Virginie Despentes

Les femmes et hommes qui vous ont marqué...
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Silverring

Re: Virginie Despentes

Message par Silverring »

C'est sûr qu'il est dense !
Et pour bien entendre ce qu'elle dit, il faut accepter de questionner sa vision de la société, ce que peut être carrément éprouvant.

De la "fin", ce que tu as trouvé long c'est le fond correspondant (pornographie, sexualité, désir et genre, retour sur le parcours personnel...) ou étais-tu donc essoufflée par ce que tu avais déjà lu ?

lesbionic
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Re: Virginie Despentes

Message par lesbionic »

je ne sais plus trop, il me semble que l'équilibre entre la provocation et la justesse du propos est meilleur dans la 1ière moitié du livre (la partie sur la pornographie ne m'a pas séduite. Si on ne nait pas femme et qu'on le devient, pour autant toutes les femmes ne sont pas des pornographes ? Peut être aussi que les lesbiennes échappent à son modèle simplifié de la femme prostituée ?). Cette partie me semble plus anecdotique.
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Silverring

Re: Virginie Despentes

Message par Silverring »

C'est marrant, j'ai des souvenirs très forts de ces passages découlant d'un passage qu'on trouve au milieu du petit volume : "La dichotomie mère-putain est tracée à la règle sur le corps des femmes, façon carte d'Afrique : ne tenant aucunement compte des réalités du terrain, mais uniquement des intérêts des occupants."
Cette image m'a marquée durablement, tout comme ce qui suit juste après le point et le autres chapitres. Je vois que ce que tu en gardes diffère fortement.
Dans mon souvenir, le travail sexuel est présenté comme une façon de vendre sa force de travail pas toit à fait comme une autre, et ce parce qu'elle permet de gagner bien plus qu'un SMIC (80% des postes payes au SMIC sont occupés par des femmes), mais aussi parce qu'il représente une infraction aux représentations habituelles. Elle évoque ainsi les sensations physiques d'enpowerment liées à la réappropriation de son image féminisée pour entrerdans le personnage. User des codes dits féminins pour jouer le jeu en connaissance de cause, en assumant complètement.

Quand tu dis des lesbiennes non concernées pas ce qu'elle décrit, tu penses à ce qu'elle dit de bourgeoises bien-pensantes qui souhaitent voir la prostitution abolie ?
Tu trouves son trait caricatural quand elle dit qu'elles sont inquiètes que cela soit "régularisé" parce que le service deviendrait alors moins contraignant que les liens du mariage ?
C'est sûr qu'il y a des passages où elle y va fort, on peut oublier qu'elle parle d'un milieu restreint...

Concernant la pornographie, j'ai retenu le rapprochement fait entre la représentation de la femme et ce qui serait un comportement masculin fantasmé. Comment les jeunes femmes sont "consommées" par le milieu et sont comme interdites d'autre insertion socioprofessionnelles parce qu'elles sont passées par là. Comment elle pointe qu'au lieu de leur en être reconnaissant, les hommes les méprisent. Encore des hommes qui font leur beurre sur leur dos parce que là aussi ce sont eux qui dirigent et empochent.

Dans ce chapitre, il y a aussi, bien sûr la place du désir féminin, la question de la masturbation...

Heu, je vais arrêter là ma tartine et avouer que je l'ai lu plus d'une fois...

Oh et puis si, j'ajoute quand même que je juge cet essai bien plus subversif que provocateur...

lesbionic
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Re: Virginie Despentes

Message par lesbionic »

Anecdotique parce que toutes les femmes ne sont pas des putains ou des actrices porno ! Et qu'il n'y a qu'une infime minorité de femmes qui a la possibilité de "s'approprier les codes" pour mieux s'en libérer. Comme elle le rappelle elle-même, c'est plus facile pour Paris Hilton que pour la bergère éthiopienne... Plutôt que de légitimer la prostitution (c'est vrai que c'est subversif), qui n'a rien de neuf (l'histoire est pleine de femme parties de rien qui ont fini riches et célèbres grâce à leur talent de courtisane, ce qui prouve bien qu'il y a toujours eu là une clé possible de réussite pour les plus intelligentes, les plus manipulatrices, les plus belles) j'aurais préféré qu'elle prenne le risque de décrire d'autres pistes (et précisément comme elle le décrit dans son intro magistrale, pour toutes celles qui n'ont pas la chance d'être belles, intelligentes ou manipulatrices).

