Un Noël au nord du 47ème Parallèle

Au matin, autre surprise. Le thermomètre est descendu drastiquement pendant la nuit et malgré un soleil omniprésent, il fait -32°C avec un facteur éolien de -41°C. Fortes de nos prouesses de la soirée précédente, rien ne nous empêche de braver ce froid sibérien. Nous enfilons des pantalons de ski sur nos caleçons, un chandail de polar et nos manteaux norvégiens en duvet d’oies. Capuchons doublés de fourrure bien relevés sur nos tuques et retenus par nos foulards, il va de soi. Nous ajoutons des chauffe-mains dans nos mitaines et des chauffe-pieds dans nos bottes de loup marin.

Le vent souffle toujours du noroît. Pour faire notre marche la solution est d’emprunter le rang nord-sud à la sortie du village qui mène au Lac-Trois-Saumons, petit village de l’arrière-pays, situé à quelques kilomètres de notre condo. Pas un bruit, seules nos bottes crissent sur la neige, les champs sont blancs à perte de vue, le soleil éblouissant, les verres fumés sont de rigueur et nous permettent d’observer à loisir l’étrange ballet d’une nuée de bruants des neiges qui sifflent à pleins poumons malgré la froidure. La route est à peine déblayée, nous marchons prudemment. Le vent nous frappe de côté, heureuses d’être protégées par nos capuchons. Quelques kilomètres plus loin, nous nous rendons à l’évidence, il faut rentrer avant les engelures, au visage, aux doigts ou aux orteils.

Au retour, Madeleine a les joues blanches de froid, j’ai les doigts et les orteils engourdis malgré nos multiples précautions. De bon cœur nous fredonnons gaiement cette chanson de circonstance de Gilles Vigneault :

Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver

Mon jardin ce n’est pas un jardin, c’est la plaine

Mon chemin ce n’est pas un chemin, c’est la neige,

Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver

[…]

Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver

Mon refrain ce n’est pas un refrain, c’est rafale

Ma maison ce n’est pas ma maison, c’est froidure

Mon pays ce n’est pas un pays, c’est l’hiver

[…]

__ « Salut c’est Antoine. Joyeux Noël à vous deux. »

__ « Tu peux te brancher pour un FaceTime? J’aimerais voir les petits. »

__ « Non, non, les enfants sont déjà couchés. »

__ « T’es à Paris alors? »

__ « Oui, nous partons seulement demain pour Buenos Aires. »

Toujours au téléphone avec Antoine, voilà que la sonnerie de mon Ipad se manifeste. Commence alors la ronde des vœux de Noël du Québec. D’abord Jasmin, Margot et leurs trois petits coiffés de leurs tuques du Père Noël, puis Fanny, Peter, leurs enfants et leurs pitreries habituelles. Enfin Caroline et Julien qui nous appellent depuis la campagne profonde au nord de Joliette où ils ont loué un chalet pour quelques jours. Et beaucoup plus tard dans la soirée, Petiote s’isole de ses amis pour le temps d’un FaceTime sur son Iphone. Comblées, pleines d’amour de tous ces enfants et petits-enfants, nous nous endormons dans les bras l’une de l’autre.

Deux jours plus tard c’est l’enchantement ! Un redoux s’est installé sur le Bas-du-Fleuve. Il a neigé plus de quinze centimètres durant la nuit. La température a grimpé d’un bon quinze degrés faisant monter nécessairement le taux d’humidité dans l’air,  si bien que la neige colle aux arbres, aux toits des maisons, aux pieux des clôtures, aux achillées séchées sur le bord de la route et aux quenouilles dans les fossés. Quel plaisir! Quelle joie! Aussitôt nous partons découvrir ces nouveaux paysages.

