Libre !

Statue de la Liberté

À l’occasion du Salon du Livre Lesbien, dont le thème était la liberté d’expression, une question m’avait été posée afin de préparer le débat. « En tant que femme, lesbienne et auteure, vous sentez-vous libre aujourd’hui ? Et qu’en est-il de vos expériences croisées ? » Certes j’ai raté le salon et le débat pour des raisons médicales, mais la question reste. J’ai donc décidé d’y répondre ici, d’autant plus qu’elle m’a parue plutôt intéressante.

Tout d’abord, il me semble utile de préciser qu’à mes yeux la notion même de liberté d’expression est multiple. Cette liberté a au moins deux facettes bien distinctes : la liberté d’expression « légale » et la liberté d’expression « ressentie ». Or, celles-ci peuvent être bien différentes. D’un point de vue légal, la liberté en France, tout comme au Royaume uni ou aux Pays-Bas où j’ai vécu, est d’un niveau plutôt satisfaisant, et en tout cas bien meilleur que dans d’autres Pays. La liberté « ressentie » est, elle, totalement dépendante du contexte de chaque personne, de son histoire, de sa famille, de sa religion et de son domaine professionnel.

J’ai la chance de pouvoir me sentir totalement libre en tant que femme, lesbienne et auteure. D’abord parce qu’aucune loi ne m’interdit de faire, dire ou écrire ce que je souhaite, et d’autre part parce qu’aucune contrainte familiale, professionnelle, sociale, religieuse ou autre ne pèse sur moi. Je suis out aussi bien dans le domaine familial que professionnel, et cela ne me pose aucun problème. Ma famille m’a acceptée telle que je suis, le ministère dans lequel je travaille fait figure de bon élève en matière de tolérance et d’ouverture d’esprit, et ma Maison d’Édition semble pour le moment bien décidée à publier sans rechigner des romans lesbiens.

C’est en grande partie parce que je sais que ce n’est pas le cas pour tout le monde, que j’ai choisi de ne pas utiliser de pseudo, contrairement à une partie de mes collègues, auteurs de romance chez Harlequin. La célèbre phrase « pour vivre heureux, vivons cachés », que j’ai souvent entendue pour expliquer l’utilisation d’un pseudonyme, n’a définitivement pas la même résonance à mes oreilles qu’elle peut l’avoir pour une femme hétérosexuelle dans une société hétéronormée. J’ai la chance de pouvoir être moi-même au grand jour, il me semble par conséquent presque comme un devoir de ne pas me cacher.

Les expériences croisées que j’ai pu avoir m’ont fait réaliser à quel point j’étais chanceuse, tant sur le fait d’être née en France, que d’avoir une famille ouverte et j’ajouterais peu religieuse. L’aspect religieux peut être discuté, j’en conviens, mais dans mon expérience personnelle, religion et ouverture d’esprit font rarement bon ménage. Mon ex-compagne vient de New Delhi, et j’ai passé cinq années à essayer de comprendre la complexité de se construire homosexuelle dans un carcan qui ne le permet pas. Rappelons qu’il y a quelques mois à peine, l’Inde a abrogé une loi qui décriminalisait l’homosexualité, faisant de ce fait un bond en arrière dans ce domaine. Dans les faits, elle ne se sent pas libre d’être lesbienne dans toute une partie de sa vie. Vis-à-vis de sa famille d’une part, pour laquelle il n’a jamais été question d’homosexualité, et d’autre part le milieu professionnel. Il semble que le milieu académique, très conservateur, ait encore de nombreux progrès à faire en la matière, en particulier dans le domaine scientifique qui reste majoritairement masculin. Dans ces milieux, la réputation compte au moins autant que le talent pour pouvoir être invité dans les conférences ou publié dans les bons journaux. Le système de « peer review » est à mon sens très pernicieux à ce sujet, puisqu’il permet à des collègues de juger votre travail anonymement. Ils peuvent donc refuser un de vos articles pour des motifs qu’ils n’ont pas vraiment à justifier. Aujourd’hui elle écrit des articles où elle parle de son expérience et de son homosexualité, mais elle refuse de les publier en son nom propre, par crainte des conséquences.

Au cours de mes pérégrinations, j’ai eu l’occasion de croiser la route de femmes aux origines différentes et aux religions diverses, mais pour qui être homosexuelle relevait de la même difficulté, de la même douleur dirais-je même bien souvent. J’ai pu observer les dégâts : comportements autodestructeurs allant parfois jusqu’à la tentative de suicide, mariage de convenance, fugue, destruction des liens familiaux… Non, être libre d’être une lesbienne et de l’exprimer clairement n’est toujours pas une évidence. Il reste du chemin à parcourir, même en France… Et il nous faut sans aucun doute rester sur nos gardes pour que la liberté que nous avons acquise ne nous soit pas reprise.

Pas de conseils de la Grande Yaka Faukon pour le coup… Pour être libre, chacun doit trouver sa propre voie et sa propre voix.

A propos de Sylvie Geroux

Née à Amiens en 1975 et géologue de formation, Sylvie Géroux travaille actuellement à Amsterdam après un séjour londonien de quelques années. Passionnée de lecture, elle commence à écrire à l'adolescence des nouvelles de tous genres, de la romance à la science fiction. C'est finalement chez HQN qu'elle publie son premier roman, Nadya & Elena, la première romance lesbienne de la collection.

5 commentaires

  1. Non j’ai pas dit que j’étais seule !!! 🙂 Tout se passe bien dans ma vie rassurez vous, absolument pas ghettoïsée, je disais pas beaucoup de commentaires sur ce site c’est tout !!!

  2. Bjr, “Pour être libre, chacun doit trouver sa propre voie et sa propre voix.”, d’une évidence “effroyable”, tant le carcan, même en France reste fort…

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