Amants des Hommes : Interview de Isabelle Darmengeat

Isabelle Darmengeat

Témoignage rédigé par Isabelle Darmengeat pour le site Les Toiles Roses en Décembre 2008

Encouragée dans cette voie par des professeurs de mon DESS, je suis revenue à la structure de mon documentaire sonore : alterner des lectures d’extraits de la biographie de Pierre Seel et des entretiens avec des militants gays, et ainsi mêler passé et présent, le nazisme et l’homophobie.

Les extraits de l’ouvrage de Pierre Seel seraient lus par ces mêmes militants gays, ce qui permettrait encore davantage la confrontation entre le passé et le présent.

Il me fallait sélectionner des extraits du livre de Pierre Seel qui porteraient avec le plus de justesse sa parole au sein de mon film. Moi Pierre Seel, déporté homosexuel est un livre vaste, à l’image de la vie de Pierre, de son arrestation par la Gestapo à son enrôlement de force dans l’armée nazie, en passant par sa déportation au camp de déportation de Schirmeck. Je ne pouvais bien entendu pas tout raconter dans mon film, ce n’était d’ailleurs pas le propos, je ne voulais sélectionner que des extraits relatant son expérience de la déportation, et cela représentait déjà une majeure partie de son récit.

Les épisodes de lecture allaient servir de pierre angulaire à mon film, il fallait donc qu’ils forment à eux seuls une narration.

Si Pierre Seel avait pu intervenir dans mon film, je lui aurais entre autre demandé de me faire le récit de son arrestation et de sa déportation, j’ai donc sélectionné des extraits de son ouvrage en ce sens. À partir de plusieurs extraits choisis à divers moments du livre, j’ai reconstitué la narration de son expérience des camps, de son arrestation par la Gestapo à la mort de son ami Jo.

Pour le choix des intervenants, j’ai demandé à trois militants gays que j’avais connus et suivis pendant mon année de travail d’intervenir dans mon film. Je les ai choisis pour la valeur de leur engagement dans le travail de mémoire et dans la lutte contre l’homophobie, mais également pour les différentes paroles qu’ils pouvaient porter, chacun appartenant en effet à une ou plusieurs associations gays. Ils s’exprimaient donc à la fois en leur nom propre, mais aussi au nom des associations qu’ils représentaient à l’époque

Bruno Gachard pour le Mémorial de la Déportation Homosexuelle

Christophe Malvault pour En Tous Genres

Norbert Vincent pour le Collectif Toutes Les Différences

À travers ces entretiens, je voulais bien sûr aborder la question de la mémoire de la déportation homosexuelle, mais également toucher le deuxième sujet du film : l’homophobie. Des hommes et des femmes sont encore aujourd’hui torturés et tués pour leur orientation sexuelle. Durant l’année de réalisation de mon documentaire, un jeune homosexuel, Sébastien Nouchet, fut brûlé vif par ses voisins.

Du nazisme à l’homophobie d’aujourd’hui, les moyens des bourreaux et la masse d’individus persécutés changent, mais le sentiment primaire, la haine de l’autre, l’homophobie, reste le même.

Dévoré vivant par des chiens en 1944, brûlé vif par ses voisins en 2004, 60 ans d’écart, une haine intacte.

Dans les entretiens, chacun de mes personnages rythmait en quelque sorte le jeu. Celui de Norbert Vincent fut le plus bref, il revenait quelques jours plus tôt du mariage homosexuel célébré à la mairie de Bègles où il s’était rendu avec son autre association : Les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence qui ont tenu tête à plus de 200 contre-manifestants scandant des slogans et des insultes homophobes. L’entretien allait donc dans ce sens : lié à l’actualité et à l’homophobie.

Au contraire, l’entretien avec Christophe Malvault prit un caractère plus historique. Lorsque j’écoutais Christophe s’exprimer sur la déportation homosexuelle, lors de réunions publiques, de conférences de presse, il résumait toute ma pensée sans le savoir, tout ce que je voulais dire et démontrer dans mon film, il l’énonçait clairement en quelques phrases, et il en fut de même lors de l’entretien que j’ai réalisé pour Amants des hommes. Et si cet entretien fut le moins personnel, il est en revanche le plus riche sur le devoir de mémoire, sur le lien entre la reconnaissance de la déportation des homosexuels sous le nazisme et la lutte contre l’homophobie aujourd’hui.

L’entretien avec Bruno Gachard fut celui le plus chargé émotionnellement, il dura presque deux heures au cours desquelles Bruno parla tour à tour de la déportation homosexuelle, de la lutte contre l’homophobie, de son parcours d’homme et de militant, et sur un registre plus personnel : du SIDA… et de son SIDA.

Il me semble que l’on retient de l’entretien de Bruno, tel que je l’ai monté dans mon film, deux éléments : la reconnaissance de la déportation homosexuelle au nom de la reconnaissance de la vérité historique et de l’égalité entre les hommes, un accès à la mémoire pour tous, une même loi pour tous ; et le lien qu’il établi entre le SIDA et la déportation :

« Le SIDA c’est aussi un peu notre déportation à nous (…) on s’adresse à des jeunes, moi en premier, qui ont vécu les camps des sidatoriums des hôpitaux, qui ont vécu des cimetières tous les deux jours lorsque les copains tombaient, qui ont vécu des crématoriums pendant des semaines et des semaines. »

Lors du montage de mon documentaire, cette comparaison suscita de vives réactions chez quelques personnes à qui je montrais mes premiers montages, certaines me suggérant même de me livrer à l’autocensure au son des « quand même, on ne peut pas dire ça », et des « c’est excessif, il faut plus de respect » etc, etc.

Je savais que Bruno ne comparait pas les camps et la déportation au SIDA, il s’agissait pour lui de faire une comparaison choc destinée à faire ouvrir les yeux sur la réalité de l’histoire homosexuelle, qui a, elle aussi, sa part de drame. Je soutenais Bruno dans sa démarche et j’en assumais pleinement la responsabilité en incluant cette séquence dans mon montage définitif.

Pour contredire les « frileux » qui au nom du respect me demandaient de censurer un propos, mon film fut vu par la suite par plusieurs anciens déportés, par plusieurs de leurs descendants, et aucun d’entre eux ne s’est offusqué de la comparaison faite par Bruno. Au contraire, je crois qu’ils en ont saisi la portée dramatique et militante.

Amants des hommes est construit sur les mots et la perception de la parole donnée, il s’éloigne de toute monstration : pas de scènes évoquant la torture, pas d’images de crimes homophobes. La parole est à la base de tout, les choix cinématographiques ont pour but d’accompagner cette parole, de permettre de la recevoir et d’en percevoir la portée.

Ainsi le cadrage se veut répétitif, il est reconduit de manière identique d’un personnage à l’autre, sans échappée possible

De la même manière, le montage obéit à une structure très stricte. Les entretiens et les lectures sont uniquement entrelacés de plan de nature vide et de texte de loi, sans aucun ajout de musique, juste une sonorité faible et sourde.

A propos de Isabelle B. Price

Créatrice du site et Rédactrice en Chef. Née en Auvergne, elle s’est rapidement passionnée pour les séries télévisées. Dès l’enfance elle considérait déjà Bioman comme une série culte. Elle a ensuite regardé avec assiduité Alerte à Malibu et Les Dessous de Palm Beach avant l’arrivée de séries inoubliables telles X-Files, Urgences et Buffy contre les Vampires.

Répondre