Lesbiennes, peinture et fidélité

Il existait à Paris, au XIXe siècle, une école privée de sculpture et de peinture fondée en 1867. Cette école s’appelait l’Académie Julian. En 1880, l’Académie, installée dans le 9e arrondissement, passage du Panorama, ouvrit un nouveau site situé au 52, rue Vivienne dans le 2e arrondissement qui avait la particularité de n’être ouvert qu’aux femmes. Ce site accueillait les artistes professionnelles tout comme les amatrices et permettait aux femmes venues de tous les pays de suivre des cours de peinture, de perfectionner leur technique et même de peindre à partir de modèles vivants nus (masculins et féminins).

Academie Julian

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Déjà, à partir du XIXe siècle, les femmes peintres pouvaient exposer leurs œuvres au Salon avec plus de liberté qu’auparavant et même y recevoir des prix et des récompenses.
C’est dans ces deux endroits que l’on peut découvrir les traces de femmes artistes peintres, notoirement lesbiennes à leur époque, qui s’y rencontrèrent et, au détour d’un portrait, se choisirent et vécurent de longues années ensemble.

Rosa Bonheur (1822-1899) : la femme aux deux amours

Née à Bordeaux, Marie Rosalie Bonheur, dite Rosa Bonheur est la fille aînée d’un peintre paysagiste, aux idées radicales teintées de saint-simonisme. Elle grandit à la campagne, notamment dans le château Grimont (un château viticole), et y acquiert la réputation d’être un vrai garçon manqué. Encouragée à faire ce qui lui plaît par son père qui veut aider à l’émancipation des femmes et au dépassement des rôles sexués, elle élève un mouton sur le balcon de son appartement parisien quand la famille déménage et prend des cours de peinture, d’abord aux côtés de son père, puis au Louvre dès l’âge de 13 ans. Rosa Bonheur expose pour la première fois au Salon en 1841 : elle n’est âgée que de 19 ans. Elle fait de la peinture animalière, celle que lui a enseignée son père et qui inspire aussi ses autres frères et sœurs.

En 1837, le père de Rosa réalise le portrait d’une fillette de 12 ans, Nathalie Micas. Rosa et elle sympathisent. Longtemps, elles ne furent que des amies, puis, en se revoyant, plus tard, elles devinrent des amantes. Les deux femmes sont artistes peintres. Toutes les deux ont du talent. Mais Rosa rencontre le succès de manière précoce et remporte très vite des prix.

En 1859, les deux femmes s ’installent à By, sur la commune viticole de Thomery, dans la région parisienne. Rosa, indépendante financièrement, y aménage un atelier et des espaces pour les animaux. Nathalie s’occupe de la maison. La carrière de Rosa passe alors nettement avant celle de Nathalie qui se renferme, peint des scènes d’intimité intérieure et surtout passe pour une femme jalouse qui fait des scènes à Rosa, l’extravertie et l’exubérante. Très clairement, Nathalie met sa carrière entre parenthèses pour vivre sa vie amoureuse avec Rosa.

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Leur couple s’identifie à un couple classique : Nathalie entre dans le rôle de l’épouse qui prend soin du logis, tandis que Rosa est le mari qui porte la culotte. Depuis 1857, Rosa demande tous les six mois à la Préfecture de Police le droit (qu’elle obtient légalement) de porter un pantalon pour raison professionnelle.  En effet, Rosa Bonheur ne peint pas des scènes romantiques ou des portraits de femmes. Elle est une spécialiste de la peinture animalière. Elle se rendait donc habillée en homme dans les abattoirs, les foirails et les foires aux bestiaux pour y trouver ses sujets de peinture. Cette identité « masculine » atypique n’est cependant pas trop mise en avant : Rosa insiste sur le caractère pratique du pantalon dans son activité d’artiste peintre, mais refuse le plus souvent de se faire prendre en photo habillée en homme ou de rencontrer des gens dans cette tenue.

Academie JulianAcademie Julian

Les deux femmes vécurent ensemble jusqu’à la mort de Nathalie Micas en 1889. Cette histoire est celle d’un amour d’enfance qui dure : entre 1837, moment de la première rencontre, et 1889, 52 ans s’écoulèrent. Les histoires longues n’ont parfois pas d’histoire.

À la mort de sa compagne, Nathalie Micas, Rosa Bonheur n’a pas refait tout de suite sa vie : la tristesse d’avoir perdu sa compagne l’a fait sombrer dans une période de dépression. Mais la vie a ses hasards. La même année qui voit l’enterrement de Nathalie Micas est aussi celle de la rencontre avec une nouvelle artiste peintre, l’américaine Anna Klumpke, formée à l’Académie Julian.

Cette rencontre a été voulue par Anna. En effet, Rosa Bonheur est l’artiste peintre femme française la plus connue de sa génération. Sa réputation dépasse les frontières de la France. Elle atteint les États-Unis en 1859 grâce à sa toile sur la « Foire aux chevaux », montrée à New-York par le marchand d’art Gambart. Ce tableau est donné au Metropolitan Museum de New-York en 1887 par Cornelius Vanderbilt.

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