Un roman d’amour, enfin : Interview de Cy Jung

Un roman d’amour, enfin : Interview de Cy Jung

Interview accordée à Michel Granger, le 11 Janvier 2009 pour le site La Cité Bisexuelle

Cy Jung, dont le vrai prénom est Cécile est née à Dijon en France en 1963. Elle a obtenu une licence en droit public et un diplôme de 3e cycle de l’Institut d’Études Politiques de Paris. Militante engagée, elle s’est beaucoup impliquée en politique ainsi que dans la communauté gay et lesbienne. En 1998 elle publie son premier roman lesbien Once upon a poulette qui fut très bien accueilli par la critique. Celui-ci devenait le premier d’une série d’ouvrages parmi lesquels on retrouvera Mathilde, je l’ai rencontrée dans le train, Carton rose, Diadème rose, Bulletin rose et plusieurs autres. Elle publiera aussi une autobiographie où elle parlera de son albinisme et de son handicap visuel.

Son dixième et plus récent opus Un roman d’amour, enfin est arrivé sur les tablettes des libraires tout récemment. Vous pouvez visiter son site web en cliquant ICI.

Cy Jung a accepté de s’entretenir avec nous. Nous lui avons posé quelques questions auxquelles elle a répondu avec une grande générosité.

Croyez-vous qu’un auteur de littérature gay ou lesbienne doit nécessairement être militant pour les droits de sa communauté ?

Il peut en effet paraître surprenant que toute personne qui par son sexe, son orientation sexuelle, ses origines, ses convictions religieuses ou politiques, sa condition sociale, son état de santé, son âge, etc. est opprimée, d’une manière ou d’une autre, ne milite pas pour que cesse cette oppression. Ce peut être encore plus surprenant quand il s’agit d’un écrivain qui, de fait, est un intellectuel censé disposer d’une arme militante par excellence : l’écriture.

Pour autant, nous réagissons chacun face à l’oppression de manière personnelle, en fonction de notre histoire, de notre personnalité, de nos choix ou non-choix de vie. Personne ne doit être juge de cela. J’étais militante avant d’être écrivaine. C’est inscrit dans mon histoire personnelle. Je ne saurais pas faire autrement et c’est sans doute une des raisons qui m’ont poussée vers l’écriture, tant l’outil est magique… et efficace.

L’écriture est-elle pour vous un processus difficile ou libérateur ?

Écrire est mon métier ; c’est un savoir-faire avant d’être un acte créatif. Je suis donc face à l’écriture comme tout travailleur : il y a des jours avec, des jours sans, mais quoi qu’il arrive, j’ai un travail à fournir, que j’en aie envie ou non.

Certaines phrases sont difficiles à écrire, parce que la langue est si vaste qu’il faut trouver le moyen de lui tirer le bon mot, la bonne formule. L’expérience, le savoir-faire, et les outils textuels (dictionnaires, grammaires, etc.) rendent souvent la tâche plus facile ; mais pas toujours. Écrire, c’est avant tout faire des choix et pour faire des choix, il faut se donner des alternatives.

Quant au caractère libérateur de l’écriture, oui, elle l’est forcément, libératrice. Mais c’est la cerise sur le gâteau, quand le texte se tient suffisamment pour faire émerger du sens au-delà de l’énoncé.

On a dit que l’identité bisexuelle était souvent mal perçue chez les gays et lesbiennes, ceux-ci percevant les bisexuelles comme des lesbiennes qui ne s’assument pas. Selon vous cette perception change-t-elle ?

Je ne sais pas. Je crains que la différence, quelle qu’elle soit, ne soit toujours source de clichés et d’exclusion. Quand je parcours les forums Internet LGBT, je suis toujours frappée par le nombre de clichés sexistes, par exemple, qui sont véhiculés, par les hommes comme par les femmes, alors que l’on sait que l’homophobie fonctionne exactement sur les mêmes bases idéologiques que le sexisme. Et malheureusement, quand on dénonce ces clichés sur les forums, on passe très vite pour un extra-terrestre.

Autrement dit, l’homosexualité ne rend pas plus intelligent, ni plus tolérant. C’est dommage, mais c’est ainsi.

Quant aux clichés sur la bisexualité, s’ils n’étaient pas parfois destructeurs, il conviendrait de rire de leur absurdité. Combien d’homosexuels (des deux sexes), à l’échelle de leur vie, ne sont pas bisexuels ? Et combien d’homosexuels (des deux sexes) s’assument ? Et enfin, pour faire le tour de la question, combien d’homosexuels (des deux sexes) n’ont jamais été volages à un moment ou à un autre de leur vie ?

C’est un peu facile tout ça, et, finalement, assez faux jeton. J’ai parfois le sentiment que les clichés envers les bisexuels ne sont pas autre chose qu’un moyen de ne pas regarder sa propre homosexualité dans le blanc des yeux. Un peu d’honnêteté ferait du bien à tout le monde.

Vous inspirez-vous de gens qui vous entourent pour donner une âme à vos personnages ?

Oui, forcément, mais il n’y a pas une personne pour un personnage. Autrement dit, chaque personnage est un brassage, un métissage qui rend l’identification des sources assez complexe, même pour moi.

Prévoyez-vous d’inclure des personnages bisexuels dans vos romans ?

