Christa Winsloe (1888-1944), une lesbienne en uniforme ?

Dans le milieu gay et lesbien de Berlin avant la Seconde Guerre Mondiale, les situations sont pourtant claires et le film fait l’effet d’une première. Pourtant, la relation lesbienne est minimisée par le script, approuvée par Christa Winsloe, et passe pour une de ses phases classiques de la découverte de la puberté. Le public berlinois adhère surtout à la critique de l’éducation prussienne pour les jeunes filles. Ailleurs en Europe et aux États-Unis, le message pacifiste rencontre l’adhésion d’un large public.

Christa Winsloe

Cependant ce film, anti-militariste et anti-conformiste s’inscrit dans un contexte troublé et peu favorable à ce type de message : celui de la crise de 1929 et de la montée des rancœurs contre le Diktat de Versailles qui a fait de l’Allemagne la seule responsable de la Première Guerre mondiale. Leontine Sagan craint que le film ne disparaisse de l’affiche et propose une fin alternative conforme aux idéaux pro-nazis après 1933 et l’accession d’Hitler au pouvoir.

Malgré le grand succès et le changement de fin, il est cependant retiré des écrans et classé parmi les œuvres décadentes par le régime hitlérien. Christa Winsloe est également considérée comme politiquement non-fiable. Après l’incendie du Reichstag en février 1933, les nazis entament la chasse aux opposants politiques : communistes d’abord, mais aussi socialistes du SPD. La situation devient délicate pour Christa. D’autant qu’à la Noël de l’année 1932, elle avait rencontré la journaliste américaine Dorothy Thompson.

Christa Winsloe

Dorothy est remariée depuis 1928 à l’écrivain Sinclair Lewis (l’auteur du fameux roman Babitt) et elle est mère depuis 2 ans d’un petit garçon. Cela ne l’empêche pas de succomber au charme de Christa avec qui elle noue presque aussitôt une étrange passion amoureuse faite de moments volés hors du temps. Ainsi, en mars 1933, les deux femmes vivent plusieurs mois de passion secrète dans une villa italienne à Portofino, un petit port de pêche de la côte ligurienne aux maisons colorées. Puis Dorothy, qui ne s’est pas lassée, emmène Christa avec elle aux États-Unis et elles vivent comme un couple pendant plusieurs mois au début de l’année 1934 à New-York, en l’absence de Sinclair Lewis. L’histoire cependant est difficile. Christa ne trouve pas de travail : ses scripts de film ne sont pas acceptés par Hollywood et se pose le problème de la langue. Elle rentre en Allemagne. De son côté, Dorothy ne peut la suivre : elle est mariée, mère de famille et en août 1934, elle est chassée du territoire allemand à cause d’une interview du Führer pour le journal Cosmopolitan qui avait déplu en haut lieu. Dorothy est la première femme à avoir interviewé Hitler et la première journaliste expulsée d’Allemagne en cours de nazification. En 1935, Christa signe un roman en anglais à la tonalité très autobiographique et assez optimiste : Life Begins, dans lequel elle raconte l’histoire d’une sculptrice qui trouve le courage de vivre avec la femme qu’elle aime. Pourtant, les deux femmes ne vécurent plus jamais ensemble : elles ne cessèrent pas de s’écrire et Dorothy garda toutes les lettres de Christa qu’elle ne remplaça jamais par une autre liaison féminine, mais elle ne quitta pas Sinclair Lewis et quand elle le fit, elle se remaria.

Christa Winsloe

Christa resta donc seule en Allemagne jusqu’à l’automne 1938, date à laquelle elle quitte ce pays dans lequel elle n’est plus la bienvenue et où elle ne peut plus vivre librement : elle n’y rentrera plus jamais. Après un temps d’errance, elle s’installe dans le sud de la France, à Cagnes-sur-Mer, près de Nice. Elle y rencontre l’écrivain suisse Simone Gentet, de 10 ans sa cadette. À cette époque, le Times annonce sa mort en faisant la confusion entre elle et la seconde épouse du Baron Hatvany. C’est Dorothy Thompson, toujours en relation épistolaire avec elle, qui dément l’information et apporte un correctif que l’on peut encore découvrir dans les archives en ligne du Times.

Christa Winsloe s’enfonce dans la pauvreté : si elle continue à écrire des manuscrits et des scripts, que Simone Gentet traduit pour certains en français, elle ne trouve personne pour les éditer. Dorothy Thompson, consciente de ses difficultés, lui envoie tous les mois de l’argent et même de la nourriture. Simone Gentet et Christa entrent dans la Résistance et cachent chez elles des enfants de prisonniers envoyés en Allemagne. Entre 1942 et 1944, Dorothy Thompson n’a plus aucune nouvelle.

En février 1944, elles reçoivent un ordre d’évacuation et les deux femmes quittent alors Cagnes pour la Bourgogne. Elles s’installent à Cluny, une ville résistante. En juin 1944, des opérations de chats et de souris ont lieu entre la Gestapo et les maquisards. Le 10 juin 1944, quatre jours après le débarquement américain en Normandie, on les retrouve abattues en pleine forêt. Un procès a lieu qui met en cause un commando de 4 ou 5 hommes qui se font passer pour des résistants mais qui ne sont que des criminels de droit commun. Le chef du groupe, qui se fait appeler Lambert, accuse les deux femmes d’avoir fourni des renseignements aux Allemands – ce qui était faux, mais dans le contexte de l’épuration du printemps et de l’été 1944 quand les hommes tondaient les femmes pour un rien, les meurtres d’une Allemande et d’une Suissesse passent à la trappe. Les accusés sont tous acquittés en 1946 ou 1948, faute de preuves et les raisons de leur meurtre restent mystérieuses.

Bien après la guerre, en 1958, Hollywood adapta une nouvelle fois à l’écran Mädchen in Uniform avec la toute jeune Romy Schneider dans le rôle de Manuela et Lilly Palmer dans celui de Mademoiselle von Bernburg.

Christa Winsloe

Étonnant parcours que celui de cette femme, éduquée à la prussienne, mariée à un baron hongrois, divorcée dans les années 1920. Elle voulait être sculptrice, elle est pourtant devenue célèbre grâce à l’écriture dans le Berlin de l’entre-deux-guerres et grâce au cinéma des années 1930. Elle vécut une grande passion, s’engagea de bien des manières et mourut avec sa compagne, de mort violente, en France au moment de la Libération, victime de quoi ?

Une seule photographie, une fausse mort annoncée en 1938 et le seul fil de sa vie qui nous est resté : le témoignage, les lettres et l’amour que lui porta indéfectiblement une journaliste américaine, Dorothy Thompson, à qui la nouvelle de la mort de son amie parvint le 20 juillet 1944 par une lettre d’une amie commune restée en Allemagne.

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