Interview accordée à Daniela Costa le 14 septembre 2015 pour le site Afterellen.com
On pourrait en débattre, mais entre Freeheld, Carol, Grandma et plusieurs autres films remarquables, 2015 est sans doute la meilleure année pour les films à thématique lesbienne. Et grâce aux superbes performances de Susan Sarandon et Linda Emond, vous pouvez ajouter About Ray à cette liste.
Susan est devenue la chouchoute de beaucoup de femmes homo en 1983 lorsqu’elle s’est retrouvée dans le lit de Catherine Deneuve dans Les Prédateurs. Et cet amour n’a fait que grandir lorsque nous l’avons vue dans Thelma et Louise et beaucoup d’autres films fantastiques. Dans About Ray, Susan interprète Dolly, la mère lesbienne à l’esprit quelque peu fermé de Maggie (Naomi Watts) et grand-mère de l’ado trans Ray (Elle Fanning). Encore une fois, Susan envoie du lourd.
Nous nous sommes posées avec Susan pendant qu’elle était à Toronto pour le TIFF [ndlt : festival international du film de Toronto]. Elle nous a fait part de ce qu’elle pense de l’identité de genre, de la fluidité sexuelle, du changement de scénario dans Les Prédateurs, des scènes lesbiennes coupées dans About Ray, et de la façon dont elle vit le fait d’être une icône lesbienne. Elle nous a même dit ce qu’elle pensait de la prise de position de Caitlyn Jenner sur le mariage homosexuel ! Et bien d’autres choses encore.
Attention, il y aura des spoilers.
Qu’est-ce qui, dans About Ray, vous a fait dire « Il faut que je sois dans ce film », et plus particulièrement « Je veux jouer Dolly » ?
De temps en temps, j’ai le sentiment qu’une histoire doit être racontée immédiatement. Il était évident pour moi que cette discussion-là devait commencer. Et bien que ce film ne soit pas un documentaire, que ce ne soit pas Philadelphia et qu’il n’explique pas tout, je crois qu’il fait du bon boulot, avec humour et amour, et, en premier lieu, il balaie quelques confusions, comme la différence entre l’identité de genre et les préférences sexuelles, ce dont mon idiot de personnage a l’occasion de parler à tout bout de champ. Je pense que le film montre combien le soutien de la famille est important pour quelqu’un qui fait une transition. C’est un point vraiment très important. Je crois que c’est le genre de film qui peut amener les gens à changer sans leur marteler quelque chose dans la tête. Ray est tellement transparent… il a déjà fait sa transition psychologiquement, et est tellement honnête. Et c’est juste une histoire où les adultes font de gros efforts pour s’adapter.
Pour prendre la défense de cette famille, je pense que tout parent veut que son enfant soit en sécurité, veut qu’il soit aimé, veut qu’il ait un futur, veut qu’il puisse gagner sa vie. Et tout ce qui sort des sentiers battus est menaçant pour un parent. C’est la peur des parents parce que « vraiment, tu quittes Brown pour être musicien ? » Même si c’est irrationnel parce que, soyons réalistes, une formation en sciences sociales et humaines ne vous garantit plus rien maintenant. Mais c’est ce que vous vous avez fait, c’est ce que tout le monde a fait, et maintenant votre gamin veut partir et vous vous êtes investi trois ans… Donc je pense que c’est moins grave maintenant si vous êtes gay comparé à il y a 15 ans, parce qu’une mère peut regarder le monde et se dire « Ok, ma fille est lesbienne, mais vous savez quoi ? Les homosexuels peuvent se marier maintenant et avoir des familles ». Parce que c’était ça le grief « Oh, tu ne te marieras jamais, tu n’auras jamais d’enfant ».
C’est devenu un peu plus facile. Je crois que toutes ces choses sont menaçantes pour les parents, mais ça part de bonnes intentions.
En 1983, vous avez été à l’affiche de Les Prédateurs et il y avait une histoire lesbienne dedans. Pouvez-vous comparer la situation en 1983 avec le fait de jouer une lesbienne en 2015 ?
J’ai été tellement choquée. Vous savez, ma mère a reçu des lettres de haine lorsque j’ai tourné dans ce film. Et je crois que le plus gros apprentissage pour moi c’est que le scénario avait été écrit de façon à ce que mon personnage soit bourré et ne sache pas ce qu’il se passait, et j’ai dit à Tony [Scott] « Vraiment ? Pour aller au lit avec Catherine Deneuve, il faut être soûl ? Enlevons ça tout de suite ». Parce que le plus intéressant dans le fait de coucher avec quelqu’un est la façon dont vous y arrivez, et ce qu’il se passe après. Au milieu, les gens savent plus ou moins ce qu’il se passe. Mais ce qui vous en dit le plus sur le personnage c’est ce premier contact. Nous avons donc réécrit cela.
J’ai toujours dit à mes gamins que – lorsque je leur expliquais ce que « gay » voulait dire – j’ai dit que ce qu’il y avait de plus dur à faire était de décider de se montrer vulnérable face à un autre être humain. C’est la chose la plus courageuse que vous puissiez jamais faire, d’être en contact avec une autre personne et d’être intime avec elle. Et vraiment, que ce soit un homme ou une femme n’importe pas. Et je pense que tout le monde tombe sur cette échelle de possibilités. Il y a des gens qui sont aux extrémités, vous savez, très très très gays, ou très très très hétérosexuels. Et au milieu ? Désolée, c’est très fluide. Ça dépend de qui vous rencontrez et des circonstances, et de votre capacité à vous détacher de votre conditionnement. Donc, je pense que pour ce personnage, c’est ce qu’il s’est passé.
Je me suis un peu battue dans [About Ray] au sujet de la réplique « Tu faisais semblant d’être hétéro ». Vous savez, je n’en ai jamais été satisfaite. Je crois qu’il y a un parallèle entre le courage de Ray et le manque de courage de Dolly au début, lorsqu’elle a choisi de se marier. Bien sûr, l’époque était différente, et je crois que l’on se ment tellement à nous-mêmes tout le temps. On se leurre parfois pour se rendre la vie plus facile. Que cela signifie rester avec quelqu’un ou quitter quelqu’un. Et ce que j’aime dans ce projet c’est que je crois que ça libère tout le monde. Parce que la fluidité de tout le monde, ce qui est super palpitant, veut dire que vos définitions d’une femme hétéro et d’un homme hétéro sont bien plus larges que ça.
J’espère pouvoir accepter mon côté masculin. Et voir de plus en plus ces possibilités, voir à quel point notre monde est palpitant, voir ces personnes-papillons qui passent de l’état de chenilles à papillons et qui deviennent d’autres personnes, tout ça est peut-être juste une sorte de signe pour nous faire comprendre que nous faisons partie d’une évolution où la conscience n’a pas de genre. Le reste n’est qu’un détail. Vraiment.