L’Histoire du Drapeau Arc-en-Ciel

Ce drapeau a été conçu semble-t-il à l’origine par le graphiste et militant homosexuel américain Gilbert Baker pour servir de « symbole visuel d’identification collective » lors de la Gay and Lesbian Freedom Day Parade de San Francisco le 25 juin 1978. À l’origine, le drapeau géant, tenu par 30 activistes, comportait 8 bandes horizontales juxtaposées de couleur différente. Chacune de ces bandes symbolisait une valeur et une aspiration des minorités homosexuelles : le rose représentait le sexe, le rouge – la vie, l’orange – la fierté, le jaune – le soleil, le vert – la sérénité, le turquoise – l’art, l’indigo – l’harmonie et le violet – l’esprit. Le motif de l’arc-en-ciel symbolisait la lutte depuis son utilisation dans les années 1960 par le mouvement des coopératives alternatives au capitalisme.

Voici le drapeau original de 1978 avec son créateur, Gilbert Baker :

Drapeau Arc en Ciel

Il semble qu’après l’assassinat d’Harvey Milk en novembre 1978, la demande pour ce drapeau augmenta fortement. Gilbert Baker ne pouvait y répondre seul comme le montre cette photo de l’élaboration du premier drapeau.

Drapeau Arc en Ciel

Sa production industrielle fut alors prise en charge par la Paramount Flag Company, une entreprise de San Francisco contactée par Gilbert Baker. Ce passage d’une production artisanale (du cousu et peint à la main) à la standardisation industrielle a pour conséquence la réduction du nombre de couleurs à 7 et la disparition du rose et de l’indigo (remplacé par du bleu roi plus facile à produire).

Quand le comité des Fiertés de San Francisco choisit le drapeau comme emblème, celui-ci connut une dernière transformation : il passa de 7 à 6 bandes.

En 1989, il devint un symbole de la communauté homosexuelle américaine après la victoire de John Stout contre son propriétaire qui voulait lui interdire d’accrocher le drapeau à son balcon, à Westwood, Hollywood en Californie. Il a ainsi été transformé en accessoire indispensable de la sortie du placard et de la fierté homosexuelle un peu par hasard, mais il est aussi le révélateur de la mise en place d’enclaves gaies et lesbiennes dans les grandes villes américaines qui correspondent à la naissance d’un communautarisme urbain de confort (« vivre entre soi ») et de défense contre les très fortes discriminations. Le quartier de Castro, à San Francisco, couvert de drapeaux arc-en-ciel, est caractéristique d’une nouvelle stratégie d’appropriation de l’espace urbain par les gays. S’y côtoient des bars branchés, magasins de déco, boutiques « d’accessoires » aux noms parfois amusants (« Does your mum know ? ») et des librairies spécialisées à destination de la population homosexuelle, principalement masculine mais pas seulement.

Drapeau Arc en Ciel

ces quartiers gays deviennent assez rapidement des lieux branchés et des « spots » touristiques qui diluent un peu la portée politique initiale d’appropriation de l’espace.

Depuis 1997, pour les vingt ans de l’anniversaire de l’élection d’Harvey Milk comme conseiller municipal représentant la circonscription de Castro, un immense drapeau arc-en-ciel flotte au dessus de la ville de San Francisco. Il est un signe d’affirmation collective et de stratégie politique de « visibilité » au nom d’une identité assumée.

Mais quelle est cette identité assumée ? Le drapeau n’est-il pas aussi une forme d’instrumentalisation d’une pseudo-identité collective ? Au lieu de libérer et d’intégrer les signes d’une « culture gay » aux autres signes urbains, n’a-t-il pas contribué à une folklorisation, une communautarisation et une marchandisation d’un mouvement au départ militant et politique ? Le drapeau dont l’objectif était de créer l’idée d’une communauté homosexuelle multiculturelle et unie n’a pas été brandi par tous : d’une certaine manière, il suscite des clivages. En effet, derrière chaque couleur censée représenter la diversité des homosexualités, on retrouve un même modèle assez homogène qui perd en efficacité en homogénéisant des combats pourtant bien différents entre homosexuels, lesbiennes, travestis, transsexuels, transgenre, mais aussi entre LGBT de différentes « races » (au sens américain de minorités ethniques) et classes.

Surtout, il n’a pas produit de réussite flagrante du message véhiculé par le drapeau malgré une image plutôt positive, pacifique, ludique et « vendeuse » des homos. Le drapeau brandi lors des Gay Prides devient un symbole clairement identifiable, homogénéisant et somme toute assez inoffensif d’associations dont l’objectif devient la banalisation, la normalisation et la médiatisation d’une communauté « bankable » (consommatrice).

Comme faire que le drapeau ne soit pas seulement un élément de décoration, mais un support de protestation ?

Drapeau Arc en Ciel

Depuis 2003, certaines associations protestataires cherchent à détourner le drapeau arc-en-ciel pour en montrer la dérive marchande. C’est le cas de l’association Gay Shame de San Francisco qui remet un prix de la marchandisation de l’homme gai dont le trophée est un dollar arc-en-ciel.

Drapeau Arc en Ciel

L’objectif de ce mouvement est de déconstruire l’image d’une communauté seulement urbaine, riche et consommatrice, homogène, unie. Il est aussi de redonner aux individus un pouvoir de protestation.

Autre exemple, l’association Lesbian and Gay Insurrection publie un journal intitulé Ultra Violet pour s’emparer d’une couleur associée à la communauté lesbienne en la sortant de la gamme de toutes les couleurs, pour la radicaliser en rappelant que l’ultra-violet est invisible à l’œil et pour défendre des valeurs contestataires, anti-intégratrices : l’association ne revendique ainsi pas le droit au mariage ou à l’adoption, ne demande de normalisation et d’alignement sur des valeurs jugées hétérosexuelles. Le message principal devient « Go your separate ways ». On observe donc ici un usage des identités contre la communauté qui homogénéise et dépolitise.

Pour conclure, l’usage du drapeau soulève la question centrale de la représentation de l’homosexualité. Et il montre aussi combien il est difficile de penser en termes de « représentation universelle » de minorités plurielles qui n’ont pas les mêmes revendications. Il peut paraître impensable qu’il y ait des objecteurs de conscience au drapeau arc-en-ciel chez les homosexuels, et pourtant si, même chez les militants… et pourquoi pas ?

Sources :

http://gaygraffiti.free.fr/rainbow_flag.html
http://transatlantica.revues.org/321#ftn8

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