Des Lesbiennes dans le Monde Arabe Médiéval

« Le soir venu, la vieille reine, entourée de ses suivantes qui poussaient des ” lu-lu-lu ” de joie, amena la jeune épousée Haïat-Alnefous à Sett Boudour, dans son appartement : car elles la prenaient toujours pour Kamaralzamân. Et Sett Boudour, sous son aspect de roi adolescent, s’avança gentiment vers son épouse et lui releva, pour la première fois, la voilette du visage.

Alors toutes les assistantes, à la vue de ce couple si beau, furent si captivées qu’elles en pâlirent de désir et d’émoi.

La cérémonie terminée, la mère de Haïat-Alnefous et toutes les suivantes, après avoir formulé des milliers de vœux de félicité et après avoir allumé tous les flambeaux, se retirèrent discrètement et laissèrent les nouveaux mariés seuls dans la chambre nuptiale… 

Sett Boudour fut charmée de l’aspect plein de fraîcheur de la jeune Haïat-Alnefous, et, d’un coup d’œil rapide, elle la jugea vraiment désirable avec ses grands yeux noirs effarés, son teint limpide, ses petits seins qui se dessinaient enfantins sous la gaze. Et Haïat-Alnefous sourit timidement d’avoir plu à son époux, bien qu’elle tremblât d’émotion contenue et baissât les yeux, osant à peine bouger sous ses voiles et ses pierreries.

Et elle aussi avait pu tout de même remarquer la beauté souveraine de cet adolescent aux joues vierges de poil qui lui paraissait plus parfait que les plus belles filles du palais. Aussi ce ne fut point sans être remuée dans tout son être qu’elle le vit tout doucement s’approcher et s’asseoir à côté d’elle sur le grand matelas étendu sur les tapis.

Sett Boudour prit les petites mains de la fillette dans ses mains et se pencha lentement et la baisa sur la bouche. Et Haïat-Alnefous n’osa pas lui rendre ce baiser si délicieux, mais ferma les yeux complètement et poussa un soupir de félicité profonde. Et Sett Boudour lui prit la tête dans la courbe de ses bras, l’appuya contre sa poitrine et, à mi-voix, lui chanta doucement des vers d’un rythme si berceur que l’enfant peu à peu s’assoupit avec, sur les lèvres, un sourire heureux.

Alors Sett Boudour lui enleva ses voiles et ses ornements, la coucha, et s’étendit près d’elle en la prenant dans ses bras. Et toutes deux s’endormirent ainsi jusqu’au matin. »

Le conte est cependant plus précis sur les plaisirs que partagent les deux femmes, dont l’une – innocente vierge – ignore que l’autre, son époux est en fait une femme. La tradition veut que les deux époux, héritiers du trône, s’accouplent et que le mari prenne la virginité de sa femme. Or Haïat n’est pas déflorée lors de la première nuit, très chaste. Lors de la seconde nuit, Schéhérazade raconte que la princesse Boudour cette fois déshabille entièrement la jeune fille, la couvre de baisers sur tout le corps et l’embrasse sur la bouche. La troisième nuit, la princesse Boudour révèle à Haïat qu’elle est une femme en lui montrant sa vulve et ses seins, mais au lieu que cela ne provoque un drame, c’est l’occasion pour la jeune fille d’une initiation à la sexualité et à l’usage des plaisirs et du corps : à l’évidence, Haïat n’est pas dégoûtée par le spectacle que lui offre le strip-tease de la princesse Boudour. Un pacte se met alors en place : les deux femmes seront des « sœurs » en attendant le retour du prince Kamaralzamân qui en fera ses deux épouses et elles se donneront du plaisir par des caresses et des baisers dont la fonction dans la tradition érotique arabe est clairement de permettre l’orgasme. Dans le texte original arabe, il semble même que la pénétration soit évidente entre les deux femmes.

Quant à Sett Boudour elle continua ainsi tous les jours à siéger sur le trône de l’île d’Ebène et à se faire aimer par ses sujets qui la croyaient toujours un homme et faisaient des vœux pour sa longue vie. Mais, le soir venu, elle allait retrouver avec bonheur sa jeune amie Haïat-Alnefous, la prenait dans ses bras et s’étendait avec elle sur le matelas. Et toutes deux, enlacées jusqu’au matin comme un époux avec une épouse, se consolaient par toutes sortes d’ébats et de jeux délicats, en attendant le retour de leur bien-aimé Kamaralzamân. Et voilà pour tous ceux-là !

Dans le monde arabe et persan médiéval, il semble donc que les relations sexuelles et sentimentales entre femmes soient tolérées à condition qu’il n’y ait pas de défloration de la virginité, qu’il n’y ait pas de refus du mariage et que les relations entre femmes soient une sorte de palliatif en attendant le retour des hommes ou une initiation à la sexualité. Le conte n’est pas subversif puisque tout se termine par une histoire polygame. Cependant, comparé à la littérature occidentale, il présente une attitude envers l’homosexualité féminine tout à fait saisissante : les relations entre femmes sont vues comme sources de plaisir, de satisfaction, de joie en attendant un bonheur plus complet – celui du mariage avec le véritable prince. Aucune honte, aucune panique, aucune crainte ne s’empare des deux femmes. Elles se font l’amour sans remords, tout en étant conscientes qu’il faut sauver les apparences d’un mariage classique entre un homme et une femme. Quand le prince revient, la princesse abdique en sa faveur, lui demande d’épouser Haïat et accepte de partager son époux entre elles deux, mais à condition de conserver sa relation sentimentale et sexuelle avec Haïat.

Au XIIIe siècle, certains auteurs, tel Ahmad al-Tifashi, décrivent des groupes de lesbiennes vivant entre elles, tenant des réunions, s’éduquant au plaisir. Plus tardivement, Hassan al-Wassan, connu en Occident sous le nom de Léon l’Africain, décrit des femmes ayant des relations entre elles à Fès, au Maroc. Ces textes, beaucoup lus en Occident à partir du XIIIe et XIVe siècle, nourrissent l’imaginaire occidental d’un Orient sensuel, lieu d’orgies sexuelles de tout type dont le harem devient l’emblème.

L'Homosexualité dans le Monde Arabe Médiéval

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