Les Lesbiennes en Prison

Jusqu’à cet été s’est tenue à Paris une belle exposition de photographies que je n’ai malheureusement pas vue mais qui a marqué certaines d’entre nous. Son titre : « L’Impossible prison. Prison parisienne 1851-2010 » organisée par Catherine Tambrun et Christel Courtois. Parmi les clichés, celle d’un graffiti laissé par une détenue dans une prison pour femmes :

« La femme que j’ai choisi (sic), la femme que j’ai chéri, la femme que je ferais souffrir, la femme qui me feras mourir c’est ma Milo chérie ».

Au XIXe siècle, les femmes représentaient 15 à 20% de la population carcérale totale en France, contre 3% aujourd’hui : c’est en appelant l’attention sur ce gouffre que Juliette Rigondet montre que la place de la femme a changé peu à peu dans notre société. Si les femmes sont en effet moins nombreuses qu’au XIXe siècle, ce n’est pas parce qu’elles se seraient adoucies, mais parce que les motifs d’enfermement ont été réduits. Au XIXe siècle, les femmes allaient en prison dès que leur sexualité était considérée comme déviante : on retrouvait donc en cellule les prostituées, les femmes adultères, les avorteuses et les avortées, les femmes condamnées pour outrage aux bonnes mœurs (les homosexuelles surtout) et les mauvaises filles envoyées en prison pour « correction paternelle » (une peine qui demeure jusqu’en 1934). Pas simple d’être une femme à l’époque. D’après les statistiques des prisons et des établissements pénitentiaires publiées chaque année au moins sous le Second Empire, on constate que la cause principale de détention des femmes est le vol, puis loin derrière la « rupture de ban » et l’attentat à la pudeur. Selon Julie Daubié, première femme à décrocher le baccalauréat en France, près de 50% des vols commis par les femmes étaient des vols « domestiques » : les femmes en prison étaient donc surtout des voleuses de poule, les criminelles ne représentant qu’entre 15 et 20% des détentions.

D’après le réformateur Léon Faucher, la France est « peut-être le seul pays où l’on ait consacré des maisons spéciales aux femmes détenues » (La Réforme des prisons, p. 115) et à son époque, en 1838, il dit que les hommes surveillent les femmes ou bien des bonnes sœurs. Il n’y a pas comme en Angleterre de dames charitables qui viennent visiter les prisons, ni de femme de prison qui soit gardienne volontaire. Au XIXe siècle, on compte 9 prisons centrales pour femmes sur 23 établissements de ce type (il n’y a plus que 13 centrales de nos jours). Rappelons que les maisons centrales prennent en charge les détenus condamnés à de longues peines et accueillent également les détenus les plus difficiles, ou ceux dont on estime qu’ils ont peu de chances de réinsertion sociale.  Ces prisons se trouvent à Cadillac, Clairvaux, Clermont-Ferrand, Doullens, Hagueneau, Limoges, Montpellier, Rennes et Vannes.

Rennes, inaugurée en 1869, est une prison modèle. Dessinée par l’architecte Alfred-Nicolas Normand, on y trouve des cellules et une nurserie. Elle accueillit les sœurs Papin. On la distingue en bas à droite sur ce cliché de 1880 pris lors d’un vol en ballon.

Lesbiennes en Prison

On la découvre en relief et 3D aujourd’hui.

Lesbiennes en Prison

À Paris, il existe plusieurs prisons pour femmes dont la plus connue est Saint-Lazare spécialisée dans la détention des prostituées malades : c’est un ancien couvent reconverti en prison sous la Révolution (1794) et qui reste en activité jusqu’en 1932. En effet, les prisons pour femmes sont souvent d’anciens couvents : c’est le cas des Madelonnettes ou de Sainte-Pélagie à Paris.

Les prisons sont-elles un bon observatoire des lesbiennes ? Celles d’hier et celles d’aujourd’hui ? Les historiens sont circonspects. En 1986, Jacques Guy Petit écrit : « le lesbianisme en prison n’a évidemment pas l’ampleur ainsi fantasmée mais certaines lettres de détenues expriment un désir amoureux, ou un attachement sentimental, souhaité durable et fidèle » (La Prison, bagne de l’Histoire, p. 120). Il évoque donc à la fois l’importance du fantasme de femmes entre elles, sans hommes, privées d’une sexualité « normale » et qui se laisseraient gagner par le besoin de chaleur humaine à des passions étonnantes et la découverte de matériaux qui attestent de relations entre femmes. Troublante collusion.

Anne-Marie Sohn en 1996 écrit pour sa part : « l’homosexualité féminine provoque les mêmes violences que dans les centrales réservées aux hommes » (Du premier baiser à l’alcôve, p. 53) : l’homosexualité comme un « débordement », la plaie des prisons… Ce n’est plus l’attachement et le besoin de tendresse qu’on perçoit ici, mais des relations de pouvoir qui passent par la domination et éventuellement l’humiliation sexuelle du corps de l’autre. L’homosexualité peut être subie comme une violence insupportable. Comme un viol.

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