Dans cet univers de béton, un coin de nature équivaut à la liberté. Pour Nedjma et sa bande de copines, ça se traduit par un voyage à Dieppe pour aller voir la mer, avec « un vrai ciel bleu ».
Au début, Nedjma a ses habitudes, son chemin tout tracé parmi les bâtiments, ses copines, ses activités de tous les jours. Sa routine est bien établie et elle ne s'en plaint pas. Mais Zina, nouvelle venue dans le quartier, vient percuter tout ça. Elle détonne déjà par le fait d'être étrangère à leur univers puisque nouvelle. Zina est extérieure, elle vient d'ailleurs. Elle apporte déjà un vent de liberté et de changement par definition. Ça se confirme lors d'un blind test où Zina est la seule à reconnaître la « musique de vieux », montrant qu'elle est ouverte aux codes différents, alors que Nedjma était jusque-là celle qui reconnaissait le plus de chansons. Elle a trouvé quelqu'un qui lui ressemble d'une certaine façon. Quand Zina se met à chanter, Nedjma est bouleversée. Tout chez elle la perturbe.
Zina continue de bousculer accidentellement les codes. Elle dérange en s'installant sans le savoir sur le banc de la bande de Nedjma, geste perçu comme une provocation. Nedjma essaie de calmer la pression qui monte, sans succès. On montre l'échec de la communication, quand Zina leur dit qu'elle aurait accepté de s'en aller si on le lui avait demandé normalement au lieu de l'agresser. Puis ça part en bagarre.
Il y a un côté presque animal dans ce film, avec un parallèle nature/béton omniprésent. On fonctionne en meute qui défend son territoire, un carré de béton par ci, un banc par là. Quitter la meute, c'est se retrouver à la merci des autres, comme Nedjma en fera l'expérience à ses dépends. On voit aussi ce rapport très animal quand l'ami de Nedjma la défend face aux accusations d'homosexualité qu'elle subira par la suite. Front contre front, le plus grand a toujours raison, c'est la loi du plus fort. Dans cet univers, on s'exprime d'abord avec l'attitude, la gestuelle, la posture. On doit paraître menaçant pour ne pas se faire manger. La jungle urbaine porte bien son nom.
Ici, les conflits naissent et se règlent dans la violence. Ce sont les poings qui parlent avant les bouches. Il faut se faire respecter à tout prix. Pour les filles, la réputation vaut de l'or. C'est pour cela que la bande de Nedjma tente de piéger Zina en diffusant une fausse vidéo d'elle en compagnie d'un garçon. Les rumeurs, qu'elles soient réelles ou supposées, sont mortelles. Elles tuent une réputation en deux secondes, concept que Nedjma tente d'expliquer à sa mère sans y parvenir. Changement d'époque.
Au fond, Nedjma est différente. Fille sans histoire, tranquille, elle s'entend avec tout le monde et vit son quotidien sans se poser de questions. Mais à la nuit tombée pourtant, elle monte sur les toits et observe le quartier, seule dans ce petit espace de liberté bien à elle. Hors de la cage, qu'il s'agisse de l'ascenseur, de l'escalier ou de l'immeuble lui-même. Nedjma cache en réalité un côté plus doux, plus tendre, qu'elle ne peut se permettre de montrer. Par exemple, Zina lui dit après leur première fois qu'elle la trouve douce, ce que Nedjma prend de suite comme un défaut en martelant qu'être doux, c'est être faible. À cela, Zina répond « Je ne trouve pas. ».
Quand leur relation est découverte, le monde tel que Nedjma l'a toujours connu explose. Ses amies la rejettent, sa sœur la rejette. Elle-même finit par rejeter Zina par peur du regard des autres. Mais elles ont déjà tout vu. C'est trop tard. Nedjma tente de recoller les morceaux avec ses amies, en vain. Le temps passe et Nedjma s'isole de plus en plus. Jusqu'à ce que la cousine de Zina vienne lui parler : « Tu sais, ma cousine a toujours kiffé les trucs chelous. C'est peut-être sa nature, je sais pas [...]. Mais je ne veux pas la voir pleurer. [...] Fais quelque chose. ».
Le rapport entre homosexualité et culture maghrébine n'est pas traité directement. La cousine de Zina ne la comprend pas dans son choix de vie "chelou", mais elle l'aime et ne supporte pas de la voir triste. Pareil pour la sœur de Nedjma. Ça commence par des attaques, « c'est une maladie. ». Ça fait la sourde oreille au propre comme au figuré. Mais au final, Leïla comprend que sa sœur souffre de cet amour si mal reçu et c'est ce qui compte, peu importe que l'on partage les mêmes codes ou non. Et puis Nedjma comprend enfin. Comme elle l'explique à Zina quand elle a enfin le courage de la recontacter, il y a « plusieurs morceaux d'elle ». Ce sont ces morceaux-là qu'il faut recoller, non ceux d'une réputation brisée qui n'a que l'importance qu'on lui donne.
Vers la fin du film, c'est donc l'amour qui signe le point final. Nedjma choisit Zina. Elle l'invite dans une tente qu'elle a planté sur le toit de l'immeuble, là où elles ont fait l'amour pour la première fois. Zina lui fait remarquer que sa tente penche et qu'elle va s'envoler. Nedjma lui répond que c'est parce qu'elle ne tient pas bien dans le béton. La tente symbolise leur amour, mal arrimé dans cet univers de béton en opposition à une terre qui ne rejette jamais ses racines. Quant à l'envol, il peut être perçu comme un signe de faiblesse, mais il est aussi et surtout l'image même de la liberté.
Puis on voit le ciel bleu depuis le toit, au grand jour cette fois, et non de nuit comme quelque chose que l'on cache. Le ciel bleu est juste au-dessus de leurs têtes, de leur tente. À portée de main. On le voit de plus en plus alors que les plans changent, jusqu'à réaliser que le grand ciel bleu recouvre tout le quartier. Finalement, le grand ciel bleu est visible partout. Qu'on soit dans le quartier ou à la mer, il est le même partout pour peu qu'on ose lever la tête.
La métaphore du ciel ouvert, c'est la multitude de possibilités offertes. C'est le symbole ultime de la liberté. C'est le choix que fait Nedjma à la fin du film quand elle demande de l'aide pour rédiger sa lettre de motivation. Elle a compris que la véritable liberté dans cet univers, c'est l'indépendance à tous les niveaux. Le sourire qu'elle lance à Zina alors qu'elles viennent de s'écrire en secret sur leurs téléphones laisse peu de doutes sur l'avenir de leur relation. À l'abri pour l'instant sous la tente, jusqu'au jour où elles seront prêtes à voler de leurs propres ailes.