Des Lesbiennes dans le Monde Arabe Médiéval

L'Homosexualité dans le Monde Arabe Médiéval

Selon Sahar Amer, il est vrai que la sexualité occupe une place différente en Orient : le sexe n’est pas le péché originel et le plaisir sexuel est non seulement compatible avec la religion, l’Islam, mais aussi une voie d’accès au Paradis. Toutefois, contrairement à ce que pensent ou font croire les chroniqueurs chrétiens du Moyen-Âge, tout n’est pas possible et certaines pratiques sexuelles sont condamnées. Le crime le plus grave est l’adultère (zina) conçu d’abord et avant tout comme une pénétration vaginale. Le coït n’est permis que dans le mariage. La virginité féminine est ultra-valorisée. L’homosexualité est un crime, a priori sévèrement réprimé. Cependant les successeurs de Mahomet, ceux qu’on appelle les califes, n’ont pas tous été aussi intransigeants. Ainsi, selon les chercheurs et spécialistes du Moyen-Âge oriental, on peut distinguer plusieurs périodes pendant lesquelles l’homosexualité fut non seulement tolérée mais parfois même valorisée. Ce fut le cas pendant la période abbasside (qui commence vers 750). À la cour des califes de Bagdad, on voit même apparaître la mode des Ghulamiyyat, c’est-à-dire des filles travesties en garçon. Selon les récits, cette mode aurait été introduite par Zubayba, la mère du calife al-Amin, afin de détourner son fils de sa préférence pour les eunuques. La pratique, née au palais de Bagdad, se répandit dans les hautes sphères sociales. Les filles travesties en garçon étaient souvent des esclaves ou des domestiques à qui on faisait porter une tunique courte avec des manches amples, des cheveux courts ou longs. Certaines filles pouvaient même se dessiner une moustache et porter un parfum musqué pour parfaire la transformation. Dans ce cadre, elles avaient le droit de parler comme les garçons et d’agir comme eux. Elles devaient d’abord et avant tout plaire aux hommes et leur faire oublier leur penchant homosexuel. Les Ghulamiyyat attachées au palais du calife devaient fidélité au calife. Ce dispositif est donc très paradoxal : il atteste à la fois d’une tolérance envers l’homosexualité masculine, puisqu’on demande aux esclaves de se conformer aux penchants homophiles de leurs maîtres, et en même temps, il s’agit de recentrer les désirs des hommes vers des femmes. Il n’est aucunement question du désir des femmes. De toute façon, dans l’Islam, la suprématie masculine est une part intégrante de la foi et la valorisation du sexe masculin est une obligation morale. Toutefois, certaines femmes ont pu profiter de cette mode du travestissement pour exprimer leur amour pour des femmes comme la princesse Boudour.

Dans l’Espagne musulmane qu’on appelle Al-Andalus (entre 756 et 1031), certains chercheurs prétendent, mais pas tous, que la fille et unique héritière du dernier calife, la princesse Wallada, eut plusieurs relations amoureuses admises à son époque à la cour de Cordoue : deux avec des hommes et une avec une femme (Mohja) à qui elle écrivit des poèmes d’amour très explicites.

Enfin, toujours à la cour du calife et dans les cercles intellectuels, il semblerait qu’il y ait eu une mode homosexuelle pendant la période mamelouk (1250-1517).

Pour finir, évoquons les péripéties de Sahar Amer pour trouver ces informations. Elle explique combien il lui fut difficile d’accéder à L’Encyclopédie du plaisir d’al-Katib. En 2002, dans un voyage d’étude en Égypte, elle ne put y avoir accès dans les bibliothèques de recherches ni l’acheter dans des boutiques de livres anciens parce qu’elle était une femme. On ne lui proposait que des livres censurés et remaniés, tels ceux du père de la poésie érotique arabe, Abu Nawas. Il existait pourtant des versions non censurées, mais elles ne pouvaient être confiées à de bonnes musulmanes. Elle ne put avoir accès à l’unique édition arabe de L’Encyclopédie du plaisir que par l’intercession d’un ami vivant à New-York et qui connaissait un libraire au Caire capable de lui vendre clandestinement le livre. En fait, les traités érotiques arabes sont beaucoup plus accessibles dans les librairies spécialisées de Londres et de Paris que dans le monde arabe aujourd’hui. L’édition arabe de L’Encyclopédie du plaisir fut difficile à déchiffrer, car pour la protéger de la censure, les éditeurs avaient surimposé du texte et des images. En outre, certains chapitres étaient manquants, notamment ceux traitant de l’homosexualité. La seule édition complète et intégrale du manuscrit arabe est donc la version canadienne de 1977. Mais le manuscrit de traduction originel reste introuvable et il ne reste que trois exemplaires de la thèse de doctorat consacrée à cet ouvrage pourtant classique de l’art d’aimer arabe au Moyen-Âge.

Pour Saher Amer, il serait réducteur de penser que ce travail d’effacement de la mémoire « lesbienne » ne se pratique que dans le monde arabe musulman actuel. Il est aussi le fruit du désintérêt des traducteurs occidentaux pour les chapitres consacrés à l’homosexualité féminine au titre que les lecteurs de ce type de traités seraient plutôt des hommes homosexuels. Ainsi, l’occidentalisation de la culture arabe médiévale aboutirait à travestir également les manuscrits originaux qui ne sont pas fondés sur le binarisme entre hétérosexualité et homosexualité.

Pour en savoir plus :

http://www.bandung2.co.uk
http://saphisme/m_a/1001nuits/boudour1.html

[1] Au départ, il s’agissait d’une pièce dans laquelle on enfermait ou cadenassait toutes les œuvres (livres) ou les objets le plus souvent érotiques qui étaient interdits au grand public. Les enfers apparaissent dans les grands monastères.

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