Violette Morris, une héroïne monstrueuse

Violette Morris fait appel et s’en suit un grand procès, fort retentissant, où la vieille ordonnance de Paris de 1800 est ressortie, toute poussiéreuse, des tiroirs. Malgré des arguments fort convaincants de commodité et d’autres plus surprenants comme celui de la décence, Violette Morris perd son procès. Il ne lui reste plus que son petit commerce qui périclite comme tant d’autres quand se fait sentir, avec un peu de retard en France, la Grande Crise de 1929. Pourtant, la Morris vit grand train et fréquente beaucoup les cabarets. La voici en compagnie d’une conquête, qu’elle enserre jalousement.

Violette Morris

La voilà en compagnie de Joséphine Baker, la star de la Revue nègre de Paris.

Violette Morris

En 1934, son commerce fait faillite et elle doit le revendre. Sa carrière sportive n’est plus qu’un souvenir. Certes, elle est fille de baron, mais que lui reste-t-elle des fastes des années 1920 ?

Sa vie bascule-t-elle en 1936 ou bien avant ? Lors des Jeux Olympiques organisés cette fois-ci à Berlin, Hitler, le nouveau chancelier allemand depuis 1933, l’invite à assister en V.I.P aux cérémonies, en lui donnant une place d’honneur. Au lieu de refuser, elle s’empresse d’accepter, sans doute par volonté de revanche contre les fédérations sportives françaises qui n’ont pas voulu reconnaître en elle une championne d’exception, 9 fois championne de France, 52 fois sélectionnée au niveau international dans de nombreuses disciplines sportives. Est-ce à l’occasion de ce voyage en Allemagne qu’elle est approchée par Doktor Fraulein, alias Elsbeth Shragmüller, formatrice d’espionnes pour le compte des nazis ? Apparemment, dès 1937, avant le déclenchement de la guerre, Violette Morris accepte de faire du renseignement allemand. Elle devient une espionne. Sans doute cette vie lui convient-elle : missions dangereuses, risques, dépassement de soi, aventures, double vie et mensonges. L’espionnage lui donne du pouvoir, ce qu’en tant que femme, elle ne peut avoir. Elle qui a été coureuse automobile, exclue de la Fédération sportive du sport automobile, elle vend aux Allemands des secrets sur le nouveau char de combat Somua de Renault.

La Seconde Guerre mondiale va lui permettre de donner une autre mesure aux pouvoirs que lui confèrent les Allemands. Quand les Allemands entrent à Paris en 1940, Violette Morris est approchée par Helmut Knochen, qui est le chef local de l’AMT VI – le service de renseignement de la SS à l’étranger. Elle devient responsable de la SIPO-SD et occupe des locaux, rue des Saussaies à Paris. Sa mission est de recruter des espions au service de l’Allemagne nazie, chargés d’infiltrer des réseaux de résistance dans tout le grand Ouest. Elle est très efficace, mais elle est aussi trop connue. L’AMT VI s’en débarrasse en la « refilant » au colonel Kraus qui lui ordonne d’entrer en relation avec le truand Henri Chamberlain, dit Lafont, chef de la « Carlingue », surnom de la Gestapo Française, dont les tristes locaux se situent au 93, rue Lauriston. Il semble que pour les besoins de la cause, elle devienne la maîtresse de Georges Hainnaux, dit « Jo la Terreur ». Elle entre dans la bande et passe à un autre type de collaboration avec les nazis. Même si son rôle précis est inconnu car il ne reste pas de témoin de ses activités de la carlingue, Darius Rejali, mais aussi Perrault et Jean-Pierre Azéma ont montré qu’elle avait été particulièrement impliquée dans les activités de torture qu’elle alla jusqu’à raffiner. Elle s’occupait surtout des femmes, après leur passage à tabac et leur viol par les bourreaux masculins de la Carlingue : cela lui valut le surnom de « Hyène de la Gestapo ». Il semblerait qu’elle prenait un vrai plaisir sadique à brûler le bout des seins de ses victimes, qu’elle faisait attacher nues et qu’elle fouettait jusqu’à ce que leur corps ne soit qu’une plaie sanguinolente. Alors, elle leur chiait dessus. Elle avait aussi pour maîtresse dans la Carlingue une autre femme bourreau comme elle, névrosée et toxicomane : Sonia Boukassi. Sa vie devient clandestine, pleine de sursauts et de dangers. Elle vit dans une péniche amarrée au quai du Point de Jour, à Suresnes, non loin de celle de « Jo la Terreur ». On est bien loin d’un manoir de baronne…

Pour les Anglais et pour les FFI, particulièrement menacés par les activités gestapistes de Violette Morris, âgée de 53 ans en 1944, celle-ci doit absolument mourir. Son assassinat est donc commandité. Il semble que ce soit le groupe normand « Surcouf » qui réussisse le coup en la prenant par surprise sur une petite route de campagne alors qu’elle revenait d’une mission classique de contre-espionnage. Sa voiture, une traction avant, est mitraillée le 26 avril 1944. Tous les passagers sont également exécutés. Son corps est enterré dès le lendemain.

Quelle leçon tirer de cette vie ? Faut-il la voir comme les deux faces d’un même destin – celle d’une femme extrêmement douée d’abord victime du sexisme et qui est devenue un bourreau pour se venger ? Une femme détruite qui a voulu broyer à son tour ? Son formidable talent de sportive ne l’a pas aidée à résister aux pièges qui lui furent tendus. A-t-elle été piégée par la pègre ? Avait-elle besoin d’argent ? Avait-elle besoin d’adrénaline, de risques, de dangers ?

Des questions sans réponse jusqu’à une nouvelle biographie ?

Sur le sujet :

Raymond Ruffin, La Diablesse. La Véritable Histoire De Violette Morris, éditions Pygmalion, 1989.

Raymond Ruffin, Violette Morris, la Hyène de la gestapo, éditions du Cherche-Midi, 2004.

Christine Bard, « Le « DB58 » aux Archives de la Préfecture de Police », Clio, consultable en ligne

Nathalie Rosol, « « Le sport vers le féminisme ». L’engagement du milieu athlétique féminin français au temps de la FSFSF (1917-1936) », consultable en ligne

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