L’homosexualité chez les romains dans l’antiquité

On peut se réjouir de l’existence depuis 2007 d’un excellent livre sur l’homosexualité féminine dans l’Antiquité grecque et romaine : celui de l’historienne Sandra Boehringer, actuellement maître de conférences à l’université de Strasbourg. Avant ce livre, force est de constater que les travaux sur la sexualité étaient assez peu nombreux sur cette période ancienne et pourtant porteuse de nombreux fantasmes. Cette rareté devient carrément pénurie quand il s’agit d’homosexualité féminine. Cela n’est pas seulement un effet de notre monde contemporain.

Sandra Boehringer constate la dissymétrie qui existe chez les Anciens, entre ces deux types de pratiques que les modernes englobent de manière inappropriée sous le nom d’homosexualité (qui renvoie non seulement à des pratiques mais à une identité sexuelle). Les relations entre femmes, de manière assez inattendue pour nous en 2010, « n’entrent pas, pour un public romain, dans le domaine de l’érotisme » (p. 222). Elles ne font pas l’objet de dispositifs légaux particuliers et elles n’entrent pas dans le champ de l’adultère tel qu’il est défini par les lois (p. 270). C’est dire qu’il n’y a pas, en Grèce ou à Rome, de symétrie entre hommes et femmes, que la « sexualité » des Anciens, pas plus que leur morale, ne s’ordonne en distribuant les interdictions et les permissions autour des critères de la différence des sexes. Chez les Anciens, les relations sexuelles sont rarement décrites dans un cadre romantique ou sentimental, ce qui leur a valu une très mauvaise réputation jusqu’à nos jours. Après tout, les Romains sont souvent vus comme des dépravés lubriques se livrant à des orgies. Cette vision, ainsi que celle qui les inscrirait uniquement dans un rapport de pouvoir et de domination, a été révisée.

D’abord, les sources pour documenter l’amour entre femmes existent. Les archéologues ont, par exemple, retrouvé des objets peints avec des représentations intéressantes à interroger. Voici une coupe datée du 7e siècle avant notre ère.

Homosexalité antiquité romaine

On y voit deux femmes, portant chacune une couronne (un cadeau typique échangé entre amoureux). L’une touche le menton de l’autre, dans un geste typique de séduction. Leurs gestes et leur façon d’être habillées suggèrent que l’une est plus âgée que l’autre.

Sur cet autre objet exposé dans le musée archéologique de Tarquinia, au Nord-ouest de Rome, et dont le décor peint est attribué à Apollodore (un artiste athénien), on voit deux femmes entièrement nues. Celle qui est assise touche les parties génitales de celle qui est debout.

Homosexalité antiquité romaine

Comment interpréter cette scène ? Est-ce une scène sexuelle simplement parce que les deux femmes sont nues ? La coupe que porte la femme debout est-elle une coupe de vin, annonçant des libations, ou renferme-t-elle de l’huile ou du parfum pour la toilette ? Peut-il s’agir de prostituées à la toilette ? Certains pensent qu’il s’agit d’une scène d’épilation intime…

Les textes littéraires sont-ils plus explicites ? Ce n’est pas si sûr. Il existe plusieurs personnages dont les amours peuvent être de nature saphique. Ainsi, Martial (poète latin du 1er siècle de notre ère, né en Espagne) décrit dans ses Épigrammes deux femmes très différentes qui ont en commun d’avoir des amours avec des femmes. Ces œuvres courtes, souvent obscènes, étaient alimentaires. La première est Bassa. Martial dénonce son secret :

« Parce que jamais je ne voyais, Bassa, d’hommes avec toi et parce que personne ne racontait que tu étais une débauchée et que tu étais entourée de gens de ton sexe pour te servir et que jamais un homme ne t’approchait, j’avoue que tu me paraissais une Lucrèce.  Mais, horreur ! C’est toi, Bassa, qui était le baiseur.  Tu oses accoupler des cons identiques et un prodigieux clitoris te fait ressembler à un homme.  Tu as imaginé une monstruosité digne de l’énigme de Thèbes : ne pas avoir besoin d’homme pour être adultère » (livre 1, épigramme 90).

À l’évidence, Bassa est une femme de la bonne société, d’un haut rang social. Elle dispose de nombreuses servantes qu’elle utilise pour ses plaisirs. Ce goût étrange, Martial l’attribue à une particularité anatomique : la taille du clitoris, pensé comme un pénis féminin. Il semble suggérer qu’elle utilise un artifice pour « baiser » ses subordonnées : s’agirait-il d’un godemiché ou plutôt d’un olisbos (phallus de cuir avec attaches) ?

