The Watermelon Woman : Interview de la scénariste et réalisatrice Cheryl Dunye

The Watermelon Woman : Interview de la scénariste et réalisatrice Cheryl Dunye

Interview accordée le 12 Avril 1997 à T. Haslett et N. Abiaka pour le Site Black Cultural Studies Web Site Collective

À la conférence « Black Nations, Queer Nations ? » vous avez parlé de The Watermelon Woman et de la volonté de trouver les meilleures médecins de couleur lesbiennes pour le film et je voulais savoir comment cela avait finalement fonctionné ? Pourquoi ou comment cela fut-il un but important pour vous et pour ce film, par rapport à sa production ?

Ce fut quelque chose de plutôt décevant pour moi lorsqu’il en est venu à vraiment interroger des gens comme les producteurs, les gens des médias (ceux-ci sont des producteurs, les personnes présentes dans le bureau). Il a fallu les trouver : ils n’étaient pas là. Ou alors ils étaient là pour eux, ce qui est ok parce que nous sommes tous en quelque sorte au travail, vous voyez ce que je veux dire ? Mais il a fallu se tourner vers les autres, hétéros, blancs, hommes, n’importe qui, pour que cela se fasse. Ce que cela m’a appris c’est qu’il y a une pluralité de constructions d’identités et que vous devez accepter cela.

Le texte parle, bien entendu, des désirs interraciaux et cela permet aux personnes d’arriver et de se sentir plus à l’aise ; et cela nous permet, à nous, de nous sentir plus à l’aise avec eux. Michelle Crenshaw, la directrice de la photographie, est une lesbienne noire, et la plupart du casting est noir, alors que beaucoup des producteurs ne le sont pas. Il y a des moments où je me sentais désemparée avec ça, mais il y a eu des moments identiques dans l’Histoire, comme pour la Renaissance Harlem. Mon film y jette d’ailleurs un regard, et, vous savez, c’est de cette façon qu’est construite la culture noire. Oui, nous devons casser cette chaîne, mais oui, nous avons ce genre de culture qui fonctionne sur cette philanthropie. Être un témoignage est, comme Essex Hemphill me l’a dit, « quand on vous donne un témoignage, ou qu’on vous fait un témoignage, que faites-vous ? Vous faites un tour, vous faites un tour en y pensant ». J’ai l’impression que beaucoup de gens avec qui j’ai travaillé croient en eux autant que moi en eux et dans leur capacité à aller de l’avant. Je pense que l’on en tire tous quelque chose, que l’on travaille ensemble ou non.

Il y a une part de puissance dans la création d’art et une part de déresponsabilisation dans la création d’art et de culture. Vous devez juste y aller et bouger, et ne pas vous laissez piéger. Je pense que tellement de réalisatrices noires ou d’autres artistes noires se font coincer dans les spectacles et ne se souviennent pas qu’elles ont un chemin et un agenda à respecter. Nous n’avons pas encore vu de seconde vague de longs-métrages de réalisatrices noires.

Je pensais à cette espèce de philanthropie et de système de patronage : c’est la consolidation continuelle du masculinisme et de la suprématie blanche par rapport à la façon dont la distribution et la production arrivent à…

Totalement. Nous constatons également la baisse des fonds dont nous disposons. The Watermelon Woman en a été marqué et est probablement l’un des derniers projets à avoir eu la bourse « National Endowment for the Arts » (NEA). The Watermelon Woman ainsi que les réalisateurs indépendants noirs ou homosexuels noirs, montrent une autre façon d’y arriver. Une toute petite part des 300 000$ du prix de la réalisation du film était de l’argent venant de la NEA, le reste était magique ! Un lapin sorti du chapeau ! Nous avons dû l’inventer. Si les gens qui regardent le film sont genre « elle a tout inventé elle-même, où sont-ce les fonds pour l’image avec tous ces gens ? » c’est une sorte d’encouragement, comme, « woah laissez-moi porter ce vieux projet sur lequel j’ai dit que je voulais travailler et dans lequel je veux croire à nouveau ». Cela remotive les gens dans la possibilité de créer des trucs.

Pensez-vous que vous faites partie de la communauté des artistes lesbiennes noires ? Est-ce que cette notion de communauté est importante pour vous dans votre travail ?

Très importante. On reste toutes en contact les unes avec les autres et on essaye de se créer des opportunités les unes pour les autres, à notre façon. On essaye de ne pas marcher sur les plates-bandes des autres. Dans certaines communautés, si quelqu’un dit « c’est mon idée » ou bien « voilà la bourse dont j’ai besoin », vous aurez immédiatement quelqu’un d’autre qui prendra cette bourse ou saisira cette opportunité. Je pense qu’il y a une sororité très silencieuse ici qui nous autorise à…, parce que nous sommes tellement peu, cela signifie beaucoup… c’est important d’avoir ça ici de quelque façon que cela soit. J’appelle tout le temps Shari Frilot, et elle est tout le temps en train de montrer mon travail ou alors je dis ça et ça sur le travail de Shari ou sur celui de Jocelyn (Taylor) ou Michelle Parkerson ou Leah Gilliam, qui a une vidéo dans le Whitney Biennial…

Ah oui elle en a une ?

Oui. C’est vraiment bon. Cela s’appelle Sapphire and the Slave Girl. Et Yavonne Welbon est en train d’écrire sa thèse sur les réalisatrices noires lesbiennes.

Oh vraiment ?

Oui, vous devriez la contacter. Je n’ai pas son e-mail ou son numéro mais je suis sûre que vous pourriez le trouver. Elle est a NorthWestern.

J’ai vu pas mal de ses films. Je serais curieuse… je n’avais pas réalisé que c’est ce sur quoi elle travaillait pour sa thèse.