Je me rends compte que le principal défaut que je trouve à ce livre, c'est Despentes elle-même car c'est sa vie qui lui sert de fil conducteur. Or son propos va bien au delà de sa personne.

Encore une fois, j'ai aimé ce livre avec ses phrase courtes qui font mouches et le livre ne parle pas que de la prostitution féminine et de la pornographie hétérosexuelle, bien au contraire...
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Silverring

Re: Virginie Despentes

Message par Silverring »

Anecdotique ? Beaucoup se rangent dans la seule géographie maternelle de la carte dressée sur le corps féminin. D'autres praviennent à sortir du shéma ou à le subvertir. Mais celles-là sont souvent ramenées à la seule image partagée disponible : si ce n'est la mère, c'est donc la pute, ou la salope si tu préfères.
On est encore une salope quand on assume désir et pouvoir (et je ne pense pas qu'au domaine de la séduction).
Je pense ainsi à un autre passage au début du livre au cours duquel elle décrit les pressions sur les femmes publiques. Elle peuvent exercer un pouvoir concédé par le patriarcat, mais doivent y montrer leur soumission implicite en se montrant sous un jour séducteur aux yeux des hommes. Se soumettre au diktat minceur-jeunesse-maquillage-talons. Rappelez-cous comme certainEs ministres en ont pris plein les esgourdes si elles dérogeaient aux règles de l'élégance...
D'autres diront que le temps passé en drainage-maquillage-coiffage c'est autant de mobilisation en moins autoir des droits des femmes... Qu'adopter des chaussures et des jupes qui sont loin de te permettre de prendre tes jambes à ton cou si tu te fais courser par un violeur participer aussi à maintenir le rapport de force en place. Je force le trait à me remémorer King Kong Théorie... Mais ce qu'elle dit du viol résonne encore en moi.

Ce qu'elle dit de l'héritière Hilton, c'est qu'avant d'être femme, elle est de a haute, de ceulles à qui le scandale est permis et qui ne peuvent être réduits à quelque frasque.
L'introduction qui dit d'où elle écrit montre dans quel contexte se sont égrainées ses prises de conscience. Entre vécu et lectures, bouleversements et rencontres. Sa réflexion dépasse bien sûr une théorisation autobiographique, mais le lien avec sa trajectoire personnelle donne un ancrage qui me fait dire sans hésitation "subversif plus que provocant".
Elle ne s'atrribue pas la primeure des concepts qu'elle manie. Elle cite volontiers Camille Paglia par exemple. Et ça a beau ne pas être neuf, si c'est encore subversif, c'est que cela doit encore être entendu.

N'est-elle pas, elle l'exemple d'une ascension malgré sa grande gueule et son incapacité à être une femme-comme-il-faut ?
Comme elle montre qu'on peut toutes se saisir des codes et les retourner... Vivent les high fem...

lesbionic
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Re: Virginie Despentes

Message par lesbionic »

C'est ce dernier point qui n'est pas clair pour moi. Car justement son histoire n'est pas exemplaire. Elle est une artiste avant d'être une femme et son succès populaire annule toutes les critiques de l'establishment. Ce qui n'empêche pas qu'à la première occasion, on lui fera payer cher cette subversion.

Pour que ca marche, les hommes doivent changer. En fait je crois que ce livre s'adresse d'abord aux hommes non ? C'est à eux de prendre conscience que notre société doit et peut changer
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Silverring

Re: Virginie Despentes

Message par Silverring »

Dès Baise-moi on a voulu lui faire payer. D'être une femme qui dépeint la violence. Elle raconte dans King Kong Théorie, jusqu'à l'ancdote qui lui a inspiré le titre Les jolies choses. Elle y cite aussi les films réalisé par des hommes qui mettent en image des trames pas si différentes et qui n'ont pas reçu un tel accueil...
Une femme c'est doux, tendre et effacé. Ça parle pas comme un charretier et ça devient pas serial killer parce que ça s'est fait violer. Ça chiale en silence et sort du marcher au mariage par descence.

Et changer une société, c'est bouleverser le règles du jeux et transformer les individus. Le levier le plus important reste l'éducation. Hors, qui est le personnel éducatif non salarié ? Les mères, des femmes, non ?
Les prof des écoles sont pas tous mâles, pourtant, on est encore dans les stéréotypes maths-garçons, français-filles... Qui les véhicule, les transmet implicitement ou explicitment ?

