@ Méluzine
Tu as raison dans le cas de la transsexualité, la problématique se déplace en ce que la constitution de l'identité de genre est totalement effectuée du point de vue opposé à son sexe.
Mais Brandon Tena n'est pas encore transsexuel et tant que l'opération n'est pas faite, qu'il reste femme, il n'est donc à considérer ni comme lesbienne (puisque ça ne correspond pas à son point de vue), ni comme hétéro (puisque ça ne correspond pas à sa physiologie). Le concept le plus proche puisque c'est ni vraiment l'un, ni vraiment l'autre, ce serait certainement de dire "transsexuel" en effet, mais peut-on vraiment le dire tant qu'il n'y a pas eu opération? Je ne sais pas.
D'un point de vue technique il reste cependant une femme, et l'utilisation qu'il fait du "gode-ceinture" le place dans la catégorie de l'artifice venant appuyer "l'illusion" de masculinité, de la "fausse" masculinité au niveau physiologique puisque ce n'est pas un vrai pénis, mais de la "vraie" en revanche au niveau psychologique puisque ça a un effet apaisant et salvateur comme son corps se rapproche de l'image qu'il en a. Grâce à cela il retrouve ce qui lui manquait.
Après, ici, il me semble que ce n'est pas le recours à l'artifice qui permette de poser le socle de sa construction d'identité puisque l'on part de l'idée que son identité de genre masculin était en lui bien avant le travestissement, qu'il était présent à la naissance (comme s'il été né dans le mauvais corps puisque c'est souvent l'expression qui revient). Du coup, le recours à l'artifice advient en second lieu, non pas comme lancement d'un processus, mais comme aboutissement de ce dernier qui avait commencé bien avant.
Cependant, puisqu'il s'agissait aussi d'un article sur l'artifice, je pense que malgré le statut particuliers de la sexualité de Brandon Tena, Boys don't cry a quand même sa place puisque je trouve le recours à l'artifice paradigmatique des derniers pas avant le basculement total à l'accession pleine de la masculinité.
Edit: J'avais commencé à rédiger la réponse avant toutes ces réactions. Du coup je la poste quand même et je vais écrire ci-après en rapport avec les nouveaux posts.
Je ne cherche cependant pas à nier l'identité de cette personne puisque je la respecte pour ce qu'elle est.
@ Silverring
Certes on ne peut pas dire "lesbienne", mais pour moi on ne peut pas dire "hétéro" non plus, en l'absence d'un terme pour le définir, car si tu l'appelles "homme" alors que les critères de ce qui définissent un homme ne sont pas remplis (critère physiologie nul, critère psychologique positif), on perd pied. En revanche, je suis d'accord aussi pour dire que les critères de ce qu'on appelle "femme" sont peut-être remplis au niveau de la physiologie mais pas à celui de l'identité de genre (critère physiologique positif mais critère psychologique nul), et dans ce cas là "femme" ne correspond pas non plus. Mais on revient au problème du quantifiable: les observations psychologiques ne peuvent pas se borner à ce que dit la personne et ont des limites au niveau de l'observation et de la compréhension, en revanche le médical peut se référer à ce par quoi on distribue les genres (le sexe) même si ce n'est pas non plus le seul facteur d'identité. Là je ne défend pas un point de vue, que ce soit clair, j'amène juste différentes sortes d'argument pour exposer cette question. En philosophie on fait l'expérience de ce problème comme suit: prenons deux personnes A et B. Imaginons que l'esprit de A aille dans le corps de B. Qui est désormais B ? Est-ce toujours B qui a changé de façon d'être, ou n'est-ce plus B (A dans le mauvais corps) ? La réponse à cette question vous indique si vous accordez la prépondérance au corps ou à l'esprit. Elle peut aussi indiquer si pour vous l'un est indissociable de l'autre si pour vous la question devrait être : Est-ce encore A ou B, ou convient-il désormais de parler de C et de D ? Mais en dehors de ça, je considère que toutes les réponses se valent, qu'il n'y a pas qu'une vérité, donc je montre juste ce genre de questionnement pour amener à réfléchir sur la question, pour que les personnes puissent comprendre les tenants et les aboutissant de leur vision du monde. Je ne juge pas la réponse, j'apprécie uniquement la démarche de remise en question qui est celle de se poser des questions. Je ne suis pas dans un esprit de système ou dans une démarche autre que ça, et toi tu as visiblement beaucoup réfléchi sur le sujet et possèdes déjà un certain nombre d'idées et d'opinions, ce qui est tout à ton honneur.
