Cheveux courts, cheveux longs

Les garçonnes portent souvent un maquillage plus soutenu (khôl, mascara, rouge à lèvre qui deviennent des produits de beauté fabriqués en quantité industrielle). La féminité ne semble plus passer par les cheveux, mais par d’autres symboles codés tels que le maquillage. Il est toutefois évident pour les contemporains qu’il s’agit d’un jeu, d’une mode, d’une revendication qui n’est pas anodine et qui signifie renoncer à un certain confort : celui de l’invisibilité relative qui permet moins de se cacher que de refuser toute étiquette.

La coupe courte est considérée comme le dit la chanson comme « plus commode ». Elle asservit moins la femme. C’est donc une sorte de symbole de sa libération à la dictature de la séduction. C’est aussi une manière de montrer qu’hommes et femmes sont égaux. Sauf que des cheveux longs arborés par un homme ne sont pas un signe de sa féminisation. Bien au contraire : la force de Samson résidait dans ses cheveux longs, et il est de nombreuses périodes dans l’histoire où les hommes ont porté les cheveux longs sans que cela ne nuise en aucune manière à leur virilité.

Dès la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, quelques lesbiennes connues et reconnues comme telles arborent des coupes plutôt courtes. C’est le cas de Radclyffe Hall (voire son portrait) ou de Mathilde de Morny, mais aussi de Gertrude Stein qui vit alors avec Alice B. Toklas.

Jeanne d'Arc

Déjà à cette époque, les lesbiennes se divisent entre celles qui arborent les cheveux longs et se veulent plutôt féminines, descendantes de Sappho, et celles qui ont une allure plus masculine. Cette division se retrouve dans les années 1940/1950 avec l’apparition du couple « butch/fem » aux États-Unis. Cette sous-culture, très répandue en Amérique du Nord, est une vision très simplifiée du couple de femmes. Elle est particulièrement répandue dans les milieux populaires et dans les bars « communautaires ». Dans les années 1950-1960, la « butch » est censée porter les cheveux courts, bander sa poitrine, se vêtir de costumes ou de vêtements masculins, tandis que sa « compagne » presque naturelle, la « fem », peut porter des cheveux longs, des talons, des jupes, du maquillage. Dans les milieux lesbiens d’Amérique du Nord dans les années 50, les lesbiennes qui ne rentraient pas dans ce moule étaient considérées comme « confuses » et mal vues. De même, les relations « butch/butch » ou « fem/fem » étaient inenvisageables ou plutôt complètement taboues. À l’allure et l’apparence physiques correspondaient également des traits de caractère : la « butch » était censée être plus expérimentée, active sexuellement, plus solide, plus « dure » et elle devait satisfaire sexuellement sa partenaire. Y compris en s’oubliant soi-même et en refusant de se faire toucher intimement par sa belle (c’est le cas-limite, mais fascinant, de la stone-butch qu’évoque Leslie Feinberg dans son livre de 1992 : Le Blues de la stone-butch). La « fem » au contraire incarnait les valeurs de la femme passive, offerte au plaisir, plus sensible, plus fragile aussi.

À la fin des années 1960 et surtout au cours des années 1970, ce dispositif – entièrement culturellement construit et qui masquait des identités lesbiennes évidemment beaucoup plus variées et plurielles – fut sévèrement remis en cause, notamment par le mouvement féministe renaissant. Le couple « butch/fem » fut dénoncé comme une imitation du couple hétérosexuel qui propageait des valeurs patriarcales misogynes. Les « butches » ont été particulièrement la cible des attaques car elles furent considérées comme des lesbiennes qui refusaient leur féminité, des travesties – ce que n’auraient pas été les « fems ». C’est évidemment contestable, puisque le couple est un jeu de rôles et chacune joue un rôle, donc se travestit (c’est ce que montre parfaitement Judith Butler dans Trouble dans le genre qui réhabilite d’une certaine manière le couple « butch/fem », mal jugé par les féministes pour de fausses raisons). La « butch » fut également une cible plus facile parce que plus visible : une femme aux cheveux courts reste relativement rare, surtout dans certaines tranches d’âge (les femmes aux cheveux courts sont plus nombreuses à partir de 60 ans). Enfin, les lesbiennes féministes leur reprochaient d’avoir une image machiste de leurs compagnes, les « fems ». Le deuxième opus de If these walls could talk 2 est de ce point de vue très représentatif de la scission entre féministes et « butches ».

Jeanne d'Arc Jeanne d'Arc

Le type d’union « butch/fem » devenait un symbole d’archaïsme pour des raisons politiques et militantes, même si cela signifiait l’oubli de ce qui faisait aussi le succès du couple « butch/fem » – un couple où les relations ne sont pas aussi planifiées qu’elles ne le semblent.

Le résultat a été une réaction au couple « butch/fem » menée sur plusieurs terrains : d’abord celui de l’homogénéisation des lesbiennes visant à combattre les stéréotypes qui enfermaient les identités lesbiennes ; ensuite la mode des lesbiennes androgynes qui ne se reconnaissent pas dans le modèle « butch » (c’est ce qu’incarne Shane par exemple dans la série The L-Word, or Shane – est-ce un hasard ? – est coiffeuse) ; enfin la diffusion d’une contre-image : celle de la lesbienne lipstick, qui présente des caractéristiques physiques communes avec l’ancienne « fem » mais se distingue par ses caractéristiques morales : elle n’est plus effacée, plus passive, mais au contraire éventuellement sexuellement agressive, en chasse, et sûre de son sex-appeal.

Ce n’est que dans les années 1980 et surtout 1990 qu’une défense et illustration des « butches » a fait son apparition. L’identité « butch » a évolué pour se transformer en drag king. Son symbole le plus évident est l’artiste K.D. Lang.

Jeanne d'Arc

Il n’en demeure pas moins que si l’on prend l’exemple des actrices hollywoodiennes qui incarnent un certain standard et une représentation de la féminité sensuelle, les rares actrices qui se sont coupées les cheveux très courts l’ont fait uniquement pour convenir à leur rôle. C’est le cas de Demi Moore pour interpréter un GI à l’écran. Il est vrai que depuis 2009, les « people » ou « stars » qui arborent les cheveux courts sont plus nombreuses, mais ce n’est pas sans faire courir le risque de rumeurs sur leurs préférences sexuelles. Parmi ces dernières, citons Rihanna par exemple. Pour éviter toute confusion, mieux vaut être une fashion victim ou une égérie d’une grande marque de mode, telle Emma Watson :

Jeanne d'Arc

Les commentaires des magazines féminins sont clairs : une coupe courte peut être « hot » si elle est associée au port de la robe, de décolletés plongeants, de talons hauts et de maquillage. La preuve par Lorie sur le site « plurielles.fr ».

Décidément, nous n’avons pas fini de deviser sur la longueur des cheveux… Pour toute femme, c’est aujourd’hui un choix mais qui n’est pas sans conséquence.

Répondre