C'est l'humain qui peut évoluer dans sa façon de considérer son semblable (et son environnement). Hors, au moins la moitié des humains sont des femmes.

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Clieuterpe
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Re: Virginie Despentes

Message par Clieuterpe »

lesbionic a écrit :Pour que ca marche, les hommes doivent changer. En fait je crois que ce livre s'adresse d'abord aux hommes non ? C'est à eux de prendre conscience que notre société doit et peut changer
Je ne suis pas sûre que le livre s'adresse d'abord aux hommes...
Parce que Despentes montre par bien des occurences que la femme peut, elle-même, être un levier de changement de la société.
Que c'est à elle, par certains comportements, de faire changer le regard qu'on lui porte et donc l'attitude qu'on aura en face d'elle.
Evidemment ça ne suffit pas. Pour vraiment voir la différence, il faut que l'ensemble de la société change, et ça c'est pas demain la veille...

Mais en tout cas, l'impression qui m'est restée est celle d'un livre qui s'adresse aux femmes, ne serait-ce que pour les faire réfléchir, avant de les faire agir.

Et il est clair que si les hommes le lisaient... Ben ça leur ferait pas de mal.
Mais après, c'est éternellement le même problème : c'est toujours ceux qui pourraient faire changer les choses qui passent à côté de ce qu'on leur destine... :roll:
" Maudit soit à jamais le rêveur inutile,
Qui voulut le premier, dans sa stupidité,
S'éprenant d'un problème insoluble et stérile,
Aux choses de l'amour mêler l'honnêteté ! "
Femmes Damnées II, C. Baudelaire (Les Fleurs du Mal)

Silverring

Re: Virginie Despentes

Message par Silverring »

Pour aller dans ton sens Clieuterpe, je rappelle juste que le dernier chapitre est intitulé : Salut les filles.

J'ai pris bonne note que tu as rappelé ailleurs qu'un homme a pu participer activement aux débuts de la diffusion des thèses féministes. Il faut que ses thèses soient travaillées, approfondies quelque part, pour que ceulles qui ne pâtissent pas directement ou consciemment de l'oppression correspondante s'en saisissent.

Il en va de même pour toutes ces choses qui paraissent petites mais par leur répétition quotidienne prennent une place sensible. Tout ce qui me fait répéter : le personnel est politique.

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Clieuterpe
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Re: Virginie Despentes

Message par Clieuterpe »

Oui, les thèses de Despentes méritent encore d'être travaillées et étoffées, c'est certain, mais je pense qu'elle appellent plus au débat qu'à la masturbation intellectuelle solitaire à laquelle un auteur peut se livrer, et rien que pour ça je trouve bon que Despentes ait livré ses thèses en devenir au grand public...

Pour reprendre sur les hommes Silverring, j'avais en effet évoqué Poullain de la Barre, qui a diffusé en grande partie les premiers embryons de "féminisme" (c'est totalement anachronique mais on fera avec ;) ).
Seulement attention, avec lui on est aux XVII°-XVIII° siècles !!
Donc un monde exclusivement masculin, où la femme, si elle s'exprime, est forcément très haut placée dans la société (c'est-à-dire en gros dans les sphères du gouvernement). Et il s'agit donc pour la première fois avec cet homme de défendre les femmes de l'étage du dessous, les nobles, les bourgeoises (là encore terme anachronique mais bon), bref les jeunes filles éduquées.
Poullain de la Barre porte donc ces théories auxquelles il adhère, parce que sans un homme dans ce monde d'homme, elles ne se feront jamais entendre.
Les temps ont changé, et l'évolution principale est là : en parallèle de la "grande histoire", le féminisme s'est lui aussi aventuré dans des strates de plus en plus basses de la société (dans une conception normée évidemment), et de la princesse on est passé à la duchesse puis à la noble ruinée, à la bourgeoise en devenir, à la femme d'artisan, à la femme au foyer, à l'ouvrière, à l'adolescente, à la mère célibataire en situation précaire, et on en arrive aujourd'hui à la hantise de la société, la prostituée...

Le seul petit problème dans toute cette évolution ? Ben oui Mesdames, on a paumé les hommes en route !
Et ce serait bien de pouvoir (enfin) les rattraper, parce qu'on ne va pas les marginaliser comme eux l'on fait avec les femmes pendant quelques petits millénaires, et puis ça nous évitera au moins d'entendre que les hommes d'aujourd'hui se sentent martyrisés et mutilés dans leur virilité morale... :roll:
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