Interview de la scénariste et réalisatrice Chris Vander Stappen

Chris Vander Stappen

Interview accordée à Stéphanie Bee le 27 Septembre 2010 pour le site Univers-L.com

Vous avez écrit et réalisé La Fête des Mères et Que faisaient les femmes pendant que l’homme marchait sur la lune. Peut-on considérer que ce sont vos œuvres les plus personnelles ? Pouvez-vous nous en dire plus sur l’éventuelle part autobiographique ?

Mon film le plus personnel et « autobiographique » est Ma vie en rose, même si je n’ai pas réalisé le film. Bien sûr, La Fête des Mères, Que faisaient les femmes… et Tous les papas ne font pas pipi debout parlent de ma situation, de mon mode de vie, mais ils ne racontent absolument pas ce que j’ai vécu et la façon dont j’ai vécu le coming out ou mon histoire avec mes deux fils.

On parle bien de ce qu’on connaît bien, mais tout l’intérêt de la fiction, de ce vaste territoire du « Et si… » est de rendre bien plus passionnante l’histoire que ce que sont nos vies réelles qui n’offrent souvent que peu d’intérêt.

Avez-vous des griefs contre les chansons populaires telles que « les Amants de Saint-Jean » ou « Les Roses Blanches » que fredonne  sans arrêt la mère de Sacha dans La Fête des Mères et Que faisaient les femmes… ?

Je n’ai aucun grief contre ces chansons. Elles appartiennent à l’époque du personnage de la mère, interprété dans les deux films par la magnifique Hélène Vincent, et elle les chante pour fuir une situation qui la met mal à l’aise ou pour se réfugier dans le monde édulcoré de ce que ces chansons racontent. Quand elle se met à chanter, elle en dit beaucoup plus que si elle usait d’une pirouette verbale. Ça lui donne toute sa dimension en tant que personnage, une mère maladroite, mais terriblement touchante et poétique. Ces chansons révèlent la faille émotionnelle du personnage sans devoir recourir aux explications.

Certaines de vos répliques sont des petits bijoux, telle « Est-ce que j’avais besoin d’un grille-pain pour réussir ma vie ? » Desquelles ou de laquelle êtes-vous la plus fière ?

Je n’arrive pas à répondre à cette question car le dialogue est une partie d’un tout. Il s’inscrit à la suite de ce qui le précède, dans une séquence où il complète ou renforce ou dénie une action, une situation, une confrontation. Quand le personnage de la mère, si soucieuse des apparences, dit « Est-ce que j’avais besoin d’un grille-pain pour réussir ma vie ? », elle le dit au milieu d’une rue, au regard de tous, où elle a dressé une table de fête après que les huissiers soient venus chercher le mobilier. Elle le dit à tous ceux réunis autour de la table, son mari, ses filles, sa mère, les amis de sa fille. Elle a tout perdu, elle arrête enfin de papillonner et de fuir ce qui se passe pour faire son propre coming out et accepter enfin que sa fille ne soit pas le projet qu’elle en a fait. Le dialogue fait partie de la partition de la musique du film, comme si chaque personnage était un instrument que j’aime faire résonner jusqu’à la dernière corde, avec sa tonalité propre et particulière.

Se parler est souvent impossible, difficile, contrarié dans vos films. Ce n’est jamais le bon moment ou bienséant. Pensez-vous que la parole, le dévoilement des secrets, le « coming-out » soient préférables à l’adage : « pour être heureux, vivons caché » même si c’est difficile ?

Vivre caché, c’est savoir qu’un jour on sera découvert ! C’est accepter la honte et l’inconvenance. C’est se condamner soi-même. Parler, se parler, est souvent difficile, mais ne pas le faire conduit à l’échec de sa propre acceptation et de nos relations aux autres, qu’elles soient familiales, amicales ou amoureuses. Je dirais plutôt « Pour vivre heureux, vivons dans la lumière ».

