Un Noël au nord du 47ème Parallèle

Le lendemain matin, aussitôt le petit-déjeuner expédié, Madeleine appelle les propriétaires du chalet et du condo. Après avoir discuté prix et disponibilité, comme les deux villages ne sont pas très loin de Québec et que le soleil est au rendez-vous avec un petit -15°C, les routes dégagées et pas de chute de neige annoncée, nous décidons de nous rendre sur place avant de prendre une décision. Premier arrêt à Berthier-sur-Mer. Nous repérons rapidement le chalet. Bien situé à l’entrée du village sur le bord du fleuve, il nous plaît assez. Nous descendons de voiture pour regarder par les fenêtres. Tout semble parfait, en ordre, les fauteuils au salon invitent à de longues heures de lecture, la cuisine s’ouvre sur un solarium quatre saisons face au fleuve, il y a même un petit poêle à bois dans un coin. Il n’y a pas à dire, l’ensemble répond à nos goûts. Je nous vois déjà confortablement installées dans les fauteuils de rotin devant le feu qui crépite doucement, les pieds sur la palette du poêle, un verre de chardonnay à la main.

__  « Comme ce chalet n’est pas habité depuis l’été dernier au dire du propriétaire, penses-tu qu’il y a des mulots cachés quelque part? »

Le charme tombe subitement. Je déteste les mulots. Plutôt, j’ai horreur des mulots. Du coup nous décidons d’aller jusqu’à L’Islet-sur-Mer vérifier notre deuxième hypothèse. Nous reprenons la route transcanadienne et poussons un peu plus à l’est, un peu plus au nord de Québec. L’Islet-sur-Mer est l’un des plus beaux villages du Québec assurément. De chaque côté de l’unique rue qui longe le fleuve, une enfilade de maisons ancestrales à lucarnes entretenues à la perfection, peintes dans des couleurs joyeuses. Le village brille comme un sou neuf dans cette lumière de fin de matinée d’hiver, nous sommes ravies. Nous repérons rapidement l’adresse du condominium. Oh! Surprise! Flanquée sur le bord du fleuve, une construction ultra-moderne, à mi-chemin entre un manoir seigneurial et la grande maison victorienne, l’effet est surprenant et tout à fait en harmonie avec le village. L’oie Blanche sur Mer, en référence aux milliers d’oies sauvages qui font escale dans cette région au printemps et à l’automne.

__ « Que c’est beau! », s’exclame ma Grande Lesbienne qui ne résiste jamais au charme du fleuve quelle que soit la saison. En cet instant le côté moderne du complexe m’inspire beaucoup plus que le fleuve. Nous nous empressons d’aller frapper à la porte du gérant. Il nous fait visiter le condo qui sera disponible durant les fêtes. Alors là, je suis soufflée! Tout est neuf, les pièces sont spacieuses, bien meublées, pas trop chargées, la cuisine est entièrement équipée, il y a même une baignoire dans un coin de la chambre sous une fenêtre qui laisse entrevoir un bout de fleuve. C’est trop beau pour être vrai!

__ « C’est magni… ». Un coup de coude dans les côtes de Madeleine m’empêche de terminer mon exclamation. Comme je la connais, elle veut sans doute se garder une marge de manœuvre pour négocier à l’aise. C’est son côté fille de marchand qui remonte à la surface. Je suis si emballée que je serais prête à signer le bail tout de suite sans plus réfléchir. Ma Madeleine plus pragmatique entreprend des négociations avec le gérant pendant que je poursuis la visite de l’appartement. Je découvre, attenant au salon, une verrière qui donne sur la vaste étendue du Saint-Laurent qui doit bien faire entre vingt et vingt-cinq kilomètres de largeur à cette hauteur.

__ « C’est fait. J’ai réservé du vingt-trois au trente. Et devine quoi… j’ai obtenu une nuit gratuite. Dis merci à ta Madeleine. » Au lieu de cela, je m’empresse de l’embrasser chaleureusement et de façon ostentatoire pendant que le gérant a le dos tourné.

