Precious de Sapphire

Precious de Sapphire

Titre Français : Precious

Titre Original : Push

Auteur : Sapphire

Date de Sortie : 1993

Nationalité : Américaine

Genre : Roman Contemporain, Roman Historique

Nombre de Pages : 202 pages

Éditeur : Points

ISBN : 978-2-7578-1686-8

Precious : Quatrième de Couverture

Precious, 16 ans, claque la porte. Elle ne se laissera plus cogner par sa mère, ni violer et engrosser encore une fois par son père. Jamais. Virée de l’école, elle envisage une nouvelle vie, loin de Harlem et du ghetto afro-américain de son enfance. Elle veut apprendre à lire et à écrire, raconter son histoire à travers des poèmes et élever dignement son fils.

« La réalité je sais ce que c’est et c’est une belle salope. »

Née en 1950, Sapphire est la poétesse-performeuse de Harlem. Fille spirituelle d’Alice Walker et de Toni Morrison, Push, son premier roman, a bouleversé l’Amérique.

« Push, de l’écrivaine afro-américaine Sapphire, chef d’œuvre d’écriture engagée et moderne. » Les Inrockuptibles

Precious : Avis Personnel

Pour Precious, j’ai fait les choses à l’envers : j’ai lu le livre après en avoir vu l’adaptation au cinéma. J’avais été tellement secouée et intriguée que j’ai acheté le livre dans le mois qui avait suivi. En le lisant j’ai découvert un texte bien plus fort que ne l’était le film (et à ma grande surprise, relativement différent, notamment vis-à-vis du personnage de la professeure Mrs Avers) ; Precious, narratrice de sa propre histoire, nous explique avec ses mots et d’une simplicité déconcertante son histoire. Et croyez-moi, son histoire, elle n’est pas belle à voir…

On est bouleversé par l’histoire de Precious, qui n’a connu que des malheurs : violée depuis la naissance par son père, frappée et violentée par sa mère, analphabète, obèse, etc. C’est émouvant de la voir se fabriquer une famille au sein de cette classe d’alphabétisation qu’elle a intégrée. Elle découvre pour la première fois que des personnes tiennent à elle et l’apprécient pour ce qu’elle est. Mais il ne s’agit pas ici d’expliquer en détail ce qui est écrit dans le livre, plutôt de vous en donner une idée.

Pour moi, Precious tient sa force avant tout dans la manière dont Sapphire l’a rédigé. Bon nombre de mots sont rédigés « à l’oreille » et on ne compte pas les fautes de grammaire, ce qui nous aide à nous immerger dans l’univers de Precious. Certaines petites erreurs font d’ailleurs sourire, comme quand elle dit que sa fille est « Très Somique » alors qu’elle est trisomique ou quand elle parle d’un « manioc sexuel »…! Il faut un temps d’adaptation, on a presque l’impression de lire un roman dans une autre langue tellement la lecture s’avère ardue au début ! Par exemple, à la page 38, on peut lire : « Chus pus là ! Elle rigola en filant aussi vite qua pouvait rapport à ce qu’elle était enceinte et tout. » Outch. Pas facile hein ? Là j’ai eu une petite pensée pour le traducteur qui n’a pas dû avoir la tâche facile…

Mais si je vous parle de ce roman aujourd’hui, c’est parce qu’il évoque l’homosexualité. De plusieurs manières : Precious l’évoque à différentes reprises, et on trouve également deux personnages de lesbiennes. Pour les personnes qui ont vu le film, c’est un thème qui y est développé de manière quelque peu différente.

Très tôt dans l’ouvrage, Precious évoque l’homosexualité et l’idée qu’elle s’en fait. Elle en parle comme d’une maladie grave et n’en sait pas grand-chose, mis à part ce qu’elle en a entendu dire. Des « on dit » de religieux extrémistes ou de personnes illettrées. Un peu un mythe à la manière du monstre dans le placard ou du grand méchant loup. Pour elle, les homosexuels, et les « sales gouines » comme elle dit, sont responsables de beaucoup de choses et sont dangereux. Elle n’en connaît aucun, mais elle le sait. Pourtant petit à petit son discours évolue, notamment au contact de Mrs Avers. Elle comprend que ce sont des gens comme les autres : « C’est pas les homosexuelles qui m’ont violée, pas les homosexuelles qui m’ont laissée analphabètes. Je suis en train d’oublier toutes les vieilles conneries. » Il est intéressant ici de voir ce que Sapphire tente de faire passer comme message. Selon elle, l’homophobie dans les classes pauvres de la société américaine, serait due à une méconnaissance, qui les place en parfaits bouc-émissaires. Lire les classiques et s’ouvrir au monde serait pour elle une solution pour la faire diminuer s’une manière significative.

Le personnage de Mrs Avers est dans cette optique très intéressante. Precious ne découvre qu’elle est lesbienne que vers la moitié du livre. Mrs Avers est une femme intelligente et à l’écoute des autres. Elle porte ses élèves pour les aider à s’en sortir. Elle ouvre leurs esprits et leur esprit critique en leur faisant lire des classiques de la littérature américaine, et en particulier tout ce qui touche aux luttes pour l’égalité ; l’égalité Blanc/Noir, l’égalité homme/femme, ou encore l’égalité hétérosexuel/homosexuel. Pour elle la vie est une lutte constante et la lecture est un outil de cette égalité vers laquelle on tend. C’est là un personnage plus qu’intéressant, d’autant plus qu’elle ne correspond à aucun cliché ; certes elle est lesbienne, mais elle aurait tout aussi bien pu être hétéro. C’est d’ailleurs sans doute cette banalité qui rend son discours encore plus fort auprès de Precious.

