Susan Brownell Anthony (1820-1906)

Qu’est-ce qui unit donc Susan à Elizabeth ?

À l’évidence, le combat pour les droits des femmes rapproche les deux « partenaires ». Ensemble, elles luttent pour la tempérance (combat contre l’alcoolisme), pour les droits des femmes (travail, éducation, salaire et prise de parole publique). Elles s’associent : Susan, célibataire, diffuse la bonne parole pensée et élaborée par Elizabeth. Ensemble, elles créent le journal Revolution qui est publié de 1868 à 1870 à New-York City. Ensemble, elles fondent la National Woman Suffrage Association en 1869, dont l’objectif est de faire adopter un amendement dans la Constitution fédérale qui permette le vote des femmes.

Susan Brownell Anthony

À la fin des années 1870, elle rédige une Histoire du Suffrage féminin avec Matilda Joslyn Gage : trois volumes seront publiés en 1886. Ensemble, elles voyagent en Europe après la mort d’Henry. Autant de travail en commun implique des relations quotidiennes et une vraie intimité de pensée. On sait que Susan venait très souvent chez Elizabeth, surtout quand celle-ci était enceinte. Leur correspondance montre qu’Elizabeth considérait Susan comme un membre de sa propre famille et comme une mère pour ses enfants. Sans doute se considéraient-elles comme partie prenante d’un même combat, ne faisant qu’un. Leur relation excédait la romance. Qu’elles aient été amoureuses l’une de l’autre ne change rien au fait qu’elles formèrent un « couple » à part entière.

Susan Brownell Anthony

Pourtant, Susan Brownell Anthony ne fut pas contrainte à se pâmer d’amour sans pouvoir le consommer. Si sa vie personnelle est assez peu connue, quelques lettres, retrouvées par l’historienne américaine Lilian Faderman (spécialisée dans les études gay et lesbiennes), permettent de penser que Susan n’était pas la militante asexuée que l’histoire officielle présente mais plutôt une lesbienne très discrète. Certes, les soupçons existaient. La presse, surtout d’opposition, releva que Susan ne s’était jamais mariée, qu’elle n’avait pas eu d’enfants et que ses combats en faisaient un être dénaturé : elle n’était pas considérée comme une « vraie femme » acceptant son rôle naturel et biologique et sa place dans la société.

Susan Brownell Anthony

Tous les combats de Susan, même les premiers sur la tempérance, étaient d’abord pour servir et défendre les intérêts des femmes : un intérêt qui n’aurait pas été seulement féministe, mais aussi lesbien, voire antimasculin.

Susan Brownell Anthony

D’après Lillian Faderman, Susan Brownell Anthony aurait eu, sans doute possible, une relation intime et romantique avec une autre suffragette américaine : Anna Dickinson.

Susan Brownell Anthony

Anna Dickinson est une abolitionniste et une féministe qui est la première femme à pouvoir s’exprimer devant le Congrès en 1864, alors que les femmes n’ont pas encore le droit de vote et sont considérées comme des mineures politiques. Plusieurs de ses lettres témoignent du fait que nombre de suffragettes lui faisaient la cour. Susan et elle échangèrent des lettres militantes où les expressions d’amour romantique sont bien présentes. Certaines allusions au corps peuvent laisser penser qu’elles furent amantes. De même, il semble qu’en 1893, Susan Brownell Anthony eut une liaison amoureuse avec Emily Gross, la femme d’un riche homme d’affaires de Chicago : une liaison qui fut connue du cercle des proches de Susan.

Quoi qu’il en soit, Susan fut inhumée seule, en 1906, à Rochester. Son entourage fut certes très féminin, mais sans doute était-elle très solitaire. Seul importait son combat ? Sa famille fut constamment là pour elle. Elle mourut 14 ans avant que le 19e amendement permette aux femmes de voter au même titre que les hommes. Sa complice, Elizabeth Cady Stanton, était morte quatre ans plus tôt en 1902. Ni l’une ni l’autre ne put donc glisser son bulletin de vote dans l’urne. L’histoire officielle retient davantage le nom de Susan que celui d’Elizabeth, sans doute à cause du procès de 1873 : Susan s’était illégalement faite inscrire sur les listes des votants à Rochester et elle avait voté avec ses sœurs et sa mère pour les élections présidentielles en 1872. En 1873, elle avait été arrêtée et traduite en justice pour avoir commis un délit fédéral. Lors de son procès à Canandaigua, elle fut immédiatement condamnée à une amende de 100 $ qu’elle refusa de payer. Ce haut fait la fit connaître nationalement. Quant à Elizabeth, ses positions religieuses lui aliénèrent une partie du mouvement féministe.

L’histoire de Susan Brownell Anthony illustre une fois de plus les difficultés à saisir et comprendre les cheminements personnels des lesbiennes dans le passé. Féministe et femme publique, Susan fut peut-être une lesbienne mais ce fut son jardin privé et secret.

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