Emily Dickinson (1830-1886)

Pour beaucoup d’Américains (instruits), Emily Dickinson est un monument de la poésie américaine, au même titre que Walt Whitman ou Yeats. Des congrès réunissent tous les ans des chercheurs du monde entier qui s’intéressent à son œuvre grâce à la Emily Dickinson International Society. Sa maison a été transformée en musée et ouverte au public en 2003. Des cours déchiffrent son art dans les plus grandes universités du monde. Pourtant, Emily Dickinson fut totalement inconnue toute sa vie durant : seuls cinq poèmes furent publiés, dont trois sous le sceau de l’anonymat. En France, l’ensemble de son œuvre n’a été publié que très récemment.

Aujourd’hui, malgré plusieurs décennies de travaux et de recherches menées essentiellement aux États-Unis, Emily Dickinson reste bien énigmatique et l’une des questions qui trouble le plus ses commentateurs est celle de sa sexualité : ce grand poète était-elle lesbienne ?

Emily Dickinson

L’historien ne s’arrête plus vraiment à la porte de la chambre de nos jours. Mais, pour pouvoir pénétrer la sphère la plus intime d’un individu, encore faut-il des traces et des témoignages. Dans le cas d’Emily Dickinson, les traces existent mais se heurtent à bien des difficultés d’interprétation.

Certains documents ne posent pas problème, tel son acte de naissance : Emily naît le 10 décembre 1830 dans une famille très en vue de la ville provinciale d’Amherst, dans le Massachusetts. Sa famille a associé son nom à l’histoire de la ville depuis sa fondation en 1753. Les Dickinson sont les descendants de colons puritains anglais, arrivés dans le « Nouveau Monde » avec la première vague migratoire des « Fathers Pilgrims ». Beaucoup des hommes de la famille ont servi la petite communauté installée à Amherst en faisant profession d’avocats, d’éducateurs, de juges et de sénateurs. Le père d’Emily, Edward Dickinson, est un homme influent et important aussi bien à l’échelle locale (Amherst) qu’au plan fédéral. C’est un homme occupé. En 1828, il a épousé Emily Norcross, une jeune femme de 24 ans. Onze mois après leur mariage naissait un premier enfant, un garçon : William Austin. Emily est la cadette et naît deux ans plus tard. Le couple aura un dernier enfant, trois ans plus tard, la petite sœur d’Emily : Lavinia, surnommée Vinnie.

Emily Dickinson

Le couple, seulement aidé d’une servante irlandaise pour les soins de la maison, élève les trois enfants dans la plus stricte orthodoxie puritaine. La mère d’Emily ne se passionne pas pour la réflexion. La lecture de romans est prohibée, de même que les distractions (danse, jeux de carte). La mère d’Emily sort très peu de chez elle et quand en 1875, elle succombe à une attaque de paralysie, elle s’enterre définitivement à Homestead (nom de la maison des Dickinson). Emily est élevée dans la lecture de la Bible. Elle va à la chorale de l’église. Dans ses lettres à son ami, l’abolitionniste et homme politique Thomas Wentworth Higginson, elle explique qu’elle n’avait pas de mère au sens où Mme Dickinson ne lui apportait aucun soutien ou réconfort. Quant à son père, il était trop occupé.

Emily Dickinson

On sait qu’Emily choisit de vivre peu à peu dans la réclusion la plus totale et que, dans les dernières années de sa vie, elle ne quittait plus sa chambre et les allées de son jardin. Pour autant, ce ne fut pas toujours le cas. Emily Dickinson ne fut pas la créature solitaire que l’on fantasme. Emily vit dans une maison constamment ouverte aux visites : s’y succèdent les clients de son père avocat, les étudiants et professeurs du College de Amherst dont Edward est le trésorier, des hommes politiques (collègues de M. Dickinson, plusieurs fois élu au Congrès), des pasteurs et des hommes d’affaires (le père d’Emily avait fondé une compagnie de chemins de fer). En outre, dès l’âge tendre de 5 ans, Emily est mise à l’école publique (au West Center District School). Toutefois, elle semble fragile et souvent malade : à chaque fois, son père obtient qu’elle reste à la maison. À l’âge de 10 ans, elle poursuit ses études dans l’Amherst Academy, alors très peu ouverte aux filles. Ce « lycée » a été créé par son grand-père en 1814. Les journées y commencent et se terminent par des prières. Dès l’âge de 12 ans, son professeur de composition, M. Fiske, remarque Emily : la jeune fille est jugée « très brillante » et ses écrits d’une « originalité frappante ». Ce genre de compliments ne pouvait pas lui attirer l’attention de sa mère, ni celle de son père qui ne voyait en elle qu’une pâle et frêle enfant. Cependant, ses camarades de lycée reconnaissent qu’elle est intelligente. Ses textes paraissent dans les colonnes du journal du lycée, Forest Leaves. Emily ne semble pas solitaire. Elle fait partie d’un sorte de « club des 5 » avec quatre autres jeunes filles de son âge. Elle a aussi des connaissances d’âges très variés. On sait aussi qu’elle fit un voyage en septembre 1846 pour rendre visite à sa tante à Boston.

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