Outre Mrs Avers, il y a un autre personnage homosexuel : Jermain. Jermain s’habille un peu comme un homme et a pour projet de rédiger un texte sur sa vie, Gouine de Harlem. Tout un programme…! Elle est une lesbienne fière et assumée et lutte contre les préjugés : non toutes les lesbiennes ne le sont pas devenues car elles ne trouvaient pas chaussure à leur pied ou car elles ont été violées étant petites ; « Les hommes ne m’ont pas faite comme ça. Rien n’est arrivé pour me rendre comme ça. Je suis née gouine ! »

En bref un roman réellement déstabilisant et bouleversant, vos cheveux se dressent sans que vous ne vous en rendiez compte à de nombreuses reprises. Mais l’histoire nous explique comment on peut se relever et s’ouvrir aux autres. Il y a une fenêtre sur un avenir meilleur : rien n’est jamais perdu et à force de volonté il est possible de renverser le cours des choses. Sapphire nous plonge dans une véritable immersion de la société américaine d’aujourd’hui et en pointe les points faibles ; et tout le monde en prend pour son grade : le système éducatif, le système d’aides sociales, la cellule familiale traditionnelle, etc. Precious est une critique sociale très réussie.

Un livre qui mériterait sans doute d’être lu directement en anglais, pour mieux apprécier le travail d’écriture de Sapphire, alias Ramona Lofton de son vrai nom. Poétesse et activiste, elle a été l’une des grandes figures de la lutte féministe, homosexuelle et noire des années 70/80. Et son écriture ne peut laisser indifférent. Un ouvrage fort, poignant et terriblement humain à découvrir absolument.

Precious : Extraits

« J’ai redoublé quand j’avais douze ans pasque j’ai fait un môme à mon père. C’était en 1983. J’ai pas été en classe pendant un an. Là, ça va être mon deuxième môme. Ma fille est Très Somique. Elle est retardée. J’avais redoublé la seconde aussi, quand j’avais sept ans, pasque je savais pas lire (et que je me pissais encore dessus). Je devrais être en onzième, à préparer le passage en douzième pour avoir mon diplôme. Seulement voilà, je suis en neuvième.
J’ai été exclue temporaire de l’école pasque je suis enceinte et je trouve xé pas juste. J’y suis pourre rien !
Je m’appelle Claireece Precious Jones. Je sais pas pourquoi je vous dis ça. Ptête pasque je sais pas jusqu’où je vais aller de cette histoire, ni même que c’en soye une d’histoire ni pourquoi je cause ; si je vais commencer par le commencement ou carrément d’aujourd’hui ou dans deux semaines d’ici. Deux semaines d’ici ? Ben oui on peut faire tout ce qu’on veut quand on cause ou qu’on écrit, pas comme de vivre où qu’on peut seulement faire ce qu’on fait. T’en as qui te racontent une histoire que ça veut rien dire et que c’est même pas vrai. Mais moi je vais essayer que ça veule dire quelque chose et que ça soye vrai, pasque ça sert à quoi de raconter des vélos ? Comme si on en avait pas jusque-là de leurs mensonges et de leurs conneries ? » (Pages 13-14)

« On lit La Couleur pourpre en cours. C’est vraiment dur pour moi. Mrs Avers essaye de le découper en morceaux tout petits mais j’arrive presque pas à le lire toute seule. Le reste de la classe y arrive un peu genre, sauf Rita. Mais de la manière que Mrs Avers goupille le truc je comprends quand même pas mal l’histoire. Je chiale je chiale je chiale vous m’entendez, tellement ça me ressemble d’une façon sauf que je suis pas gouine comme Celie. Mais juste quand je vais pour causer de ces conneries, dire à la classe ce que la Petite Élite et Farrakhan disent des gouines, Mrs Avers me dit que si j’aime pas les homosexuelles elle pense que je l’aime pas non plus pasqu’elle l’est. Ça me l’a coupée. Pis je me la suis fermée. Tant pis pour Farrakhan. Je crois encore allah et les machins. Je pense que je crois encore tout. Mrs Avers dit que les homosexuelles c’est pas elles qui m’ont violée, xé pas les homosexuelles qui m’ont laissée sans rien apprendre pendant seize ans, pas les homosexuelles qui vendent le crack bousillent Harlem. C’est vrai. Mrs Avers c’est elle qui m’a mis la craie dans la main, qui m’a fait reine de l’ABC.
[…]
Mrs Avers a dit que La Couleur pourpre on y a reproché l’optimisme que c’est une fin de conte de fées. Moi je dirais, ben quoi des conneries comme ça ça peut arriver. La vie peut se goupiller en bien des fois. Mrs Avers elle adore La Couleur pourpre aussi mais a dit que le réalisme c’est pas mal non plus. Isme et que je t’isme ! Des fois je voudrais y dire à Mrs Avers ta gueule avec tous tes machins d’isme. Mais c’est ma prof alors j’y dis pas ta gueule. Je sais pas ce que ça veut dire « réalisme » mais la RÉALITÉ je sais ce que c’est et c’est une belle salope, moi je peux vous le dire. » (Pages 104-106)

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