La Secte des Anandrynes

Cf. Emma Donoghue, Passions between women: British Lesbian Culture. 1668-1801, New-York, Harper Collins publishers, 1996.

S’en prendre à la Raucourt en 1784 n’est pas anodin : ce texte permet de s’en prendre à la protégée de la Reine et donc à la Reine Marie-Antoinette elle-même : celle-ci est d’ailleurs accusée à la même époque de tribadisme et de putainerie. En témoigne ce petit texte anonyme :

Vérités dédiées à Marie-Antoinette d’Autriche, reine de France (1790).

            (…)  Lambale et Polignac, La Motte ta branleuse,

Ont couronné ton lustre et ta conduite affreuse, (…)

Des Fouteurs de tout rangs, objets de tes délices,

Satisfirent tes goûts en t’offrant leurs services

Sans bornes en tes désirs, ton cœur trop libertin

Te rendit tour à tour et tribade et putain (…).

S ’en prendre à la sexualité de la Reine, c’est attaquer la virilité du Roi et donc métaphoriquement attaquer son impuissance à régner. L’influence de la Reine sur le Roi est dénoncée et l’irruption de la secte des Anandrynes dans la sphère publique est une première pierre dans le jardin de Marie-Antoinette. L’attaque décisive eut lieu la même année (1784) avec l’Affaire du Collier de la Reine.

Outre la dimension politique, le pamphlet a également une signification culturelle et sociale. Il démontre d’abord la visibilité nouvelle d’un groupe, voire d’une communauté dont la sexualité était jusqu’à présent considérée comme une déviance individuelle, marginale et cachée. Pour la société aristocratique ou urbaine lettrée, friande de littérature érotique, cette visibilité de groupe est une aubaine. Parler d’un groupe, qui plus est secret, permet de citer derrière des pseudonymes peu recherchés un certain nombre de femmes du monde ou de la Cour qui partagent ce goût pour les femmes. En outre, ce dispositif permet aussi d’érotiser et de placer sous le voile du mystère et donc du fantasme (une expérience inaccessible pour les hommes mais qu’ils rêvent de connaître) les amours entre femmes. En effet, malgré un récit de dévoilement qui repose sur l’espionnage de Mlle Sapho qui a fait partie de la secte et sur la trahison de son serment qui permet le voyeurisme, la vie des Anandrynes reste bien obscure et comme irréelle. Le voile demeure.

Cette secte n’est absolument pas menaçante pour les hommes d’après la suite de l’histoire : passée l’initiation, la jeune Sapho vit 15 mois dans le respect de son serment, mais elle est vite dupée par un jeune homme qui, travesti en soubrette, l’initie aux « vrais » plaisirs entre les bras d’un homme. La jeune Sapho tombe enceinte, se retrouve dans un hôpital pour avorter, y rencontre une nouvelle entremetteuse qui la transforme en putain.

En fait, les Anandrynes de Mairobert ne semblent pouvoir exister qu’à la campagne, dans un espace retiré, loin du commerce des hommes. Elles n’existent donc pas. Elles ne sont qu’un cliché du XVIIIe siècle, un cliché qui empêche de savoir vraiment qui étaient les femmes qui aimaient les femmes et comment elles vivaient.

Ce texte a eu une grande postérité. Il a d’abord servi d’arme de guerre contre une favorite de Marie-Antoinette, puis il a contribué à normaliser le personnage de la putain lesbienne et de la tribade finalement putain. De fait, tous les historiens qui se sont intéressés à l’histoire des lesbiennes du passé reconnaissent tous la même difficulté : il n’existe que trois lieux où l’on trouve en grand nombre des « tribades » dans les sources et les documents de l’époque. Ce sont le milieu mondain et aristocratique, les bordels et les prisons.

Pour en savoir plus :

Anne Richardot, « La secte des Anandrynes », Tangences, 1998, n°57, p.40-52.

http://www.erudit.org/revue/tce/1998/v/n57/025967ar.pdf

(analyse littéraire).

Marie-Jo Bonnet, Les Relations amoureuses entre femmes du XVIe au XXe siècles, Paris, Odile Jacob, 1995.

Je ne l’ai pas lu, mais c’est un livre très récent, visiblement un peu racoleur :

Michel Peyramaure, Les Grandes Libertines : le roman de Sophie Arnoult et Françoise Raucourt, Paris, Robert Laffont, 2009.

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