Cheveux courts, cheveux longs

Puisque ce site réfléchit sur la représentation et la visibilité lesbienne, il allait de soi qu’il fallait en venir à cette question capillaire absolument existentielle. Les stéréotypes ont la vie dure et en général, pour la majorité des gens : femmes aux cheveux courts = garçons manqués = soupçons sur la sexualité (sont-elles lesbiennes ?)

Cette équation simpliste signifie plus largement que le port des cheveux courts pour les femmes ne va pas de soi et nécessite une justification. Se couper les cheveux court est donc pour une fille ou une femme un acte qui implique mûre réflexion. D’où cela vient-il ? Quel est donc l’imaginaire social des cheveux de femmes ? En quoi la longueur des cheveux est-t-elle en Occident un symbole du genre ?

Fouillons dans nos mémoires : des femmes aux cheveux courts dans l’histoire, il n’y en a pas des masses ? Certes, même avec les cheveux longs, elles ne sont pas légion. En fait, quatre cas ou situations émergent :

1 – Le premier exemple, très inhabituel, est celui de Jeanne d’Arc et sa fameuse coupe au bol. Cette coupe accompagne un travestissement en soldat et la renonciation à la vêture féminine. Cette coupe n’est pas en soi symbolique : elle vise surtout à l’efficacité pratique. Elle marque néanmoins une certaine renonciation à la sexualité et à une « vie normale » de femme (à savoir le mariage et la maternité). Jeanne d’Arc est constamment appelée la Pucelle de Domrémy pour éloigner d’elle les images du vice et de la perversion. Elle semble asexuée. Pourtant, de son vivant, elle fut brûlée comme sorcière et son abandon de la chevelure fut considéré comme un signe de sa dépravation ou de sa folie. On prétendit qu’elle avait couché avec certains de ses capitaines. Après sa mort et sa réhabilitation, quand elle devint une sainte, elle retrouva miraculeusement ses cheveux longs et une pureté de Vierge. En témoigne cette représentation d’elle en armure mais avec les cheveux longs :

Jeanne d'Arc

2 – La deuxième situation, plus répandue dans l’histoire et concernant davantage de femmes, est l’entrée dans les ordres religieux qui s’accompagne de l’abandon de la chevelure, signe de féminité et surtout de séduction. La religion monothéiste a tendance à vouloir cacher les cheveux des femmes. La Vierge Marie a toujours des cheveux longs mais cachés sous un voile. Montrer ses cheveux est souvent interprété comme un signe d’impiété et d’orgueil. Toutes les nonnes ont les cheveux rasés sous le voile. C’est encore le cas aujourd’hui. Mais cette absence de chevelure est cachée sous un voile. Certes, il ne s’agit pas de cheveux courts, mais de cheveux rasés, toutefois il existe un lien entre ces deux imaginaires capillaires.

3 – La troisième situation est enfin celle des détenues à qui on coupe les cheveux. C’est une forme de torture mentale comme le montre très bien le film V pour Vendetta (à voir ici). La coupe des cheveux est clairement une punition, voire une marque d’humiliation publique. On peut penser aux tontes des femmes soupçonnées de collaboration avec les Allemands à la période de la Libération que l’on tond dans la rue, comme des moutons. On peut évidemment aussi penser à la tonte des femmes juives à leur arrivée dans les camps. Leurs cheveux, qu’elles abandonnaient en signe de renoncement à leur humanité, étaient destinés à être vendus. Une femme aux cheveux courts qui n’était pas une religieuse était donc forcément une femme coupable.

4 – La dernière situation est liée à l’âge : une petite fille peut avoir les cheveux courts sans que sa féminité ne soit mise en cause. Elle n’a pas encore l’âge de jouer avec sa séduction. De même, une femme passée l’âge de la ménopause peut sans problème porter les cheveux courts. C’est même souvent encouragé : le signe qu’elle s’est rangée et ne cherche plus à plaire en jouant de ses atouts capillaires.

On pourrait y ajouter la coupe des cheveux chez les militaires aux États-Unis, comme le montre cet extrait de documentaire.

Pour toutes les autres, l’immense majorité, le port des cheveux longs n’est pas un choix : c’est une évidence imposée par la pression sociale, mais tellement intériorisée qu’elle va de soi. Pensons au magnifique poème de Baudelaire, La Chevelure : les cheveux longs, c’est sexy ! C’est ce que préféreraient les hommes… (ce qui est encore un cliché comme en témoigne le roman très récent de Patrice Leconte sur une Femme aux cheveux courts qui est au cœur des fantasmes de son héros).

Ô toison, moutonnant jusque sur l’encolure !
Ô boucles ! Ô parfum chargé de nonchaloir !
Extase ! Pour peupler ce soir l’alcôve obscure
Des souvenirs dormant dans cette chevelure,
Je la veux agiter dans l’air comme un mouchoir !

Les femmes portant volontairement les cheveux courts dans l’histoire sans être Jeanne d’Arc, une religieuse ou une détenue sont donc très rares et cet acte est considéré comme un travestissement, sauf si ces cheveux courts ou ras sont cachés sous un voile. En fait, on connaît des exemples dès le XVIIIe siècle. Mais ces femmes sont considérées comme des « tribades » : on les appelle des husband men. Elles sont souvent découvertes lors de procès ou après leur mort. C’est en fait surtout au début du XXe siècle que les femmes aux cheveux courts se multiplient, principalement en Occident, en Europe.  On les appelle les garçonnes. Ces femmes « modernes » ne sont pas des lesbiennes, même si cette mode a en général séduit les lesbiennes. La garçonne revendique l’égalité des droits et joue sur l’androgynie. Elle est d’abord féministe, secondairement et éventuellement lesbienne. En 1925, en France, une femme sur trois a les cheveux courts. Le phénomène retient bien sûr les contemporains car c’est une révolution. En 1924, Dréan chante le refrain suivant :

Ell’ s’était fait couper les ch’veux
Comme un’ petit’ fille
Gentille
Ell’ s’était fait couper les ch’veux
En s’disant ça m’ira beaucoup mieux
Car les femm’s tout comm’ les messieurs
Pour suivre la mode
Commode
Ell’s se font toutes
Ell’s se font toutes
Ell’s se font toutes
Ell’s se font tout’s couper les ch’veux

L’actrice américaine Louise Brooks incarne parfaitement cette femme moderne, à la fois féminine (mais d’une féminité modernisée) et portant fièrement les cheveux assez courts.

Jeanne d'Arc

Répondre