De retour à la maison, la vie reprend son cours à une vitesse effrénée. Même si je n’ai toujours pas de nouvelles des enfants, je sais bien qu’ils finiront par s’entendre. Nous devons tout préparer, tricots à finir, cadeaux à emballer, décorations de Noël à installer à l’intérieur et à l’extérieur, dernières courses, bagages à boucler pour notre escapade, petits plats à cuisiner pour agrémenter notre séjour. Bref, sans crier gare, nous voilà déjà rendues à l’avant-veille de notre départ.

Objet :           Les mamies en goguette

De :                ‘M’man’

À :                   ‘Caroline’, ‘Fanny’, ‘Antoine’, ‘Jasmin’ et ‘Petiote’

Date :            vendredi 20 décembre 2013, 21 h 05

Salut mes poussinots et poussinettes,

Toujours pas de nouvelles de vous… Je vous imagine enfin au repos pour quelques jours. Bien mérité évidemment. Oui, oui, vous avez des enfants et des activités qui vous accaparent tellement que vous n’arrivez même pas à vous entendre pour fixer une date pour notre fête familiale annuelle. Mais je suis sans crainte, vous y arriverez comme toujours puisqu’elle détermine celle pour la fête de votre père, l’autre branche de la famille. Et on ne tergiverse pas avec ce dernier comme avec maman, n’est-ce-pas?

Quoiqu’il en soit, les mamies ont pris les devants, elles ont décidé de s’échapper. Nous partons dimanche pour un séjour dans le Bas-du-Fleuve. Nous avons réservé un condo à L’Islet-sur-Mer pour une semaine. Vous tous qui connaissez bien cette région, imaginez les couchers de soleil que nous nous paierons. Jaloux? Bien fait pour vous!

Nous serons de retour à la maison le vingt-neuf ou le trente, selon la température. Voyez entre vous comment organiser la suite des événements.

Soyez sans crainte, les mamies seront toujours branchées. Vous pourrez communiquer en tout temps avec nous.

Je vous aime, M’man

P.S. Caroline, j’imagine que tu as rendu tous tes travaux scolaires et que tu te reposes un peu. Je t’embrasse tendrement. Et toi Petiote tu peux m’écrire de temps en temps, tu me manques tellement. Fanny, n’en fais pas trop durant tes vacances, prends du bon temps avec ton chum et tes deux petits.  Jasmin, j’ai bien hâte de vous revoir Margot et toi avec votre horde sauvage. Antoine, non non je ne t’ai pas oublié, je vous souhaite un très beau voyage à Buenos Aires.

__ « Tu as consulté MétéoMédia sur ta tablette? » me demande Madeleine.

__ « Non, pourquoi? »

__ « Eh bien, on annonce une tempête pour le vingt-trois. Trente à quarante centimètres de neige, des vents du nordet allant jusqu’à quatre-vingt-dix kilomètres-heure sur le bord du fleuve, la totale quoi! » La tempête devrait commencer durant la nuit et se prolonger toute la journée du lendemain. »

__ « Si nous ne partons pas le  vingt-deux, il faudra attendre le vingt-quatre. Et encore faudra-t-il que la tempête soit terminée et les routes dégagées. Maudit hiver! » Appelons le gérant de l’immeuble, il acceptera peut-être de nous louer une journée à l’avance. Et partons demain.»

__ « Mais nous sommes invitées à souper chez mon frère demain. On sait bien, quand c’est ma famille t’as tendance à oublier facilement. »

__ « Te choque pas, ma Madeleine, je veux tellement partir avec toi que j’en oublie tout le reste. Mais si le gérant est d’accord, tu pourrais peut-être appeler Paul et voir s’il peut remettre son invitation en janvier. Qu’en penses-tu mon amoure? » Je lui passe langoureusement la main dans les cheveux en lui susurrant tendrement à l’oreille que je l’aime.

__ « Bon, je vais voir ce que je peux faire. »

Tout finit par s’arranger, et le lendemain matin nous quittons Québec la voiture pleine de vêtements chauds, de victuailles et de vin. Suffisamment pour entreprendre notre siège nordique. Il fait beau, c’est le calme avant la tempête. La route est dégagée, nous arrivons à destination en début d’après-midi. Après  s’être installées et avoir fait une sieste bien méritée, nous partons acheter les aliments frais à Saint-Jean-Port-Joli, nous réservant la tournée complète de ce village si pittoresque plus tard dans la semaine.

A propos de Ann Robinson

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