Sappho de Lesbos

Son nom est associé à l’homosexualité féminine : le nom de lesbienne, qui désigne toujours et d’abord une habitante de l’île de Lesbos, est devenu le terme moderne pour désigner une femme qui aime une autre femme en remplacement du terme vieilli de tribade. C’est un premier hommage à l’habitante la plus célèbre de l’île, qualifiée de « dixième Muse » par Platon et réputée aimant les femmes dès l’Antiquité. Quant à l’adjectif « saphique », il qualifie lui aussi des relations amoureuses entre femmes et il est une adaptation transparente du nom de cette femme grecque qui vécut au VIIe siècle avant JC.

Mais que savons-nous vraiment de Sappho ?

Disons d’abord que rien ne subsiste de son écriture ou de documents de son époque. Tout ce que nous savons d’elle est dû à des citations, des fragments recopiés de ses poèmes et des présentations faites par des auteurs masculins qui lui sont tous bien postérieurs. Un voile d’ombre la recouvre que rien ne peut contribuer à faire lever. Il faut donc se résoudre à bien des incertitudes.

Selon les études des spécialistes, Sappho serait née dans la bourgade d’Eressos sur l’île de Lesbos vers 630 avant notre ère. Lesbos est la troisième plus grande île ionienne. D’origine volcanique, elle est essentiellement montagneuse et très verdoyante : elle est encore aujourd’hui surnommée l’île d’émeraude car elle jouit d’une flore d’une très grande variété. Au VIIe siècle, l’île est entre les mains de tyrans qui se succèdent à force de coups d’État. L’aristocratie, dans ce contexte, domine la vie politique, sociale, économique et culturelle.

Il semble que Sappho appartienne à une famille aristocratique. On ne sait rien de son père, un certain Skamandronymos, ni de sa mère, Cléis, à part qu’ils étaient peut-être des opposants politiques aux tyrans en place. Sappho parle de deux de ses frères : Charaxos, son frère aîné, qui était marchand de vin en Égypte et un autre frère, Larichos, qui était échanson officiel dans les cérémonies publiques de Mytilène.

Il est probable qu’elle ait été mariée à un certain Kerkôlas, marchand, et qu’elle ait eu de cette union une petite fille, Cléis. Toutefois, si elle écrit un poème à sa fille, elle ne parle jamais de son mari et aucun des fragments qui lui sont attribués ne parlent d’un amour pour un homme.

Il semble qu’à l’âge de 30 ans, vers 600 avant JC, Sappho ait été contrainte à l’exil en Sicile mais on ignore pour quelle raison. Elle revient néanmoins à Mytilène, la capitale de Lesbos, où elle fonde et dirige un cercle de jeunes filles d’origine aristocratique issues de Lesbos et peut-être de plus loin. Dans ce cercle, elle enseignait la poésie, la danse et la musique aux jeunes filles prêtes à marier et elle les initiait aussi aux Mystères d’Aphrodite, c’est-à-dire qu’elle les faisait participer à des cultes religieux dans lesquels les participantes découvraient progressivement les secrets de la déesse de l’Amour. Ceci indique que Sappho jouissait d’une place d’honneur dans la Cité : elle était une « prêtresse d’Aphrodite » dont le rôle civique était d’enseigner aux jeunes filles nubiles la grâce, la beauté et l’art de plaire.

Selon la légende, elle aurait connu une fin tragique : elle se serait suicidée à cause d’un amour non partagé pour un homme, Phaon, en se précipitant du haut du rocher de Leucate dans la mer Égée, dans les années 570 avant JC (à l’âge de 60 ans). Mais, cette histoire n’a aucun fondement : c’est une invention tardive qui transforme Sappho en amoureuse plus classique de jeunes amants.

Ce que nous subodorons d’elle est très vague et peut sembler peu significatif, mais il faut immédiatement souligner que Sappho est la seule femme poète citée parmi les poètes lyriques importants de l’époque archaïque (avant l’invention de la démocratie à Athènes au Ve siècle), qu’elle est qualifiée de « dixième Muse » par Platon au IVe siècle, que ses neuf livres de poésie ont été recopiés et conservés et qu’elle est le seul exemple connu de femme qui a eu des relations homophiles avec des jeunes filles. Dans un monde grec où les femmes n’ont qu’une place mineure (notamment à l’époque démocratique), son parcours a de quoi étonner. Son nom n’a jamais été totalement oublié même si les discours qui ont été tenus sur elle ont varié en fonction de la place de l’homophobie dans les relations sociales et sexuées.

