Tomboy : Interview de la scénariste et réalisatrice Céline Sciamma

Tomboy : Interview de la scénariste et réalisatrice Céline Sciamma

Interview de Céline Sciamma par Trish Bendix le 16 novembre 2011 pour le site AfterEllen.com

La scénariste et réalisatrice française Céline Sciamma était à l’origine du film Naissance des Pieuvres en 2007, un film sur deux adolescentes explorant leur sexualité après s’être rencontrées dans les vestiaires de la piscine. Aujourd’hui, avec son nouveau film Tomboy, Céline Sciamma plonge à nouveau dans le thème du genre et de la sexualité vus par une personne trop jeune pour savoir qui elle est et où cela la situe par rapport à ce que tout le monde voudrait qu’elle soit. Dans ce cas précis, le personnage en question sent d’instinct que ce qu’elle ressent n’est pas “bien” et que sa façon d’agir pourrait lui attirer des ennuis, bien que ça lui paraisse la chose la plus naturelle du monde.

Dans Tomboy, cette personne, c’est Laure, une fille de 10 ans se faisant passer pour un garçon et se présentant aux enfants du voisinage (y compris une fille qui en pince pour elle et avec qui elle partagera plus tard un baiser) comme Mickaël.

Dans la peau de Mickaël, Laure peut retirer son maillot pour aller jouer au foot torse nu avec les autres garçons ; elle peut se battre avec eux pour défendre l’honneur de sa sœur. Mais il y a la peur constante d’être démasquée, puisque Laure doit se cacher dans les bois pour uriner sans se faire voir et se fabriquer un faux pénis en pâte à modeler PlayDoh à mettre dans son caleçon de bain, qu’elle a aussi fait elle-même.

Ce qui n’est jamais réellement clair concernant Laure, c’est qui Laure pense-t-elle être. Est-elle transgenre ? Est-elle lesbienne ? Est-elle juste un garçon manqué ? Nous nous sommes entretenus avec Céline Sciamma par mail à propos du film et de l’histoire qu’elle souhaitait raconter en prenant pour thème central une fillette androgyne de 10 ans.

En tant que réalisatrice, qu’est-ce qui vous parle dans le thème de l’adolescence ?

J’aime les histoires sur le passage à l’âge adulte parce qu’elles parlent des premières fois et décrivent donc des émotions fortes, avec des narrations puissantes. De plus, en tant que jeune cinéaste, j’aimais l’idée de travailler avec une jeune distribution sur la problématique de la jeunesse. Cela m’a permis d’être plus libre et d’inventer ma propre méthode. En tant que réalisatrice, j’ai grandi avec des films parlant du fait de grandir.

Évidemment, se pose la question de savoir si Mickaël se considère comme transgenre, lesbienne, etc. Mais comment avez-vous perçu le personnage au départ ?

Lorsque j’ai construit le personnage, j’ai souhaité laisser toutes les hypothèses ouvertes. Pas pour éviter de donner des réponses, mais pour rendre cela plus complexe et plus vrai. C’est ce qui m’intéressait dans le fait de situer cette histoire dans l’enfance. C’est une période où tout le monde prétend être quelqu’un d’autre le temps d’un après-midi, tout le monde s’invente des histoires sur son compte. J’ai intégré plusieurs degrés de lecture pour qu’une personne transsexuelle puisse dire « Mon enfance s’est passée comme ça. » et qu’une hétérosexuelle puisse aussi se dire la même chose. Le film crée des ponts. C’est quelque chose dont je suis fière.

La relation que Mickaël entretient avec Lisa : pensez-vous qu’il a des sentiments pour elle ou qu’il agit comme il pense qu’un garçon le ferait dans cette situation ?

Un peu des deux, je pense. Le film est ambigu s’agissant des sentiments de Mickaël pour Lisa. Il joue sur la confusion. Je voulais que ce soit le cas. Tomboy ne s’articule pas autour de “pourquoi” elle fait ces choses ; tout est question de “comment” elle les fait. Le personnage ne se projette par dans le futur, elle ne vit que dans le présent. C’était une manière d’être juste dans le portrait de l’enfance que je voulais dépeindre.

Le film a été projeté dans de nombreux festivals LGBT aux États-Unis. Était-ce votre intention pour le film ou avez-vous senti qu’il aurait mieux sa place dans ce genre de festivals bien spécifiques que dans d’autres plus génériques ? Pensez-vous qu’on ait besoin des festivals LGBT ?

Bien sûr qu’on a besoin des festivals LGBT parce que ça permet aux films de voyager et de trouver leur public. Je n’avais pas d’intention précise, je suis juste ravie quand mes films atteignent les gens. Je n’interviens pas dans le processus de sélection. Je reste juste ouverte. C’est comme ça que j’ai fait le film en tout cas. En n’essayant pas de le rendre précisément LGBT. C’était un choix dès le départ de rendre ce film très ouvert sur la problématique afin que tout le monde puisse s’identifier. Ce n’est pas un moyen d’éviter la problématique gay d’ailleurs, c’est une façon d’être politique afin de rendre le film attractif pour un large public.

Vous identifiez-vous à l’un des personnages de Tomboy ? Idem pour Naissance des Pieuvres ?

Lorsque vous écrivez sur l’enfance, vous allez puiser dans vos souvenirs. Enfant, j’étais assez garçon manqué, j’en avais les cheveux courts et l’allure androgyne. On me confondait parfois avec un garçon, même si ce n’était pas l’effet recherché. Mais je me souviens de ce sentiment, du plaisir, de la liberté, de la peur parfois. Donc je m’identifie vraiment à Laure/Mickaël.

Dans Naissance des Pieuvres, je m’identifie à Marie, mon personnage principal. Même si ces deux films ne racontent pas mon histoire en soi, j’aime à penser qu’on devrait écrire sur ce qu’on connaît, les émotions qu’on ressent puissamment. Ne pas raconter sa petite histoire personnelle, mais trouver le recul suffisant, loin des clichés, et être plus juste et généreux à travers la fiction.

Quels films lesbiens avez-vous aimés ? Des réalisatrices lesbiennes qui vous inspirent ?

Je me souviens avoir découvert Go Fish quand j’étais ado. Donc le travail de Rose Troche, jusqu’à The L-Word compte vraiment. Mon film à thématique lesbienne préféré est Mulholland Drive.

Quel sera votre prochain projet ?

Je ne sais pas encore quel sera mon prochain projet car je suis encore en train de faire la promotion de Tomboy à travers le monde, étant donné qu’il s’est vendu dans 30 pays. Mais j’ai ce rêve de réaliser une série télé. J’adorerais suivre des personnages pendant huit heures, plutôt que 90 minutes.

Traduction Magali Pumpkin

Interview Originale Sur Afterellen.com

Céline Sciamma

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