The Watermelon Woman : Interview de la scénariste et réalisatrice Cheryl Dunye

The Watermelon Woman : Interview de la scénariste et réalisatrice Cheryl Dunye

Interview accordée le 12 Avril 1997 à T. Haslett et N. Abiaka pour le Site Black Cultural Studies Web Site Collective

Parfois quand je regarde la réception par le public à proprement parler, par exemple pour le livre Push de Sapphire ou l’anthologie de Shade de Charles Rowell ou d’autres, je m’aperçois qu’en fait il y a une grande diversité du public en ce moment même. Cela signifie-t-il qu’il y a un public pour ça, ou cela signifie-t-il qu’il existe une subjectivité noire ou une production culturelle noire qui est l’intérêt temporaire de la suprématie blanche des médias, comme une Renaissance de Harlem ? Aussitôt que cela deviendra impopulaire, cela disparaitra. Pourquoi en ce moment historique, un mot comme Shade ou Push est-il si bien reçu ? Pourquoi cela attire-t-il le public maintenant ?

Je pense que vous oubliez les auteurs et auteures noirs qui ont écrit sur la marginalité des noirs depuis l’esclavage. Cela a été populaire dans l’esprit de « l’Amérique blanche », ils ont dépassé les limites et créé de la sympathie et fait de la politique historique. C’est juste la continuité de cela. Regardez, prenez ce que vous dites à l’envers, comme avec Terry McMillan qui, elle, a fait le chemin inverse et « s’en est sortie ». Elle est l’auteure qui l’a fait. Qu’est-ce que cela signifie ?

Dans une certaine mesure, elle a ce que notre culture représente à travers la réussite de ce « mélange ». Les écrits restent. C’est juste la tendance dans la culture populaire qui attire l’attention dessus ou non. Je pense que ces gens qui font tranquillement leur route, comme Audre Lorde, avec sa vie et son travail, désignent clairement quelqu’un dont l’attention change, change et change continuellement dans sa carrière. Ou bien comme Samuel Delany, ou n’importe qui. Cela marque la complexité… et nos capacités, sans tenir compte de notre culture populaire, à continuellement nous inventer, nous réinventer et recommencer de zéro à nouveau. Je vois ces moments comme la Renaissance à Harlem, comme la vie de James Baldwin. Il a fait des allers retours entre l’Europe (et les U.S.A.) avec quatre ou cinq romans avant ses quarante ans. Comme Audre Lorde disait, « Fait-on notre travail maintenant ? Nous ne pouvons même pas quitter New York ! ».

Je pense que l’on doit réfléchir à ça. Je pense tout le temps à cela. Qu’est-ce que les gens auraient fait s’ils avaient été moi ? Étaient-ils piégés ou essayaient-ils de s’exprimer ? J’ai l’impression d’être du côté où, vous savez, je veux faire des allers retours en l’Europe avec quatre romans !

Dans vos autres films vous aviez, en quelque sorte, des portes précises auxquelles frapper et des personnes clefs à interroger, mais, dans The Watermelon Woman, à quoi pensiez-vous concernant le personnage de Cheryl et le fait que le public, quel qu’il soit, puisse vous confondre avec ce personnage ? Qu’est-ce qui vous a amenée à vous inclure dans la narration ?

Je pense, en fait, que c’est la mort de Cheryl d’une façon très simple. Je pense que j’ai travaillé avec ce personnage et cette espèce d’approche avec les interlocuteurs du documentaire juste de cette façon pour ce temps et j’ai besoin de jouer avec ça. Mais je pense que c’est plutôt efficace, je veux dire je touche vraiment beaucoup de gens. Avec des séries comme Cops, je faisais partie d’un moment de discussion directe avec les interlocuteurs de la culture populaire. Je pense que cela nécessite de me changer un petit peu. Toute ma théorie à propos des trois présentations visuelles des messages, où vous avez besoin de : parler à quelqu’un, faire un petit tableau qui joue cela, avoir un peu de texte, fonctionne ! Je pense que cela fonctionne.

Donc, je pense vraiment qu’au-delà d’être une réalisatrice, au-delà d’être ci et ça, je pense être une auteure qui fait des films dans un langage différent, et que certains de mes trucs fonctionnent. Ce que nous devons essayer de faire, c’est de créer d’autres façons de communiquer. Sans tenir compte de l’origine de nos médias. Notre idéologie existe. Avec un peu de chance je fais partie de ce mouvement, comme Sapphire et d’autres auteures, dans le sens où je brasse tout cela pour les gens. Les gens deviennent plus à l’aise avec ça, donc tout est destiné à se révéler.

D’un point de vue plus pragmatique, quel est votre conseil pour les femmes qui veulent se lancer dans la réalisation, la réalisation indépendante essentiellement ?

