Circumstance : Interview de l’actrice Nikohl Boosheri

Circumstance : Interview de l'actrice Nikohl Boosheri

Interview réalisée par Grace Chu le 23 août 2011 pour le site AfterEllen.com

Circumstance (*), film racontant l’histoire de deux jeunes filles iraniennes de 16 ans qui tombent amoureuses a enflammé les festivals, remportant même le tant convoité Prix du Public à Sundance. AfterEllen.com s’est entretenu avec Nikohl Boosheri, l’actrice qui interprète Atafeh, l’une des amantes maudites, sur comment l’équipe du film a dû duper les autorités pour tourner Circumstance au Liban, et combien le film a été mondialement acclamé.
(*)Sorti en France sous le titre En Secret

Qu’est-ce qui vous a poussée à prendre part à ce film ? Qu’est-ce qui, dans le script, a fait échos en vous ?

Le script était tellement bon. Je dois vous avouer que quand je l’ai lu, je ne savais pas à quoi m’attendre. J’espère ne froisser aucun scénariste en disant ceci, mais il n’y a pas tant de bons scripts que cela sur le marché, surtout pour des actrices dont le nom n’est pas connu. Il était tellement bien écrit. Ça parlait de risques, de courage, c’était sans précédent, et je me suis reconnue dans le personnage. Je l’ai lu et j’ai su que je devais y être impliquée d’une manière ou d’une autre, même si je devais jouer un autre personnage. Je me suis sentie si chanceuse de pouvoir incarner Atafeh.

Comment était-ce de travailler avec (la scénariste et réalisatrice) Maryam Keshavarz ?

Je suppose que la question n’est pas tant de savoir comment c’était de travailler avec Maryam, mais comment c’était de tourner à Beyrouth un film sur lequel vous deviez garder le plus grand secret et mentir au besoin sur ce que vous faisiez. C’était très intense ! Mais Maryam nous a laissé de la latitude pour improviser – de nombreuses scènes ont été improvisées. Et nous avons même passé trois semaines à Beyrouth avant le tournage, à simplement discuter de nos idées et ça a vraiment été un travail de collaboration.

C’est formidable. Dites-m’en plus sur le tournage au Liban. Vous avez dit devoir garder le silence sur tout.

Le Liban est, du point de vue du Moyen Orient, plutôt libéral et cosmopolite. Cela donne l’impression d’être en Europe, ou presque, mais ça reste le Moyen Orient. Ça reste dangereux. Maryam et les producteurs veillaient toujours à ce que nous ne nous fassions pas prendre et que nous ne nous attirions pas d’ennuis, sachant ce que nous filmions, surtout que nous avions donné au gouvernement [libanais] une version raccourcie du script pour obtenir nos autorisations de tournage.

Elle n’a donné au gouvernement qu’une partie du script ?

Exactement. Elle a enlevé tout ce qui avait un rapport avec le sexe ou la religion.

Autant dire le film tout entier ! Mais alors, que restait-il ?

Donc c’était parfois effrayant ! [Rires]

De quoi l’équipe technique et les acteurs avaient-ils peur ? Que pensiez-vous qu’il puisse se passer ?

Au début, je n’avais pas réalisé la gravité de la situation. [Sarah Kazemy] et moi nous nous prenions en photo, nous documentions notre voyage, car c’était la première fois que je quittais l’Amérique du Nord. On a publié ces photos sur nos sites web, on a été convoquées dans le bureau des producteurs et on s’est fait sérieusement remettre dans le droit chemin. Ils nous ont dit que personne ne devait savoir ce qu’on filmait, où on était, etc. Je ne crois pas avoir compris combien ça pouvait devenir dangereux avant que l’armée ne débarque sur le plateau. Ça a vraiment été effrayant.

Savez-vous pourquoi l’armée est venue sur le tournage ?

Eh bien, la première fois, notre lieu de tournage se situait juste en face du bureau des autorités et de leur quartier général, donc on a eu besoin d’une autorisation pour filmer là. On leur a parlé, et ils nous ont dit qu’on n’avait pas le droit de filmer le bâtiment sous un certain angle, parce que sinon, on pouvait les voir. Il était aussi interdit de prendre des photos de ce côté-ci du bâtiment. À un certain moment, ils ont eu l’impression qu’on les espionnait et ils sont venus. La moitié de l’équipe ignorait ce qui se passait.