Sinon, je pense qu'il ne faut pas nier l'aspect physiologique, ne pas le nier ne revient pas non plus à tout fonder sur lui. Donc je ne vois pas comme contradictoire de rappeler les liens originels entre sexe anatomique et genre. Il faut bien qu'il y ait une filiation entre les deux, qui puisse être déconstruite par la suite si tu veux, mais qui est effective à l'origine dans les rouages de la création des valeurs.
Après nos points de vue divergeront toujours car comme tu le dis tu es pour le "dégenrage" de la langue, nous n'avons pas la même conception des choses. Tu te places déjà dans la mise en exercice d'une pensée ou d'une doctrine, tu utilises le prisme de ta vision des choses pour me lire et ça ne peut pas fonctionner comme ça. J'ai l'impression que ton dégenrage consiste à casser les liens entre anatomie sexuelle et identité de genre car c'est à cause d'eux que des problèmes tels que ceux de Brandon Tena existent, à cause du décalage généré par ce que des personnes comme lui ressentent et l'identité qu'on leur assigne, en gros par l'étouffement du cadre socio-culturel comme tu disais.
Je ne suis pas tout à fait d'accord avec toi parce que je considère que le mal ne réside pas dans la fondation de l'idée de genre sur celle de sexe anatomique. Tu dis que je confonds alors qu'il me semble juste que je choisis de ne pas nier cette donnée. Ce qui pose problème est ensuite la confusion entre sexe anatomique et orientation sexuelle
considérée comme allant de pair avec (une doit aller avec un homme, et un homme aller avec une femme) et/ou sexe anatomique et style de vie
considéré comme allant de pair avec (si tu es une fille tu vivras comme tel par exemple, tu ne feras pas ci et pas ça) et/ou sexe anatomique et identité de genre
considéré comme allant de pair avec (si tu es femme tu n'es pas un homme), le problème est donc l'imposition pure et simple de l'un sur l'autre. Le fait qu'il y ait une généalogie entre les deux me semble au contraire évident et j'y reviens forcément quand il s'agit de nommer la constitution de l'identité de genre.
On a tous le droit de choisir notre identité de genre: mais je ne trouve pas légitime qu'au nom du combat pour la banalisation on prétende que ce soit sans rapport avec les questions de physiologie puisque réside dans celles-ci l'origine de la création de ce système de valeur. Ce n'est pas le système de valeur en soi qui est mauvais, mais le fait que la constitution de l'identité de genre soit forcée à ne pas s'exprimer au-delà du prisme binaire homme/femme qui est réducteur si pris dans l'absolu.
Ce n'est pas un problème résidant dans la physiologie si l'esprit humain s'est borné à ériger des normes arbitraires desquelles il ne faudrait pas se défaire ce sans quoi on se ferait taxer "d'anormal" ou de "déviant". C'est pourquoi, eu égard à cette tendance à normaliser qui colle à la peau de l'homme, je ne pense pas que l'on doive se séparer de la généalogie entre sexe anatomique et genre identitaire (parce qu'on nierait alors l'histoire de la constitution de notre identité), il faut juste lui donner une tournure moins étriquée, moins radicale. Le problème n'est pas de se baser sur le sexe anatomique, le problème est de considérer naïvement - de la même manière que le sexe anatomique est binaire - que l'identité de genre est binaire elle aussi (la normalité étant pensée comme la récurrence du cas majoritaire c'est-à-dire par exemple l'hétérosexualité).
Je pense que l'on prend conscience des opérations fallacieuses de l'esprit en les observant, en les nommant, en comprenant ce qui fait défaut et en essayant de ne pas les reproduire. Ton projet de dégenrage me semble prendre le problème à rebours et n'être qu'une solution de substitution : ce n'est pas en éradiquant l'environnement dans lequel le problème est arrivé que l'on sera sauvé des problèmes. Si on pouvait tout refaire… mais ce n'est pas le cas, je suis d'avis que l'on doit composer avec le présent. Les nouvelles générations ont été élevées avec cette généalogie binaire de la conception de genre et acceptent pourtant de plus en plus les LGBTQIA eu égard à l'ouverture d'esprit visant à se défaire de la confusion entre anatomie sexuelle et identité de genre,
autorisant désormais à s'identifier de la manière que l'on veut (et non plus en fonction du système de valeur qui, au lieu de rester prescriptif, est devenu normatif), comprenant l'inconsistance du concept de normalité. Pour moi, cela prouve que la configuration actuelle et le fonctionnement que nous avons en héritage ne sont pas incompatible avec le changement et la tolérance.