Liane de Pougy (1869-1951), prêtresse bisexuelle, “grande horizontale” et princesse repentante

Dans le Paris de la Belle Epoque (avant 1914) et des années folles juste après la Première Guerre mondiale, le nom de Liane de Pougy est sur toutes les lèvres. Elle excite la jalousie, suscite des passions, réveille les fantasmes des hommes et des femmes. Cette « créature », très belle et très distinguée, règne alors sur la scène frivole du music-hall et sur le demi-monde, ce monde aux marges du grand monde fréquenté par les Puissants et qui se compose de prostituées de haut-vol, celles qu’on nomme aussi les « horizontales », dont elle fait partie.

Liane de Pougy est un pseudonyme aristocratique, un masque derrière lequel se cache une femme au parcours étonnant et révélateur d’une culture féminine fortement ambivalente qui oscille entre deux destins : la prostituée et la sainte ; deux images ancrées par la spiritualité chrétienne : la Vierge Marie et Madeleine, la prostituée.

Liane est née Anne-Marie Chassaigne le 2 juillet 1869 : un nom qui signe son origine plus bourgeoise qu’aristocratique, plus chrétienne également. Elle ne vient pas de Paris mais d’une ville de province connue pour la fondation par Napoléon d’un Prytanée qui enseigne aux jeunes hommes les vertus militaires : la ville de La Flèche, dans le département de la Sarthe. Son père est un officier qui a épousé une jeune femme d’origine espagnole. Anne-Marie reçoit une stricte éducation religieuse catholique dans le couvent de Sainte-Anne d’Auray qui l’éloigne de sa famille. Sainte-Anne d’Auray est alors un important centre de pèlerinage qui témoigne de l’ampleur de la foi catholique dans un monde qui est pourtant en voie de déchristianisation. Anne-Marie y reçoit la formation des jeunes filles catholiques de la bonne société qui doivent arriver pure et innocente au mariage.

Elle est mariée à 16 ans par sa famille à un lieutenant de vaisseau Henri Pourpe : un mariage arrangé qui montre une forte homogamie militaire et le fort conservatisme de son milieu qui n’encourage pas le mariage d’amour. Henri Pourpe est un homme violent qui maltraite sa jeune épouse. Peu après le mariage naît toutefois un fils, Marc. Deux ans plus tard, rien ne va plus dans le couple : Henri découvre que sa femme a une aventure avec un lieutenant de marine, devient fou et lui tire dessus en pleine crise de jalousie avant de s’effondrer et de lui demander pardon. Le divorce est prononcé en 1889. Anne-Marie entre dans une certaine marginalité déjà : le divorce n’est autorisé en France que depuis 1884 et il est très mal vu, encore plus dans son milieu fortement croyant, d’autant qu’Anne-Marie abandonne également son enfant âgé de deux ans.

Elle n’a pas d’autre choix : il lui faut quitter la Province pour se perdre à Paris, cette moderne Babylone. Il lui faut également acquérir les moyens d’une indépendance financière. En 1890, un an après son divorce, Liane danse dans Rêve de Noël travestie en damoiseau.

Liane de PougyLiane de Pougy

Sans être réellement une danseuse, elle fait des apparitions gracieuses dans des tableaux dansés et mimés. Ses prestations attirent l’attention du monde et du demi-monde. Elle doit ses débuts dans la prostitution ou plutôt la courtisanerie de haut-vol grâce de Louise Valtesse de la Bigne qui en fait sa protégée. Celle-ci, de 21 ans son aînée, grande et jolie blonde (selon les rapports de la police des mœurs) est l’une des dernières maîtresses de Napoléon III.

Liane de Pougy

Les deux femmes sont amantes. Valtesse, ouvertement bisexuelle, n’initie pas Liane qui semble avoir découvert les « plaisirs saphiques » au couvent. Toutefois, Liane se fait entretenir par des hommes et ne vit pas dans le splendide hôtel particulier de sa maîtresse situé au 94 boulevard Malesherbes. Hubert Juin écrit à propos de Liane de Pougy : « celle-là, elle n’aime les hommes que par devoir, mais elle n’a de goût que pour les femmes » (Écrivains de l’Avant-Siècle, 1972). La situation est sans doute beaucoup plus complexe. En 1891, Liane de Pougy a déjà la réputation d’être une « horizontale de grande marque ».

Liane de Pougy

Sa carrière, qui commence en tant que mime à l’Olympia, décolle véritablement lorsqu’elle rencontre Henri Meilhac, le librettiste d’Offenbach, qui la fait engager aux Folies Bergères en 1894. Elle devient alors une étoile du monde du cabaret. Claude Dufresne écrit « elle fait ses débuts aux Folies-Bergère où elle présente un numéro de magie vêtue d’un collant noir qui ne laisse rien ignorer de ses formes. Le prince de Galles se trouvant alors à  Paris, elle se paie d’audace et lui adresse une invitation : ” Monseigneur, je serai consacrée si vous daignez m’applaudir. ” Elle a visé juste, le futur roi d’Angleterre apprécie ses charmes et, à  sa suite, d’autres hauts personnages, dont le comte de Mac Mahon, le fils du président de la République. Elle a bientôt son hôtel particulier et une collection de bijoux qu’enrichissent encore davantage plusieurs grands-ducs russes, lors d’un séjour à  Saint-Pétersbourg. Un baron allemand fortuné prend le relais et verse à  la belle une rente de 5000 francs par jour qu’elle passe auprès de lui ». Sur les photographies suivantes, on la découvre sur scène.

Liane de PougyLiane de PougyLiane de Pougy

Son rôle le plus marquant est celui d’Amadis en 1896 dans L’Araignée d’Or : un ballet dont les textes ont été écrits par Jean Lorrain et la musique composée par Edmond Diot. Les Goncourt notent dans leur Journal : « Liane de Pougy est la plus belle femme du siècle ». Côté cœur, Liane de Pougy peine à s’épanouir. Elle est follement jalousée par la Belle Otéro, qui se produit tous les soirs sur la scène des Folies Bergères. Elle a une aventure avec Émilienne d’Alençon, une autre des grandes prêtresses des nuits parisiennes. Mais sa plus belle histoire d’amour fut une histoire malheureuse avec Natalie Clifford Barney qu’elle rencontra en 1899 et qui se termina par une tentative de suicide, car Natalie n’était pas fidèle. Ce qui ne tue pas rend plus fort : en 1901, Liane de Pougy publia un roman autobiographique qui eut un très grand succès et qui racontait l’histoire de sa passion : Idylle saphique. L’héroïne s’appelait Annhine de Lys et elle était attirée par une riche américaine, Florence Temple-Bradford. Avec elle, elle aspirait à ce qu’elle appelle un « mariage des âmes », mais elle découvre que le saphisme n’est qu’un « vice ». Cette position est-elle vraiment la sienne ou ne fait-elle qu’adopter la vision commune et le point de vue masculin sur la question pour mieux trouver un éditeur ? Elle écrit ailleurs des passages qui défendent l’homosexualité mais montre le conflit :

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