Le Mariage entre Femmes dans l’Histoire

Sahaykwisa était considérée comme une « hwame », c’est-à-dire une femme au sens biologique mais un homme sur le plan social. Chez les Amérindiens, le rôle social est moins lié au sexe biologique qu’à « l’esprit ». Or une femme peut avoir un « esprit » puissant et un homme un « esprit » plus faible. Les « hwame » chez les Mohaves étaient considérées comme des hommes, elles pouvaient s’habiller en homme et prendre une épouse. Elles étaient également très respectées car elles étaient censées avoir des pouvoirs chamaniques et des liens avec le sacré. S’habiller en homme ne voulait pas dire se travestir : par exemple, on voit sur cette photo une femme de la tribu Quechan facilement identifiée comme « Berdache » : elle est biologiquement une femme et ne cherche pas à masquer ses seins, mais elle porte le cache-sexe, les colliers et des attributs de chasseur dévolus aux hommes.

Mariage entre les femmes dans l'Histoire

Sahaykwisa est une « hwame » décrite comme très féminine avec une opulente poitrine. Elle ne s’habille pas du tout en homme, mais elle se livre à des activités qui révèlent qu’elle est une « hwame » : elle possède sa terre et elle est agricultrice ; elle chasse avec un arc et des flèches et elle est capable de ramener du gibier ; enfin elle est considérée comme une puissante chamane spécialisée dans le traitement des maladies vénériennes. Pour toutes ces raisons, elle est un parti intéressant non pour les hommes de sa tribu, mais pour les femmes à qui elle peut assurer un foyer et des richesses. Elle était assez riche pour pouvoir se payer de vraies chaussures en cuir et acheter à ses épouses des colliers et des robes neuves. Pour toutes ces raisons aussi, elle était jalousée et mal vue par les hommes qui ne s’en prenaient toutefois pas directement à elle, dans un premier temps, mais à ses prétendantes.

Ce qui est intéressant dans le cas de Sahaykwisa et dans les exemples de « Berdaches » féminines, c’est que le mariage est une institution pour les couples de même sexe ou de sexe différent et qu’il implique dans les deux cas des relations sexuelles entre les marié(e)s. La communauté entière le sait. Ainsi, les « hwame » sont à la fois courtisées et marginalisées. Sahaykwisa eut trois femmes dans sa courte vie : elle était considérée comme une vraie séductrice – ce qui posait problème. Toutes ses épouses furent harcelées par la communauté. La fidélité n’était pas requise dans un mariage. Ainsi, la première épouse de Sahaykwisa fut courtisée mais aussi harcelée par un prétendant qui lui demanda : « Pourquoi veux-tu d’une hwame pour mari ? Une hwame n’a pas de pénis ; elle peut seulement te pénétrer avec son doigt ». Cette dernière repoussa ses avances un peu humiliantes et sa proposition de relations sexuelles considérées comme plus épanouissantes en répondant : « Cela me convient et je souhaite rester avec elle ». Pourtant, la pression était telle qu’elle finit par quitter Sahaykwisa pour partir avec un deuxième prétendant. Sahaykwisa ne se laissa pas intimider par les pressions et elle chercha alors une autre épouse dans la communauté. Lorsqu’elle se rendait dans les fêtes, elle se conduisait comme les hommes et restait en compagnie des hommes. Elle cherchait aussi à attirer l’attention des femmes, y compris mariées. Énervés par sa conduite, jugée inappropriée, les hommes de sa tribu la qualifièrent de Hithpan Kudhape, c’est-à-dire de « vulve fendue » : une manière de la ramener à son sexe biologique, même si son « esprit » masculin n’était pas remis en question. La situation reprit un cours pratiquement normal quand la première épouse de Sahaykwisa revint finalement sous le toit conjugal – ce qui était perçu comme un signe de la puissance sexuelle de Sahaykwisa. Mais les harcèlements à la fois sexuels et moraux ne cessèrent pas sur l’épouse qui finit par craquer et la quitter définitivement. L’histoire pourtant ne s’arrête pas là. Après quelques temps, Sahaykwisa se trouva une autre épouse dans la communauté. Elle devait également accepter de vivre dans le voisinage de son « ex » qui s’était remariée à un homme cette fois. Cette situation fit monter les tensions. Le mari de l’ex de Sahaykwisa était humilié par ce que nous appellerions aujourd’hui des « propos homophobes » et du « harcèlement moral ». Les autres hommes lui disaient : « Pénètre la simplement avec ton doigt, c’est ce qu’elle aime. Utilise ton doigt : elle y est habituée. Ne gâche pas ton pénis avec elle ! » La pression sociale était telle que les anciennes victimes de ce type de propos devenaient à leur tour des « bourreaux ». Ainsi, l’ex de Sahaykwisa disait à la nouvelle épouse de celle-ci : « Tu sais que je sais ce que tu as. Elle te pénètre avec son doigt dans ton vagin. Le mien me fait encore mal à cause de ses ongles qui m’ont griffé ». La nouvelle épouse était mise à rude épreuve et elle s’en plaignit à Sahaykwisa pour qu’en mari elle sauve son honneur. Mais Sahaykwisa n’y voyait que « chatterie » et jalousie entre femmes. Elle lui répondit avec dédain : « Peu importe ce que te dit mon ex ! Elle veut me reprendre, c’est tout ! »