Je crois que je parlais d’honnêteté, il y a quelques lignes… !

Il n’y a en effet pas de personnage défini comme bisexuel dans mes livres, sauf à l’échelle de leur vie, bien sûr. Pourquoi ? Je ne sais pas… Peut-être parce que cela impliquerait d’introduire des relations sexuelles entre personnes de sexe différent (ou y faire allusion) et que mes récits — à part Hétéro par-ci homo par le rat où la bisexualité n’est pas véritablement un choix identitaire mais plus un concours de circonstances — ne s’y sont pas prêtés.

Je vais y réfléchir, pour un prochain roman, définir d’emblée une trame où la bisexualité en tant qu’orientation sexuelle aurait sa place.

Dans un de vos textes paru il y a quelques années sur Media-G.net, vous disiez que la société acceptait le concept de bisexualité psychique mais avait du mal à reconnaître l’orientation sexuelle bisexuelle. Croyez-vous qu’il y a eu une évolution sociale à cet égard ?

Je n’en ai pas l’impression, parce que les clichés persistent et parce que la bisexualité est perçue comme un « entre-deux », et non comme un état, ainsi que l’indiquait votre question précédente.

Je crains d’ailleurs que les choses ne progressent pas tant que les icônes bisexuelles seront ce qu’elles sont. Un magazine people Ooops proposait, dans son numéro du 10 octobre 2008 un article sur le « Lesbienne power ! », classant les célébrités en vraies, bis ou fausses lesbiennes. En tête des bis, nous avons bien sûr Madonna. Est-on bi parce que l’on a embrassé sur la bouche une femme à la télévision tout en affichant une sexualité hétérosexuelle ?

Je ne le crois pas. Et en fin de compte, la reconnaissance de la bisexualité des femmes pose la question de la visibilité de la sexualité lesbienne : tant qu’elle sera assimilée à quelques tendres attouchements qui caressent avant tout le désir des hommes, alors les bisexuelles ne pourront être considérées que comme des femmes qui ont des aventures féminines.

Dans des entrevues vous avez manifesté votre opposition à l’homoparentalité et au mariage gay car vous trouvez dommage que l’homosexualité gâche sa spécificité politique pour se fondre et se confondre dans la société hétéronormée. Quelle est votre vision personnelle de la spécificité homosexuelle ?

Il me faudrait un très long développement pour vous répondre. Puis-je renvoyer vos lecteurs à un texte sur le sujet que j’ai écrit en 1998 pour feu le magazine Ex Aequo : « Le Pacs, point de chute du désir homosexuel ».

Ce texte est en lecture partielle, parce que c’est le seul moyen que j’ai trouvé de lutter contre le copi-llage. Mais je l’envoie en pdf à qui le demande.

Craignez-vous l’effet du regain de popularité de la droite à travers le monde sur les droits des LGBT ?

Dans nos sociétés occidentales, les atteintes directes aux droits des LGBT par des gouvernements réactionnaires sont toujours l’occasion d’un regain de militantisme. Nos droits ne risquent donc pas grand-chose.

Par contre, nos libertés… Ce que je crains le plus, c’est l’embourgeoisement, celui qui fait que défendre la sécurité (notamment celle de son patrimoine) prime la liberté, celui qui transforme les citoyens en une armée silencieuse de Vo-Pos de l’ordre bourgeois.

Plus que les droites, ce sont les intégrismes religieux qu’il faut surveiller et craindre, car eux ne font pas dans la dentelle. C’est le droit de vivre des homosexuels qui est ici en cause. C’est sans doute là que devraient se concentrer nos efforts, là où les gens sont en danger de mort. Nous avons le devoir de faire du bruit, autant que nous le pouvons. Ici encore, c’est la visibilité qui fera avancer les choses ; pas la souscription commune d’un crédit à la consommation !

Pouvez-vous nous donner un avant-goût de ce que votre plume nous réserve ?

Vaste question !

Je viens de terminer un roman rose qui met en scène une retraitée de l’Éducation nationale à qui il arrive tous les malheurs du monde et je mets la dernière touche au troisième volet de la trilogie amorcée avec Mathilde, je l’ai rencontrée dans un train suivie d’Un roman d’amour, enfin : le premier traitait du désir, le second de l’amour, le troisième vise à se débarrasser de tout cela. Si mes éditeurs prennent ces textes, ce seront les prochains publiés.

En même temps, j’ai participé à deux concours de nouvelles avec des textes où il est question de déficience visuelle, sujet que j’ai peu abordé en dépit de mon livre témoignage sur mon amblyopie. Un de mes textes a été retoqué ; j’attends le verdict sur le second.

Je réfléchis à écrire un roman policier, et j’ai quelques intrigues d’avance pour des romans roses. Voilà, ce doit être tout pour l’instant… avec au moins un personnage bisexuel, promis !

Interview Originale sur le Site La Cité Bisexuelle

A propos de Isabelle B. Price

Créatrice du site et Rédactrice en Chef. Née en Auvergne, elle s’est rapidement passionnée pour les séries télévisées. Dès l’enfance elle considérait déjà Bioman comme une série culte. Elle a ensuite regardé avec assiduité Alerte à Malibu et Les Dessous de Palm Beach avant l’arrivée de séries inoubliables telles X-Files, Urgences et Buffy contre les Vampires.

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