait trouver la bonne distance, et pas découper la séquence, aller chercher des gros plans, des machins, être dans une espèce de pureté du moment et être au bon endroit, sur une scène comme ça.

Je ne connais pas la totalité des films, mais à priori, on est plutôt dans l’inédit donc faut inventer la mise en scène d’un moment comme ça. On se pose beaucoup de questions…

C’était difficile à tourner – surtout extrêmement gênant ! – mais pour moi fallait vraiment la penser, la préméditer. Fallait pas tourner de choses qu’on ne va pas utiliser, être dans l’économie, de plans, de valeur de plan, d’où plan séquence, et essayer de faire peu de prises.

C’est une scène qu’on n’avait pas répétée, du tout, et elle a fait un peu irruption et c’est un moment émouvant.

C’est pas une scène qu’on peut imaginer. »

Adèle : « Nous en fait on s’abritait vachement derrière ce que Céline avait dit, et qui s’est d’ailleurs passé, c’est à dire, que c’était extrêmement pudique la façon dont c’était filmé. Donc du coup, on se disait, “c’est rien, de toute façon, on fait semblant”.

Finalement, ça nous faisait plus peur de s’embrasser, parce que c’était plus vrai. Mais en fait, sur le moment, c’était vraiment émouvant. »

À propos du scénario, a-t-il évolué, et si oui, de quelle manière ? La fin était déjà telle quelle ?

Céline : « Le film s’est radicalisé au fur et à mesure, mais il est quand même très proche du scénario d’origine. Chaque parti pris a été poussé plus loin, il y avait plus de dialogues dans le scénario, en terme de rythme, c’est plus elliptique… Il n’y a pas eu de grands changements, je ne suis pas revenue sur des choses, ça a été dans un sens qu’on a poussé à fond. »

Tu es consciente que le film va devenir iconique dans les milieux lesbiens ?

« J’espère ! »

Car, alors que les films de mecs pullulent, très peu de films traitent du sujet d’un point de vue féminin, surtout aussi intelligemment.

« Et puis c’est toujours des fables (When night is falling), des espèces de rêves éveillés. Y’a Fucking Amal qui est très bien, mais de fait il y en a très, très peu. De toute façon c’est aussi sur ce constat que y’avait vraiment une lacune de représentation, de fiction sur ces trajets que s’est fondé le désir de faire le film et de le faire en décalé, c’est à dire de ne pas du tout traiter du moment d’affirmation, de pas du tout traiter de ce truc un peu “héroïque” de dire “je suis comme ça”, non, de traiter du moment où ça émerge à la conscience et du coup de tordre le coup aux films de coming out, et le film se termine où tous les autres films sur le sujet commencent…

J’espère que par rapport au genre qu’est le film de coming out, de film gay, j’espère que ça va quand même trouver un public homo, parce que je sais que ça peut être un peu désarçonnant par rapport à la figure qu’on attend. »

En remplissant une niche où la demande existe, le film ne devrait pas avoir ce type de problème !

Les filles sont de fait en manque de représentation, un rien délaissée par le 7ème art, l’adolescence féminine comme un cocon tabou duquel il ne faudrait s’approcher…

Le film s’arrêtant au moment où tous les autres commence, on a pourtant comme un goût de trop peu, de devoir les quitter, finalement, aussi tôt.

« L’idée c’était de laisser les trajectoires ouvertes. Et dans mes rencontres avec le public, je remarque que chacun se raconte la suite. Y’en a qui disent “Pour moi c’est plié, l’héroïne va aimer les filles”, d’autres qui disent “non, c’est très ouvert, peut-être oui, peut-être non” et d’autres encore qui sont persuadés qu’elle va embrasser la carrière d’hétérosexuelle… » Le personnage le plus ambigu restant celui de Floriane/Adèle, prisonnière de son image, pour qui on ne sait définir si c’était juste une expérience, une expérience de libération de soi, un acte de désespoir presque et si elle va pouvoir passer au-delà et se trouver vraiment…

« Pour moi, à la fin du film, la vie commence, donc c’est la suite, hors cadre, qui déterminera leurs destinées »

Et revenir, dans 10 ans par exemple, sur les personnages, comme Denys Arcand l’a fait avec Le Déclin de l’empire américain & Les Invasions barbares ?

« Je pense que ça voudrait vraiment dire que j’ai accumulé beaucoup d’échecs !

Non, mais c’est clair, y’a une tentation de se répéter, de toute façon, c’est séduisant, mais j’aime l’idée que l’histoire vit bien toute seule. »

Interview Originale sur le site Lalucarne.org

Naissance des Pieuvres

A propos de Isabelle B. Price

Créatrice du site et Rédactrice en Chef. Née en Auvergne, elle s’est rapidement passionnée pour les séries télévisées. Dès l’enfance elle considérait déjà Bioman comme une série culte. Elle a ensuite regardé avec assiduité Alerte à Malibu et Les Dessous de Palm Beach avant l’arrivée de séries inoubliables telles X-Files, Urgences et Buffy contre les Vampires.

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