Les Lesbiennes en Prison

Deux écrivaines ont récemment parlé de leurs relations lesbiennes en prison : Albertine Sarrazin, dans La Cavale (1964) et L’Astragale (1965) et Béatrice Saubin dans L’Épreuve (1991). Toutes les deux décrivent ces relations comme une parenthèse dans leur sexualité et comme une sexualité de substitution qu’elles n’ont pas vécue comme quelque chose d’anormal, même si les matonnes luttaient contre les rapprochements entre filles.

Au XIXe siècle, la perception pouvait être bien différente. Ainsi, Urbain Ricard conduisant une étude sur La Prostitution contemporaine à Paris, en province et en Algérie, en 1901, considère-t-il que le lesbianisme en prison est importé de l’extérieur, par les prostituées : « c’est ainsi que des prostituées clandestines et des filles en carte apportent à Saint-Lazare ces habitudes lesbiennes qu’elles ont contractées dans leur vie libre ». Le lesbianisme est pour lui une pratique fâcheuse, une habitude, mais en rien une identité. En prison, il y a donc du lesbianisme, mais pas de lesbiennes : c’est tout le paradoxe.

Pour finir, citons l’enquête pionnière d’Alexandre Parent-Duchâtelet, considéré comme le père de la sociologie empirique. Celui-ci est fasciné par les liaisons lesbiennes des prostituées qu’il ne saisit vraiment que lorsque ces femmes se retrouvent en prison.

« Je me suis procuré, dans la prison, la correspondance des tribades, je l’ai toujours trouvée romanesque, contenant des expressions familières aux amants ; et indiquant en tout la plus grande exaltation de l’imagination ; ce que j’ai vu de plus curieux à cet égard était une suite de lettres écrites par la même personne à une autre détenue ; la première de ces lettres contenait une déclaration d’amour, mais d’un style voilé, couvert et des plus réservés ; la seconde était plus expansive ; les dernières exprimaient en termes brûlants la passion la plus violente et la plus effrénée » (La Prostitution à Paris au XIXe siècle, p. 116).

Quelle dérangeante démarche ! Des vies privées qui n’en sont plus et un jugement : celui qu’une femme amoureuse est forcément une hystérique. Derrière la libellule, se cache le dragon.

L’observation va plus loin : ces femmes sont étudiées comme des rats de laboratoire.

« Lorsqu’elles (les prostituées tribades) arrivent dans la prison, et lorsqu’on les met à dessein dans deux dortoirs séparés, ce sont des observations sans fins et souvent des désolations d’enfants, des cris et des hurlements ; elles jouent une multitude de rôles pour rejoindre celles dont elles ne veulent pas être séparée ; elles dissimulent des maladies pour être mises dans l’infirmerie ; on en a vu se faire, dans cette intention, des plaies et des morsures très graves » (p. 117).

Les observations de Parent-Duchâtelet ne font qu’un peu plus nourrir le trouble : les lesbiennes ne sont que des causes de tracas pour l’administration pénitentiaire, car elles obligent les surveillants à accorder une attention toute particulière aux relations entre femmes.

Rien d’étonnant à cette distorsion entre le XIXe et le XXe siècle. Les prisons sont pour les contemporains du XIXe siècle des lieux de concentration des angoisses du temps qui, du coup, semblent se rejoindre. La prison ne produit pas une sexualité de substitution, elle est un lieu de concentration des « déviances » et perversions. Les femmes qui s’y trouvent ne sont perçues que comme des nymphomanes.

Les fantasmes de filles en prison qui finissent par se mettre ensemble par vengeance ou résistance à l’oppression masculine informent encore nos représentations. On peut ainsi penser à Girls in prison de 1994 avec Anne Heche.

Girls in Prison

Évidemment, la grande série consacrée aux femmes en prison qui représente à l’écran plusieurs couples de femmes est l’excellent Bad Girls (Les Condamnées en français). Le couple formé par Helen et Nikki sur plusieurs saisons était au final assez transgressif : on voyait une directrice de prison tomber follement amoureuse d’une détenue de droit commun butée mais au grand cœur.

Girls in Prison Girls in Prison

Plus classique, mais aussi plus drôle fut la situation d’Helena Peabody dans la série américaine The L-Word rencontrant en prison une vraie butch qui devint sa « protectrice ».

Girls in Prison

Enfin, on peut penser au très transgressif film Affinity d’après le roman du même nom  de Sarah Waters : l’héroïne, Margaret Prior, est une visiteuse de prison pour femmes. Elle se rend une fois par semaine à Millbank, à Londres, pour écouter et amender des détenues. Elle a alors le coup de foudre pour une singulière jeune femme, Selina Dawes, une spirite condamnée pour une longue peine.

Girls in Prison

Il est assez intéressant de voir comment les lesbiennes investissent aujourd’hui un imaginaire fantasmatique essentiellement bourgeois et masculin pour le détourner et de voir aussi comment communique l’imaginaire du placard avec l’imaginaire de la prison. Dans le cas de Margaret Prior et d’Helen Stewart, c’est le « coming in » prison qui permet le « coming out » de leur véritable sexualité.

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