Un Noël au nord du 47ème Parallèle

Au réveil, c’est l’émerveillement, l’enchantement. Quoi de plus extraordinaire que de sortir du sommeil un matin d’hiver en pleine tempête! Nous avons bien eu conscience des vents durant la nuit, mais pas suffisamment pour nous empêcher de dormir tout notre soûl.

__ « Regarde mon amoure, comme c’est beau! me crie Madeleine du fond du salon. « Viens voir la tempête sur le fleuve. »

C’est extraordinaire, les vents sont déchaînés, la neige qui tombe est fortement poussée d’est en ouest causant une poudrerie aveuglante. Le temps était si calme à notre arrivée que nous distinguions facilement les lumières sur les pentes de ski du Massif de Charlevoix à Petite-Rivière-Saint-François sur la rive nord du fleuve, et ce matin notre vision est réduite à quelques mètres à peine. Voilà bien le Québec et ses charmes. La tempête bat son plein, les nouvelles sont désastreuses pour les voyageurs qui voulaient prendre la route aujourd’hui pour aller visiter leurs familles dans le Bas-du-Fleuve ou en Gaspésie. Les météorologues confirment que les vents du nordet sont de cinquante à soixante-dix kilomètres-heure avec des rafales allant jusqu’à quatre-vingt-dix kilomètres-heure. Les conditions routières sont tellement détériorées que Transport Québec a dû fermer l’autoroute entre Montmagny et Rivière-du-Loup. Quelle belle idée nous avons eu de partir hier, L’Islet-sur-Mer est justement à mi-chemin entre Québec et Rivière-du-Loup. Heureusement, mes enfants n’ont pas à prendre cette direction ces jours-ci. Me voilà rassurée, je peux goûter pleinement l’instant présent.

Après le petit-déjeuner, n’écoutant que notre courage, nous décidons de mettre le nez dehors. Une petite marche dans le village ne peut que nous faire du bien. Nous nous habillons en conséquence, caleçon et camisole à manches longues en laine mérinos, mitaines de peau de mouton et foulard autour du cou, tuque de laine doublée de polar, grosses bottes de neige, chaussettes thermales, et chaud manteau à capuches, nous voilà prêtes à braver la tempête. L’Islet-sur-Mer nous voici! Nous nous dirigeons spontanément vers l’ouest pour nous rendre au cœur du village le vent dans le dos, nous n’en ressentons pas trop les effets. La neige tombe toujours, nous peinons à avancer. Nous marchons tout de même bras dessus bras dessous sans parler à cause du vent, pendant au moins quarante-cinq minutes.

Un peu fatiguées nous décidons de revenir sur nos pas. Alors là, c’est une autre paire de manche, le vent nous empêche d’avancer, la neige nous cingle la figure, nous peinons à traverser les congères qui se forment sur le trottoir, le retour s’annonce difficile. Tout à coup j’aperçois une enseigne de l’autre côté de la rue, Café La Salicorne. C’est notre jour de chance, chouette le café est ouvert. Nous comprendrons plus tard, que les deux propriétaires, l’une cheffe cuisinière, l’autre hôtesse,  habitent à l’étage de cette magnifique maison ancestrale entretenue à la perfection. Nous consultons le menu. « Saucisses maison sans gluten, saumon d’élevage en mer, salade de homard, salade de pintade confite, pizza thaï aux crevettes, sandwich gourmand, plat végétarien… et vin d’importation privée. » Ce qu’il faut pour nous sustenter dignement. Oh bonheur! Oh délectation!

Nous optons pour la salade tiède de pintade confite maison accompagnée de pommes de terre grillées dans le gras de canard, avec des noix de pin, du chou rouge, de l’huile de noix et une vinaigrette maison, précédée d’un potage de poireau. Le tout accompagné d’un verre de cabernet sauvignon 2009. En guise de dessert, une verrine au chocolat, mousse au chocolat, crumble au chocolat et crème au caramel fleur de sel. Tout simplement décadent. Bien restaurées, nous enfilons nos vêtements chauds, il faut bien rentrer. Le vent souffle moins fort, la neige est plus légère et  le trottoir déblayé. Le retour se fait sans trop d’embûches. Nous sommes à la maison en moins d’une demi-heure, motivées par la sieste de mi-journée.

Dépouillées de nos couches de vêtements, nous nous glissons dans les draps frais sous la couette. M’approchant de Ma Grande Lesbienne, je touche ses cuisses gelées que je m’empresse de frotter tout doucement pour ne pas irriter sa peau. Puis mes mains remontent un peu plus haut sans rencontrer de résistance. Ragaillardie, elle se retourne vers moi et m’enlace tendrement. Nos bouches se retrouvent pour un long baiser langoureux. Nos mains se font de plus en plus agiles et rassurantes, la froidure de la tempête s’estompe graduellement, laissant place à la chaude plénitude de l’amour. Il est trop tard pour la sieste. Déjà c’est l’heure du FaceTime avec Irène la sœur de Madeleine.

La tempête a laissé plus de trente centimètres de neige au sol. Ajoutés aux quatre-vingt-dix déjà reçus, il n’y a plus de dehors comme disait si bien Jasmin quand il était tout petit. Ce matin, il fait beau, le vent a tourné au noroît, il souffle à moins de trente kilomètres-heure. La transcanadienne est ouverte à nouveau, la circulation sera dense, les Québécois pourront entreprendre leurs très longs déplacements en automobile, en Gaspésie ou jusqu’à la porte du Grand Nord, en Abitibi, les transports en commun sont si mal organisés et si peu fiables.

