Les femmes cathares, ces bougresses

Au Moyen-Âge, l’Europe est majoritairement chrétienne. Depuis le XIe siècle, l’Église romaine, dominée par le Pape, essaie d’imposer ses règles à l’ensemble des sociétés qui se situent au nord du Bassin méditerranéen. Elle développe un christianisme de combat, à l’offensive, qui repousse les Musulmans vers les rives sud de la Méditerranée, convertit les païens de l’Europe du Nord, persécute les Juifs et tous ceux qui ne pensent pas comme elle.

Femmes cathares

Cette conquête ou « reconquête » s’appuie sur une vision du monde particulière : pour les Chrétiens, le séjour sur Terre est une punition. Il est le châtiment réservé aux descendants d’Adam et Ève après le Péché Originel, après la Chute et l’expulsion du Paradis.

La vie terrestre est donc traversée sans joie, dans la résignation et dans l’attente du Jugement dernier qui doit permettre aux bons Chrétiens de rejoindre le Royaume de Dieu : le Paradis.

Dans les régions du Sud de l’Europe, se développe pourtant une vision différente du Message de la Bible, une lecture qui contredit celle que défend et diffuse la Papauté. Cette lecture est défendue et soutenue par ceux que les chrétiens vont finir par appeler les « Cathares », ce qui en grec veut dire « les Purs ».

Ce qui va retenir notre attention ici est moins l’histoire des cathares que ce que l’épisode cathare révèle de la structuration genrée et sexuelle des sociétés médiévales en Europe.

Dans l’Europe chrétienne, les femmes sont considérées comme un sexe inférieur : Ève n’était après tout qu’une créature de seconde catégorie, créée par dérivation, à partir d’une côte d’Adam, le premier homme, et d’un peu de boue. Elle n’était pas dans les plans initiaux de Dieu et elle est entachée de cette création beaucoup plus matérielle, beaucoup moins spirituelle. Elle n’est clairement pas à l’image divine.

En outre, les femmes sont considérées comme des êtres diaboliques et les instruments du Diable. Au Jardin d’Éden, c’est Ève qui se laisse séduire par le Serpent (le Mal) et qui goûte le fruit de l’arbre défendu (celui de la connaissance du Bien et du Mal).

Femmes cathares

Voici un bas-relief daté de 1130, attribué au sculpteur Gislebert et qui se trouvait sur le linteau du portail nord de la cathédrale d’Autun. Il est aujourd’hui incomplet et exposé au musée Rolin de la ville. Nue, couchée, ondulante, pécheresse car elle tient déjà dans la main la pomme qui est devenue depuis le symbole du fruit de l’arbre de la connaissance, elle est considérée comme la première représentation d’une femme nue dans la statuaire chrétienne.

Chez les chrétiens, la curiosité est un vilain défaut. Ève est une tentatrice, car c’est à cause d’elle, de sa persuasion, qu’Adam goûte à son tour au fruit défendu. La femme mène donc l’homme à sa perte et elle est l’instrument du démon. Ainsi est-elle de plus en plus souvent comparée au serpent : langue faite pour le persiflage et le mensonge, attitude serpentine, ondulante comme un « serpent qui danse » (Baudelaire), telle est désormais l’image de « la » femme en Occident chrétien : une image caractéristique de la misogynie chrétienne très répandue au Moyen-Âge. Il s’ensuit que le rôle des femmes dans la société chrétienne est strictement encadré par l’Église et qu’il doit, pour les hommes de cette époque, être réduit au rôle d’épouse fidèle et de procréatrice. Le travail de la femme, son destin et son supplice voulu par Dieu depuis la Chute d’Adam et Ève est d’enfanter dans la douleur et de se taire. Elle doit rester au foyer et rester à sa place. Pour préserver son innocence, il est donc crucial qu’elle reste dans l’ignorance en particulier de son corps. Il lui est interdit de dormir nue, de se regarder avec trop d’insistance dans les miroirs (diaboliques), de se parer avec trop de coquetterie, d’exposer son corps aux regards des autres et en particulier des hommes. La femme qui craint Dieu doit arriver pucelle au mariage et rester de marbre la nuit de noces. C’est en tout cas la théorie…

Femmes cathares

Les Cathares, qui sont un « mouvement » ou une « secte » qui apparaît au tournant de l’an Mil, qui s’appellent entre eux les “Bons Hommes” ou les “Bonnes Dames”, ont une lecture sensiblement différente de la Genèse. Pour eux, Dieu n’a pu créer que le bon : c’est un principe bon qui ne peut connaître le mal ni vouer ses créatures au mal. Invisible, absent du monde, désincarné, il a créé les Esprits et les âmes qui sont divines par essence. Le Mal s’est immiscé dans la Création. Il a créé des corps charnels, d’essence maléfique, pour détourner les âmes. Il a ainsi réussi à détourner un tiers des esprits.

Pour les Cathares, les hommes et les femmes sont donc deux créatures de chair et de sang à égalité, deux créatures à la fois divines par l’esprit et diaboliques par la chair. La femme n’est pas plus maléfique que l’homme : ils le sont tous les deux. La conséquence en est alors la suivante : les femmes ont toute leur place dans les églises cathares, alors qu’elles sont exclues des églises chrétiennes. Même si on ne connaît pas d’évêques femmes ou de diaconesses (l’équivalent féminin du diacre), on sait que les femmes avaient des pouvoirs, pouvaient prêcher, lire la Bible, enseigner, donner en urgence le seul sacrement que reconnaissent les cathares, à savoir l’imposition des mains (consolament). C’est donner une importance sociale et publique considérable aux femmes de cette époque. Et d’ailleurs, le catharisme a beaucoup tenté les femmes et les filles appartenant à l’élite sociale.

C’est une première subversion du genre. Cela ne pouvait être toléré par une Église chrétienne en pleine expansion.

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