Habillées plus légèrement de pied en cap, nous nous empressons de profiter de ces images féériques, de toute cette blancheur immaculée. Tout de même, nous sommes ralenties par cette neige collante que les charrues n’ont pas eu le temps de ramasser entièrement. Les bancs de neige sont énormes, à certains endroits ils font plus de deux mètres. Les sapins et les pins plient sous le poids de la neige. Le soleil est radieux, le ciel d’un bleu tellement clair, pas un nuage à l’horizon. Subitement une ombre passe au-dessus de nos têtes, nous levons les yeux à temps pour apercevoir un magnifique harfang des neiges se poser sur le haut d’un poteau d’électricité. Nous avons tout le loisir d’observer ce grand hibou tout blanc dans sa position de chasse et surtout ses beaux grands yeux jaunes. Il est facile de comprendre pourquoi il est devenu  l’emblème aviaire du Québec.

Sans crier gare, Madeleine me pousse sur le banc de neige. J’étends les bras comme une enfant pour faire des moules d’anges dans cette neige vierge. Nous nous amusons longuement à tracer des chapelets d’anges le long de la route. Le rire est au rendez-vous, le jeu se transforme rapidement en une bagarre de boules de neige, on se croirait dans une version pour adultes de La guerre des tuques. Bientôt nous nous enlaçons et roulons comme des folles dans la neige jusqu’au moment où nos lèvres se rejoignent dans un long baiser glacé.      Le goût d’un chai latté et le désir d’un biscuit au gingembre finissent par nous ramener au condo.

__ « Madeleine, viens voir le message que je reçois! »

Objet :           Le souper de Noël

De :                ‘Fanny’

À :                   ‘M’man’

C.C.                ‘Caroline’,  ‘Jasmin’, et ‘Petiote’

Date :            mercredi 28 décembre 2013, 18 h 05

Salut M’man,

Si je me fie aux photos et aux courriels que tu nous envoies, vous vous amusez à l’Islet-sur-Mer. Tant mieux. Il fait si beau depuis la dernière tempête. Nous aussi en avons bien profité. Après notre visite à la famille de Peter à Chateauguay, nous avons skié quelques heures tous les jours. Il faut bien qu’il y ait des avantages à vivre dans le Nord.

Les autres et moi, nous nous sommes enfin mis d’accord sur un moment pour la fête familiale. Si vous êtes toujours partantes, ce sera le trente-et-un pour le souper. Moi et ma bande, Caroline, Julien et Petiote nous serons déjà à Québec le trente pour la fête chez papa. Pas de souci pour la nuit, nous coucherons chez Jasmin, et Caroline a réservé deux chambres dans le Courtepointe & Café La cinquième saison à Saint-Jean de l’Île d’Orléans. Tu la connais, elle et son Île…

Bien hâte de vous voir et de nous retrouver tous. Bonne route de retour.

__ « Alors là! Quelle surprise! Tout ce branle-bas de combat pour revenir à la solution que nous proposions dès novembre. Quelle famille! »

__ « C’est ça les enfants Mamie Madeleine. Ils ne veulent surtout pas se faire dicter quoi que ce soit par les parents. »

__ « Alors nous leur préparerons une fête somptueuse et gargantuesque comme d’habitude, n’est-ce-pas mon amoure? »

Le matin du trente, réveillées dès l’aube, nous faisons nos bagages en vitesse et prenons la route avant 9 h 00. Nous petit-déjeunons au café Bonté Divine à Saint-Jean-Port-Joli. Les scones y sont tellement bons qu’ils valent bien le détour même s’il nous reste une fête à organiser à la maison. Ce matin le temps est au beau fixe, il fait froid mais le soleil est au rendez-vous, les routes sont dégagées, MétéoMédia annonce une vague de froid pour tout le Québec, pas de tempête à l’horizon pour les jours à venir, pas de gros vent non plus, les filles pourront faire la route sans encombre.

Arrivées à Québec en fin d’avant-midi, nous courons partout en ville faire les dernières courses. Grandes surfaces pour les produits de base, petites boutiques et Marché du Vieux-Port pour les produits du terroir traditionnels. Il y a du monde partout, les stationnements sont bondés, j’attends dans la voiture rue Maguire pendant que Madeleine fait quelques achats. Les gens se bousculent. Joyeux, ils dépensent sans compter, il faut bien défoncer l’année en beauté et accueillir dignement la prochaine.

A propos de Ann Robinson

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