Après un bon café du matin, nous quittons pour Saint-Jean-Port-Joli Dans le village l’atmosphère est à la fête. Les gens s’empressent de compléter leurs emplettes aux sons des accordéonistes dispersés sur les balcons des commerces. Ils interprétent chacun à leur façon parfois inusitée, des airs de Noël d’antan. Nous profitons de l’ambiance pour magasiner dans nos boutiques préférées. Le Quai des bulles où nous faisons le plein de mousse de bain et de savons au tilleul, la Galerie Morency pour compléter nos cadeaux aux enfants, un sac à main en forme de hibou multicolore pour Petiote, une magnifique écharpe de soie verte qui se mariera à merveille avec les yeux verts de ma belle Fanny. Et, tradition oblige, notre dernier arrêt sera pour la boutique Artisanat Chamard où nous trouvons enfin la catalogne tissée de bandes de guenilles et de fil de coton que nous cherchons depuis si longtemps pour offrir à ma sœur Marjolaine. Nous nous arrêtons finalement à La Coureuse des Grèves pour un petit gueuleton du midi, croque-monsieur au jambon pour Madeleine et bagel au saumon fumé pour moi.

Après-midi de farniente totale, lecture, internet, tricot, la belle vie quoi! Pas de stress, pas de broue dans le toupet parce que nous préparons un souper familial pour quinze personnes, le repos et la sérénité. Nous en profitons largement, c’est bien mérité!

Le soir venu, nous réchauffons les entrées pour accompagner une bouteille de Mumm Cuvée Napa. Bajhis de farine de lentilles et de blé, fourrés de carottes, de poireaux et de chutney au tamarin et épicés à l’indienne, quelques dumplings poêlés farcis de porc, crevettes, échalotes, gingembre et citronnelle avec une sauce asiatique, et quelques croutons de pain séché sur lesquels nous disposons des tranches de pétoncles fumés des Îles-de-la-Madeleine surmontées d’une bonne couche de Tomme de Grosse-Île, de la fromagerie de l’Île-aux-Grues, le tout passé au gril. Pur délice! Les bajhis et les dumplings ont été cuisinés par la cheffe du café La Salicorne. Il nous tardait de les déguster et d’en découvrir les arômes. En soirée, nous mangeons des cuisses de canard grillées au four, accompagnées d’une purée de pommes de terre et de céleri rave avec bien sûr quelques têtes d’asperges pour satisfaire l’exigence de ma Madeleine qui prône la santé par le légume vert, le tout bien arrosé d’un Marie-Gabrielle, Côte du Roussillon 2009. Nous écoutons dans l’extase la soprano Marie Josée Lord, notre diva québécoise préférée interpréter des airs de Noël.

Vers 22 h 00, Madeleine s’absente du salon quelques minutes.

__ « Mon amoure, viens vite me trouver. »

Intriguée, je m’y rends rapidement. Un arôme de tilleul embaume la chambre, éclairée par des dizaines de chandelles disposées autour de la baignoire. Avec son air canaille Ma Grande Lesbienne toute nue, m’invite à plonger avec elle dans cette mousse abondante. Je me sens transporter dix-huit ans en arrière lorsque nous nous enlacions tendrement dans la baignoire de ma maison de l’Île d’Orléans au début de nos amours. C’était la saison des tilleuls en fleurs qui embaumaient tout le jardin. Veillées si douces où ces bains prolongés finissaient immanquablement après l’amour par un souper tardif composé d’un filet mignon de bœuf et d’asperges de l’Île. Je réalise encore et encore combien j’aime cette femme, combien je lui suis reconnaissante de raviver ce souvenir en cette soirée parfaite.

Notre bain d’abord relaxant et joyeux devient subrepticement prélude à l’amour. Comme il est impossible de réaliser nos ébats amoureux dans la baignoire à notre âge, malgré nos séances de conditionnement physique, le lit de dimension démesurée nous inspire davantage pour fêter dignement la nativité seules toutes les deux. Nous nous aimons longtemps, langoureusement, le plaisir intense est au rendez-vous, s’irradie dans tous nos membres, et nous mène à l’extase sans trop d’effort.

__  « Mon amoure, j’ai l’impression que tu ne vieillis pas, tu as toujours trente ans… »

__ « Mais je me sens comme si j’avais trente ans malgré mes soixante-dix ans bien comptés. À chaque fois que je fais l’amour avec toi, c’est comme une renaissance. Voilà pourquoi je ne vieillis pas. T’as intérêt à rester vigilante sur cette question si tu ne veux pas que je devienne vieille et rabougrie subitement. »

__ « Et moi, est-ce que je fais mon âge? »

__ « Toi, ce n’est pas pareil, tu es la Grande Prêtresse, tu ne vieilliras jamais. »

__ « Charmeuse, va… », me dit-elle en se levant du lit avec un grand rire communicatif.

Nous terminons la soirée, en dégustant deux buchettes de Noël aux trois chocolats, à nouveau tradition oblige.

Minuit déjà. Joyeux Noël Ma Grande Lesbienne!

A propos de Ann Robinson

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