Une Communauté Lesbienne ?

En France, l’idée d’une communauté homosexuelle en grande partie fantasmée est ancienne (voir l’article sur la Secte des Anandrynes). Au début des années 1920, à Paris, à Zürich ou dans quelques grandes villes allemandes, l’existence de petits groupes de divertissement et de salons homosexuels ou lesbiens est attestée (voir l’article sur Natalie Barney), mais ces groupes ont un rôle d’abord identitaire et culturel à usage purement interne et ne font pas pression sur les pouvoirs publics en se mobilisant ou en manifestant. À la fin du XIXe siècle, quelques médecins allemands (Magnus Hirschfeld) et anglais (Havelock Ellis) font évoluer la conception de l’homosexualité en même temps qu’ils la créent en tant que catégorie médicale (ils inventent le mot d’homosexualité en 1868). Certaines figures de l’époque investissent ces théories, telle Radclyffe Hall qui incarne l’invertie d’Havelock Ellis. On ne peut pas cependant parler de « communauté » homosexuelle ayant des codes communs.

Vers la naissance de mouvements communautaires homosexuels

Les homosexuels occidentaux et surtout européens vivent dans des contextes sociaux et politiques très différents. Les cadres juridiques et pénaux restent cependant assez contraignants et répressifs un peu partout : en France, il n’y a pas de crime de pédérastie ou d’homosexualité depuis la Révolution française (qui fait disparaître le crime religieux de sodomie), mais il est interdit de se travestir ou de commettre un attentat ou un outrage à la pudeur et aux bonnes mœurs (ce délit ayant des contours particulièrement flous).

En Allemagne, dont l’unification date de 1871, la législation de 1874, mise en place par le chancelier prussien Bismarck, reprend une vieille loi prussienne de 1794 pénalisant l’homosexualité masculine (le fameux paragraphe 175). Ce cadre qui criminalise l’homosexualité est renforcé en 1935 par le régime nazi et vaut aux homosexuels hommes d’être déportés dans les camps d’extermination sous la marque infamante du triangle rose. Il demeure après la Seconde Guerre mondiale et reste motif d’emprisonnement jusqu’en 1969. En Suisse, l’homosexualité est en voie de dépénalisation dans les années 1930 mais la police des mœurs continue les surveillances et constitue des fichiers de noms. En Angleterre, en 1861, la peine de mort est abolie pour punir les crimes de sodomie : elle est remplacée par la prison à vie. En 1885, le « Labouchere Amendment » abolit la prison à vie pour les « actes de débauche » et instaure une peine maximale de deux ans de travaux forcés.

C’est dans ce contexte que naissent des mouvements de revendications homosexuelles portés par des communautés clairement structurées en cette vue à partir de la seconde moitié du XXe siècle. Le premier magazine homosexuel date de 1932-1934 : il s’agit d’un titre suisse, Der Kreis, s’adressant à un public masculin homosexuel et vendu sur abonnement. Il dispensait des conseils pratiques, préconisait un nouveau style de vie, invitait ses lecteurs à la retenue (dès 1942 avec un supplément en français, dès 1951 avec des articles en anglais et un titre trilingue Der Kreis-Le Cercle-The Circle).

Communauté Homosexuelle

En France, suivant l’héritage des salons des années 1920-1930, apparaît le club Arcadie en 1954. Celui-ci se définit comme un groupe homophile mais, et c’est une nouveauté, il souhaite promouvoir l’homophilie via le biais d’une revue (Arcadie). Il n’est pas question de défendre une autre sexualité mais de valoriser, sur le modèle grec, l’amour et les sentiments entre garçons et entre hommes. En 1958, le groupe a grandi et organise des banquets tous les ans, autorisés par la Préfecture de Police. Dans la mouvance de mai 1968 en France, qui voit la prise de parole de groupes autrefois priés de se taire, une forte critique de l’autorité patriarcale et une certaine libération des mœurs au nom de la liberté individuelle, ce groupe sympathise avec d’autres formations plus clairement militantes. Ainsi, s’est créé un Comité d’action révolutionnaire pédérastique (ou CARP) qui colle ses premières affiches sur les murs de la Sorbonne en mai 1968. L’objectif, radical, est de donner une visibilité aux homosexuels de France par tous les moyens. Il n’est plus question de se cacher ou d’en rester à une communication à usage interne. La sexualité, reléguée avant 1968 à une place secondaire, prend brutalement la première place et devient même un bélier pour lutter contre l’ordre établi, qui devenait aussi sexuel. La contestation naît et prend une forme radicale et fortement politique.

Le 10 mars 1971, dans son émission radiophonique quotidienne « Les auditeurs ont la parole », enregistrée en direct de la salle Pleyel, la chroniqueuse Ménie Grégoire subit les cris et l’irruption de militants homosexuels venus assister à son numéro consacré à « l’homosexualité, ce douloureux problème ». Les militants en colère, irrités de la présentation misérabiliste et négative de l’homosexualité, font entendre par voie des ondes un appel : « Battez-vous ».
La même année, naît le FHAR, le Front homosexuel d’action révolutionnaire, qui fait la synthèse des féministes lesbiennes (souvent membres du MLF) et des activistes gays.

Communauté Homosexuelle

Aux États-Unis, le mouvement gay naît officiellement en juin 1969, suite à trois jours d’émeute à New-York, dans Christopher Street, au cœur de Greenwich Village (dites aussi émeutes de Stonewall). Le 28 juin, les forces de police de la ville font une descente dans le « Stonwall Inn », un bar gay de rencontres entre les homosexuels et les transgenres. À cette époque, à New-York, il est interdit de servir de l’alcool à des homosexuels, de danser entre hommes et surtout de se travestir. Ces trois pratiques sont considérées comme un attentat à la pudeur. Le « Stonewall Inn » est le seul bar où la police n’ose pas faire de descente : tenu par la mafia, il accueille les homosexuels new-yorkais en mal de lieu de rencontre. Si la police tente un raid en 1969, c’est parce que le maire de la ville craint de perdre les futures élections et veut se refaire une image aux dépens de la communauté homosexuelle. Seulement, l’opération de routine, menée par des policiers en civil, tourne mal et se transforme en émeute. Les cinq jours suivants, les lynchages continuèrent ainsi que les combats entre homosexuels et policiers, sous les yeux de la presse avertie par Craig Rodwell, le propriétaire de la première librairie gay du quartier (ouverte en 1967). Pour la première fois, les homosexuels new-yorkais cessent de faire profil bas, se rebellent sous les coups des policiers et crient « Gay power » (le pouvoir gay). La conséquence de ces journées est la création à l’été 1969 du Gay Liberation Front (GLF)  dans lequel se retrouvent quelques lesbiennes.

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