Elle est très sérieuse sur l’importance de la représentation au-delà de Monique and I. Je pense qu’il y a un article en ligne sur les réalisatrices lesbiennes noires qu’elle a écrit, c’est la première partie de sa thèse.

Ah oui c’est vrai. J’ai vu ça sur Internet. Je faisais des recherches pour un truc et je suis tombée dessus. Ce fut réellement un très bon article.

Oui. Il y a tout ça et puis quelques autres. Curieusement, je vis à Los Angeles maintenant et je vais devenir l’outsider, ce qui n’est, en fait, pas vraiment effrayant. C’est comme une petite décharge électrique pour moi, parce que cela me garde en vie. Tout comme être un outsider dans une communauté qui ne me remerciera au grand jamais à un quelconque degré que ce soit et ne reconnaîtra pas ça ; dépasser ça et trouver des gens avec qui je peux entrer en contact est stimulant. Donc, je suis tranquillement en train de me faire des contacts là-bas. Je crois qu’une chose remarquable à propos de The Watermelon Woman et de mes autres travaux est ma capacité à créer « notre groupe » là-dessus : « Allez Darla, on va dans ton bureau ! » et « Tu tiens la caméra ! ». Avec un peu de chance, je pourrais faire ça dans les prochaines années avec un autre projet. Ce sera peut-être excitant. Dur, certainement.

Beaucoup de féministes blanches avant-gardistes au cinéma, et je pense à Barbara Hammer par exemple, ont tendance, au moins de mon petit point de vue, à se débarrasser de la structure narrative conventionnelle. Mais je pense que dans vos films, du moins selon moi, vous conservez certaines structures narratives conventionnelles mais vous utilisez différentes techniques en termes de langage cinématographique. Je voulais vous interroger sur vos idées de la narration dans les films… pas de la narration téléologique mais juste sur le principe de fonctionnement de la narration.

La narration est aussi vraie qu’on veut qu’elle le soit. Nous croyons en la narration en tant que vérité, en tant que document. Et nous croyons au document en tant que fiction. Une fois que l’on aura reconnu ça dans nos vies et dans le monde davantage que maintenant, il y aura moins de gens fous aux alentours, ou moins de gens considérés comme fous. Cette espèce de schizophrénie culturelle, ces espèces de « Qui est-tu ? », « À quoi ressemble le monde ? », « Qui veux-tu devenir ? », « D’où viens-tu ? », ce genre de choses, une fois qu’il aura été reconnu que c’est juste ce vous êtes en tant que personne dans toute sa complexité, qu’il existe toute une mémoire culturelle, un bagage culturel, qu’il existe une variation dans nos propres identités et que tout ça est ok, alors, je pense que le monde sera un endroit meilleur à vivre.

Je pense que mon travail utilise vraiment les stratégies documentaires de cette façon. Je pense que j’utilise les stratégies documentaires plus que j’utilise les stratégies narratives, parce que le documentaire est d’ores-et-déjà fictif. Cela, ainsi que mon approche du sujet, est structuré par une caméra. Je veux dire que The Watermelon Woman aurait clairement pu être un documentaire qui m’aurait mise dans une case différente en tant que faiseuse de média ou de distraction. Mon challenge est de dire que cela est important et que beaucoup de personnes ont besoin de le voir. Comment plus de gens peuvent-ils voir quelque chose ? Vous savez, ajoutez un petit peu de narration là-dedans et les gens font et utilisent de l’humour. Donc, mon astuce, c’est de vraiment essayer de trouver cet équilibre. C’était quelque chose de dur pour Annie Taylor, l’éditrice de Philadelphie, et pour moi-même de garder ça là.

Beaucoup des choses merveilleuses sur She Don’t Fade sont des choses brutes, mais il a fallu que j’en enlève quelques unes. Quand même, les sauts entre les tableaux, le parler en tête-à-tête avec les gens, et la plaisanterie étaient une approche conventionnelle pour récupérer un message sur lequel j’ai dû mettre le holà pour le conserver.

Vos films mettent en défaut l’idée reçue qu’un documentaire est une espèce de représentation réaliste, comme s’il était juste un miroir retenu de la réalité…

C’est comme un miroir déformant. Le truc c’est que les gens se doivent d’être à l’aise avec ce chaos ambiant et je pense que mon travail tente d’y mettre un peu de sens, particulièrement dans la vie de certaines personnes qui sont étiquetées comme déviantes ou invisibles, et qu’il y a cette complexité dans l’invisibilité qui n’est pas simple, et qui est plus universelle que ce que l’on pense.

Quand on regarde le public de The Watermelon Woman, il y a un mélange d’asiatiques, d’américains, de gays. Je ne les connais même pas. Il y a des gens de plusieurs origines dans le public. Des gens de différentes origines sont présents pour voir le film ; jeunes et vieux ; beaucoup d’entre eux sont des hommes blancs. Ils sont là. En fait, les étapes que Cheryl a passées pour arriver à faire comprendre… Je veux dire, dans une certaine mesure l’homme blanc était le contraire du public visé, vous voyez. C’est en quelque sorte une tentative pour obtenir un dialogue vis-à-vis de ça, pour comprendre ça et en tirer quelque chose, plutôt que de simplement le rejeter. Je repousse continuellement ces frontières de politiques culturelles, d’identités politiques, et politiques personnelles.

A propos de Isabelle B. Price

Créatrice du site et Rédactrice en Chef. Née en Auvergne, elle s’est rapidement passionnée pour les séries télévisées. Dès l’enfance elle considérait déjà Bioman comme une série culte. Elle a ensuite regardé avec assiduité Alerte à Malibu et Les Dessous de Palm Beach avant l’arrivée de séries inoubliables telles X-Files, Urgences et Buffy contre les Vampires.

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