Je dirais, prendre autant de cours de production qu’elles le peuvent. Commencer petit et être le maître du moment. Vraiment s’inclure dans une communauté avec laquelle vous pouvez travailler. Au-delà d’être restreinte, au-delà d’être concentrée sur ce que vous faites, essayez de trouver des espaces où vous pouvez être ouverte à d’autres choses. Je pense que c’est un équilibre dur à trouver entre la couleur, l’homosexualité, ou n’importe quelle genre de communauté ; que le fait de travailler si dur pour une révolution ne nous fasse pas oublier le reste du monde. Une chose qui était vraiment importante pour moi était d’avoir un pied dans beaucoup d’endroits différents, comme par exemple le monde de l’art, le monde de la réalisation, la scène culturelle activiste New-Yorkaise. Cela vous garde en forme, cela vous permet de rester à l’affût. Je pense que vous devez vous lancer là-dedans.

J’encourage les gens à s’impliquer, à parler et être impliqués. Si vous ne pouvez pas le faire avec des mots, faites-le avec des images, avec les médias.

Enseignez-vous à Pomona ce semestre ?

Oui, j’enseigne à Pitzer, qui est l’une des universités de Claremont. Je suis enseignante à mi-temps là-bas depuis environ un an. En fait, ma productrice, qui est ma petite-amie, a été titularisée pour commencer et vraiment se concentrer sur la mise en place d’un programme d’étude des médias, et je suis une des employées de ce programme. Vous savez, comme le travail de la femme d’un mari. Mais c’est génial parce que j’ai une toute autre vie, vis-à-vis de la réalisation et ce genre de responsabilités, donc c’est un bon équilibre. Je reste dans le mouvement, remontant et descendant ces routes.

Pensez-vous que l’enseignement et les autres choses prennent sur votre temps, vous empêchant de faire d’autres films ?

Pas du tout. Ça va de pair. Grâce à l’enseignement je peux aller à la bibliothèque et faire beaucoup de recherches. Grâce à l’enseignement je peux balancer mes idées, non seulement à Jocelyn et ces gars, mais à tous ces jeunes esprits. Et j’ai accès à tout le matériel ! C’est encore une chose que j’encouragerais à faire pour les réalisateurs en devenir. Si vous n’avez pas d’argent, comment allez-vous faire pour réaliser votre film ? Vous aurez peut-être l’idée pour faire ce grand métrage avec tout le voisinage, mais comment allez-vous le faire ? C’est dur de vous rattacher à ça si vous ne travaillez pas avec de l’argent.

J’encourage également tout le monde à prendre des cours de commerce. Introduction au management ou peu importe. Apprendre à écrire des offres ou des bourses et apprendre à gérer votre argent et à vous promouvoir. Parce qu’il ne s’agit plus du talent maintenant, il s’agit de cela. Nous pouvons clairement voir le nombre de travaux fous qui existent dans n’importe quel média, mais ils savaient comment se promouvoir efficacement et comment le travailler.

Je pense que les gens de couleur et les autres gens marginaux seraient moins en colère s’ils utilisaient ces stratégies d’hommes blancs pour aller de l’avant. Mais n’oubliez pas qu’aller de l’avant signifie également autre chose, cela ne veut pas juste dire oublier d’où vous venez et changer de peau et devenir traître. Vous avez déjà une peau. Une chose sur la peau que je porte – à travers tous ces changements et ces formes – c’est que je suis toujours invisible. Je dois toujours travailler sur cette rage que j’ai à avoir été traitée d’« autre ». Donc, c’est pour cela que je fais mon travail.

Donc enseigner et réaliser ne sont pas incompatibles ?

Non. L’enseignement me garde en selle, en fait. Cela me laisse en contact avec le monde, une certaine partie du monde du moins. J’apprends beaucoup de mes étudiants et je suis sûre qu’ils apprennent quelques trucs de moi. Cela prend du temps, cela prend, à vrai dire, plus de temps que de simplement se tenir devant les étudiants et parler et les rencontrer. C’est beaucoup de travail et de préparation. Beaucoup de cela me perfectionne sur les choses auxquelles je m’intéresse, i.e., les femmes afro-américaines dans les films et la réalisation de The Watermelon Woman.

C’est toutes les questions que nous avions préparées. Je ne sais pas s’il y a autre chose que j’allais mentionner. Vous en avez beaucoup dit.

Interview Originale sur le site Black Cultural Studies.org

Cheryl Dunye

A propos de Isabelle B. Price

Créatrice du site et Rédactrice en Chef. Née en Auvergne, elle s’est rapidement passionnée pour les séries télévisées. Dès l’enfance elle considérait déjà Bioman comme une série culte. Elle a ensuite regardé avec assiduité Alerte à Malibu et Les Dessous de Palm Beach avant l’arrivée de séries inoubliables telles X-Files, Urgences et Buffy contre les Vampires.

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