Cette hypothèse n’était peut-être pas improbable et finit par causer un grand scandale dans la communauté car l’ex et la nouvelle épouse finirent par se battre lors d’une fête de la tribu devant tout le monde et ni Sahaykwisa ni le mari de l’ex n’intervinrent dans ce combat de « femelles » pour leur « mâle ». Au bilan, la deuxième épouse, de guerre lasse et ne trouvant pas le soutien qu’elle attendait de son « mari », quitta à son tour Sahaykwisa.

Après ce second « divorce », Sahaykwisa se peignit le visage en noir comme les guerriers sur le sentier de la guerre. Elle quitta son camp, munie de flèches et d’un arc, pour se rendre dans le camp d’un autre clan de la même tribu où elle fut mal reçue. Comme un homme, elle se rendit chez une femme pourtant mariée qui l’insulta beaucoup mais accepta cependant qu’elle aille chasser pour elle : une manière traditionnelle d’accepter le « flirt ». Quelques jours plus tard, Sahaykwisa se rendit à nouveau chez cette femme mariée et lui demanda de préparer du maïs pour elle : cela constituait une demande en bonne et due forme de fiançailles. Étonnamment, au lieu de refuser, la femme ainsi abordée et sollicitée fit ce que lui demanda Sahaykwisa. La nouvelle fit le tour du camp et se répandit même dans toute la réserve. C’était le signe de Sahaykwisa avait trouvé une troisième épouse. La troisième fois qu’elle se rendit chez la femme mariée, celle-ci quitta son époux pour la suivre et devenir sa nouvelle femme. Le mari, âgé de 35 ans, ne fit rien pour empêcher son épouse de partir. En revanche, il se trouva que sa femme revint : Sahaykwisa ne parvint pas à garder cette troisième épouse et voulut la reprendre au domicile de l’ancien époux éconduit. Cette fois-ci, celui-ci intervint et décida non pas de la traiter en rival égal mais en femelle usurpatrice : il la mena à l’écart dans la forêt voisine et la viola.

À partir de ce jour, dans le récit indirect du Docteur Devereux, une métamorphose s’accomplit : Sahaykwisa cessa de chercher des épouses, devint alcoolique et lorsqu’elle était saoule, elle se prostituait (le docteur dit que c’est parce qu’elle était devenue nymphomane). Des rumeurs commencèrent à circuler sur son compte : on disait dans sa tribu qu’elle lançait des sorts pour se trouver un homme. Finalement, elle mourut assassinée : elle fut jetée par deux « amants » dans le Colorado où elle périt noyée, à l’âge de 45 ans, alors qu’elle n’était plus que l’ombre d’elle-même.

Les Mohave ne sont pas une exception dans les tribus amérindiennes. On retrouve des mariages entre personnes de même sexe, y compris entre hommes, dans la plupart des tribus. Ces Indiens très queer sont appelés par les Européens des Berdaches. Voici par exemple un couple marié de femmes.

Mariage entre les femmes dans l'Histoire

Ces couples ont disparu pour la plupart dans les années 1920-1930. Cet exemple, indirect, qui illustre les thèses d’un psychiatre, permet de montrer en creux (car ce n’est bien évidemment pas la thèse du bon docteur) que le mariage entre personnes de même sexe a pu exister dans des communautés réduites qui ne le considèrent pas comme un sacrement religieux. Il est avant tout utilisé par les femmes pour s’assurer une place dans la société et dans l’économie : c’est alors un contrat de survie en zone hostile. On voit très bien alors que le genre est une donnée très complexe issue du « mariage » entre un corps sexué et, dans le cas amérindien, un esprit qui peut inverser les polarités. Le mariage pratiqué dans les sociétés anciennes associait toujours un rôle masculin et un rôle féminin.

Même si on est très loin des discussions actuelles autour du mariage entre personnes de même sexe telles qu’elles se posent en ce moment, ces quelques éléments éclairent peut-être un peu différemment le débat.

Pour en savoir plus et en lien direct avec la question de l’invisibilisation de ces mariages singuliers, voir l’ouvrage malheureusement non traduit de Karen McCandlish : Lesbian Unions : the Invisible Institution, 1987.

Répondre