Sappho était-elle unique ?

Des travaux récents ont montré que Sappho avait des rivales et que d’autres femmes à Mytilène initiaient les jeunes filles avant leur mariage : Andromède et Gorgo, par exemple. Certaines des élèves de Sappho la quittaient pour rejoindre ces autres « cercles ». Elles rompaient ainsi un pacte sans doute très important, car Sappho se voyait confier ces jeunes filles par des familles aristocratiques au nom de sa fonction de prêtresse d’Aphrodite. En fait, il semble que Sappho avait des relations amoureuses avec certaines de ses élèves qu’elle appelait aussi ses compagnes (hétaïres). Cette relation n’était pas rituelle et n’a concerné que quelques jeunes filles sur les 14 qui lui furent confiées. Elle consistait en des liens pédagogiques (Sappho enseignait la poésie, la musique et la danse aux jeunes filles) et religieux (Sappho entrait en communion avec les jeunes filles dans le culte d’Aphrodite, la déesse de la sensualité et de la sexualité), mais aussi des liens plus intimes et sans doute charnels.

L’homoérotisme était admis dans la Grèce archaïque, uniquement dans les milieux aristocratiques et entre les garçons. La pédérastie était pratiquée à Lesbos au VIIe siècle comme en atteste Alcée, un contemporain de Sappho (que les légendes tardives ont transformé en amoureux de Sappho). Sappho était une femme mariée, d’origine aristocratique. Était-il concevable qu’elle puisse exprimer son amour et son désir pour des jeunes filles ? Car certains fragments font clairement de Sappho l’origine des désirs pour des jeunes filles.

Si Sappho nous intéresse encore, c’est grâce à l’écho qu’elle a eu au XIXe siècle. Au début de ce siècle, la poétesse apparaît comme une femme hétérosexuelle, parfois confondue avec une prostituée du nom de Sapho, qui meurt d’amour pour un homme, Phaon. C’est ce que défend le philologue allemand Welcker. Quelques tableaux insistent sur cette dimension romantique mais totalement inventée de sa biographie. C’est le cas de Antoine-Jean Gros dans cette toile qui la représente sautant à Leucate.

Sappho

Gustave Moreau l’imagine quant à lui près d’un précipice, avant le saut.

Sappho

Un commentaire

  1. De fait, rien n’a plus jamais été mieux fait depuis l’Hymne à Aphrodite et l’Ode à l’Aimée. La vie de Sappho la sublime – Psappho peut-on aussi lire – baigne dans le mythe, tout comme celle d’Homère. Elle nous a laissé et son œuvre (dont le moindre fragment plonge dans les ténèbres l’ensemble de nos proses ultérieures), et sa légende. À ce propos, s’il faut vraiment concilier l’incohérent, il y a une explication tout apocryphe mais pourquoi pas élégante à l’anecdote apparemment incongrue du beau Phaon.

    C’est l’histoire de ce jeune homme épris de poésie et de musique, fasciné par l’immense talent et réputation de Sappho. Comment peut-il approcher la préférée des Muses et goûter son enseignement inspiré si ce n’est en se travestissant en fille ? Ainsi fut fait. Mais évidemment l’inévitable advint et Sappho tomba amoureuse de la belle “Phaonne”. Alors que son amour devenait de plus en plus passionné, il n’y eut plus d’autre alternative pour Phaon que de révéler sa pauvre identité de garçon. Stupeur et désespoir: il ne resta plus devant cet amour désormais impossible à notre héroïne que de se précipiter du haut de Leucade (ou Leucate)…

    C’est en fait symbolique. Comme indiqué au tout début, Sappho a atteint par sa prosodie l’idéal de beauté suprême. Artiste foudroyée par la beauté, comment pouvait-elle aller plus loin, si ce n’est en conquérant la beauté ineffable de l’au-delà immortel, bienheureux champs élysées ou sphère des idées platoniques…

    XN Borloz

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