Dans cet épigramme, la sexualité de Bassa est mal vue car Bassa n’a pas la réputation qu’elle mérite : elle ne devrait pas passer pour une « Lucrèce », c’est-à-dire le modèle de vertu des femmes romaines tel qu’il a été construit par l’historien Tite-Live, contemporain de Martial. Lucrèce avait été violée et ne s’entourait plus que de femmes à son service. Chez les Romains, la réputation d’une femme tient à son statut social et familial. Une femme mariée doit être fidèle, tandis qu’une jeune fille doit être chaste et vierge. La pudeur est donc exigée dans le comportement sexuel des femmes. Le fait qu’elle ait des relations avec des femmes pose moins de problème que son absence de pudeur.

Le deuxième personnage que Martial introduit dans la littérature romaine est celui de Philénis. Au livre 7, épigramme 67, voici comment il présente celle-ci :

« La tribade Philénis prend par derrière de jeunes garçons, et plus furieuse qu’un mari dans son ardeur lubrique, en un seul jour, elle dévore de caresses infâmes onze jeunes filles. Retroussée jusqu’à la ceinture, elle joue à la balle ; et le corps frotté de la poussière jaune des lutteurs, elle lance d’un bras souple et vigoureux les pesantes masses de plomb dont se servent les athlètes ; après la lutte, inondée de poussière et de boue, elle se fait flageller par les mains huileuses du maître des jeux : jamais elle ne soupe ! Jamais elle ne se couche sur le lit du festin avant d’avoir vomi sept mesures de vin pur ; et elle se croit le droit d’en avaler encore autant lorsqu’elle a mangé seize de ces pains apprêtés pour les lutteurs. Puis enfin, lorsqu’elle se livre à ses ébats libidineux, elle ne caresse pas de sa langue le priape masculin, volupté qu’elle croit peu digne de son rôle d’homme ; mais elle dévore avec frénésie les charmes secrets des jeunes filles. Que les dieux, Philénis, te rendent le bon sens, si tu crois que l’homme doit employer sa langue aux jouissances de la femme ».

Le tableau est complété trois épigrammes plus loin :

« Tribade des tribades, Philénis, la femme avec laquelle tu fais l’homme est celle que tu crois devoir appeler ta maîtresse » (livre 7, épigramme 70).

Ici, le portrait semble plus détaillé et plus à charge. Philénis n’est pas tant une « tribade » qu’une femme qui se prend pour un homme. Martial la dépeint enculant aussi bien des garçons que des filles. S’il semble lui reprocher de se livrer à la pratique du cunnilingus, alors qu’elle refuse la fellation, et surtout de penser que les hommes excitent ainsi les femmes, alors qu’il n’en est rien selon lui. Il dresse un tableau d’une femme virile, athlétique, qui en veut faire plus que les hommes.

Un autre auteur qui vécut dans l’Empire romain au 2e siècle de notre ère et qui écrivit sur les tribades est Lucien de Samosate. Au chapitre 5 du Dialogue des courtisanes, il décrit la « tribade » Mégilla qui se fait appelée « Mégel », qui exhibe sa femme et qui a la tête rasée comme un homme.

Homosexalité antiquité romaine

Certes, dans les trois cas, la monstruosité domine, mais ces dialogues sont censés faire rire leurs lecteurs. Ces femmes sont ridicules parce qu’elles transgressent les règles établies de leur genre, non pour leurs pratiques entre femmes qui ne sont, le plus souvent, que des imitations de la pénétration masculine ou des caresses sans conséquences.

Les travaux les plus récents, entrepris depuis 1999, ont montré que les Romains ne trouvaient pas les amours entre femmes répugnants ou bien dépravés : il n’y avait pas de condamnation ni morale, ni judiciaire. En revanche, ces pratiques leur semblaient étranges.

Pouvons-nous savoir quelque chose de ces femmes que les Romains appelaient des tribades ? C’est bien difficile, dans la mesure où n’avons que la perception masculine de pratiques féminines mal comprises. Nous pouvons juste dire que ces pratiques existent, qu’elles ne sont pas vraiment considérées comme des pratiques érotiques ou dangereuses pour un mari qui serait ainsi trompé, en tout cas avant que l’Empire romain ne devienne un Empire chrétien. Elles étaient jugées étonnantes, mais étaient finalement tolérées (même si elles suscitaient la moquerie ou l’incompréhension).

Pour en savoir plus, voici une intervention de Sandra Boehringer sur l’amour tel qu’il était conçu dans l’Antiquité : http://www.canalc2.tv/video.asp?idVideo=2289&voir=oui

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