Les pères sont souvent silencieux mais plus compréhensifs que les mères dans vos films. Est-ce que vous pensez que la relation est plus difficile entre une mère et sa fille qu’elle découvre homosexuelle ?

Non, je pense que les relations mère-fille n’ont rien de simple, que la fille soit homosexuelle ou non. L’homosexualité renvoie la mère à sa propre sexualité et à son ambigüité. C’est cela qu’elle accepte ou nie, accueille ou rejette.

La relation mère-fille vis-à-vis de l’homosexualité est toutefois moins violente que celle du père à son fils qui repose sur les règles et les diktats de la virilité. Il y a un tabou bien plus grand lié à l’homosexualité masculine. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi dans « Ma vie en rose » de raconter l’histoire d’un petit garçon et non d’une petite fille.

Dans Que faisaient les femmes… et dans Tous les papas ne font pas pipi debout, le personnage de la fille prend beaucoup de photos ou tourne des petits films. Est-ce le signe d’un goût pour la nostalgie ou d’une inquiétude face au temps qui passe ?

Plutôt un regard distancié. La caméra ou l’appareil photo sont des remparts et en même temps ils permettent un regard détaillé, des gros plans, révélant les failles et les portes d’entrée chez l’autre.

Le ton de vos films est très particulier. Vos scénarios sont tous drôles et tristes, tendres et goguenards. Seriez-vous d’accord pour dire de vous que vous êtes une humaniste ?

Je place effectivement l’être humain au-dessus de toutes les valeurs. Mais ça me paraît prétentieux de me définir comme une humaniste. Je n’ai que des questions, aucune réponse, et ma façon de penser n’adhère à aucune philosophie particulière. C’est la complexité et le mystère de la nature humaine qui me fascinent et m’interrogent. Qui me touchent. Et ce qui me touche doit prendre une forme, celle de l’écriture, d’une histoire à raconter, de personnages à mettre en vie, en scène, de relations à explorer.

Ce que j’observe de la vie et des gens qui s’y débattent, qui affrontent les évènements qui leur tombent dessus, les combats qu’ils ont à mener, c’est ce télescopage permanent de gravité et de drôlerie, de réalisme et de poésie, de tendresse et de rudesse. Il suffit de changer d’angle, de point de vue, pour aborder un événement d’une autre façon, avec une émotion différente, un regard qui révèle une autre facette de ce qui se passe. Pour moi, la vie, c’est tout ça en même temps et c’est donc comme ça que je l’écris.

Quelles réactions à vos films vous ont marquée ? Pensez-vous que le cinéma puisse aider à faire avancer la tolérance ? Vous décririez-vous comme une militante ?

Ce qui m’a le plus touchée comme réaction à mes films, c’est de voir qu’à travers les histoires spécifiques que je raconte, tout le monde est touché et se sent concerné. Homosexuels ou pas, les gens me disaient « C’est mon histoire » ! C’est une émotion extraordinaire de voir que les frontières qui sont censées nous séparer dans nos différences disparaissent pour faire place à une émotion commune.

J’ignore si le cinéma peut aider à faire avancer la tolérance, mais je suis sûre qu’il a le pouvoir d’émouvoir là où on n’imagine pas être ému, touché. C’est là toute sa magie.

Vous travaillez souvent avec les mêmes personnes, notamment Hélène Vincent ou Catherine Burniaux, votre productrice depuis 1998. Êtes-vous une fidèle ?

Oui, je suis quelqu’un de fidèle. Dans ma vie privée comme dans ma vie professionnelle qui sont étroitement intriquées. J’aime constituer une famille, une tribu dont les membres s’aiment, s’estiment et se connaissent suffisamment pour affronter tous les rêves, tous les défis, toutes les aventures.

Aujourd’hui, de quoi êtes-vous la plus fière ?

De mes deux fils qui me surprennent, m’émeuvent, me font rire et m’émerveillent tous les jours.

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