Pendant la scène où le frère d’Atafeh lui offre un cadeau d’anniversaire, j’ignorais que l’armée était sur le plateau, et il est entré en scène, en parlant anglais, ce qui était bizarre, car comme vous le savez, tout le film a été tourné en Persan, il s’est approché et m’a dit : « Je voulais juste te souhaiter une joyeuse fête de la marmotte en retard. » Donc l’armée nous a regardés pendant 15 minutes, et la réalisatrice nous a demandé de ne parler qu’anglais – pas Persan – et d’improviser. Donc on a tourné pendant 15 minutes en anglais, et l’un des militaires, alors qu’ils partaient, s’est retourné et nous a dit : « On dirait que ça va être une bonne comédie ! »

Je trouve que cette scène devrait être incluse dans les bonus du DVD !

[Rires] Et ce n’était qu’un exemple parmi d’autres – l’incident le moins grave. Une autre fois, on tournait l’une des scènes les plus intimes du film, dans la salle à manger d’un hôtel. On avait transformé l’une des tables en lit improvisé, et le directeur de l’établissement est arrivé et a appelé les flics. La police est venue, pensant qu’on tournait un porno. Ils sont restés là à nous regarder filmer pendant trois quarts d’heure et à nouveau on a dû improviser, toujours en anglais. Je me demande ce qu’est devenu ce film. Je pense qu’il serait très intéressant à regarder.

Vous avez donc grandi à Vancouver, qui est une ville très libérale dans un pays très libéral, bien plus libéral que les États-Unis mêmes, à certains égards. Comment vous êtes-vous préparée à jouer ce rôle ? Comment vous êtes vous initiée, par exemple, à la culture underground de la jeunesse de Téhéran ? Le gouvernement iranien est si répressif que je suis certaine qu’aucune des fêtes underground que l’on voit dans le film ne serait mentionnée sur internet.  

Eh bien, ça n’était pas facile. Vous avez raison. Vous soulevez un point crucial. J’ai été choisie par casting onze mois avant qu’on commence à tourner. On avait donc moins d’un an pour faire nos recherches. Je n’étais jamais allée en Iran, et je ne pouvais pas y aller. J’ai dû me fier à des témoignages provenant de ma famille et mes amis ou d’amis d’amis et de familles d’amis. Ma coach vocale, qui m’a coachée pour mon dialecte, connaissait très bien la vie sous-terraine [à Téhéran]. J’ai trouvé des articles, et un super reportage de la BBC où des gamins anonymes qui refusaient de donner leurs noms jouaient les guides pour les journalistes. Sur internet, j’ai essayé de faire des recherches inventives pour trouver des photos, mais quand j’essayais de cliquer sur ces photos, les liens [vers les photos d’origine] ne fonctionnaient plus, donc le gouvernement est très actif dans la censure du peuple. Les photos sont supprimées.

Mais de nos jours, avec Facebook, j’ai des amis qui vont en Iran, participent à ces fêtes et postent leurs photos sur Facebook, donc ces images deviennent plus accessibles.

Quel genre de réactions positives avez-vous reçu pour votre interprétation d’Atafeh, pas forcément les critiques de cinéma, mais disons plutôt, venant des femmes – ou des gens en général – qui ne peuvent pas non plus s’exprimer aussi librement qu’ils le voudraient ?

Lors d’une de nos dernières projections, une femme orientale est venue me voir dans les toilettes. On voyait qu’elle avait les yeux rougis et était très émue. Elle m’a dit : « J’ai voté pour votre film, mais je pense que ça va à l’encontre de tout ce qu’on m’a enseigné, de tout ce en quoi je crois. Je me sens déchirée. J’ignore si j’ai fait ce qu’il fallait, mais je ne pouvais pas faire autrement. Une partie de moi a le sentiment que les gens devraient voir ce film. » Des gens de tous horizons à travers le monde ont trouvé quelque chose qui leur parlait dans ce film. Vous vous rendez dans différentes villes et des personnes viennent à vous et partagent leurs histoires – je pense que c’est l’une des choses que j’apprécie le plus dans cette expérience.

À l’inverse, avez-vous reçu des réactions négatives, de personnes qui n’auraient pas pu passer outre le contenu ?

Pas encore. Je pense que les gens qui voient le film et ne l’aiment pas s’en vont tout simplement. Je crois que dans les 24 heures qui ont suivi notre première projection, un site web iranien a qualifié le film d’anti-islamique, mais en face à face, venant d’individus ayant vu le film, non, je n’en ai pas eu.

Pour votre première expérience d’actrice dans un long-métrage, quelle a été votre réaction en découvrant que le film avait gagné le Prix du Public à Sundance, ce qui paraîtrait énorme pour quiconque ?

Oh mon Dieu, oui ! C’était de la folie. Jamais je ne me serais attendue à ça, surtout lors d’un festival, vous vous attendez à ce que quelqu’un vous téléphone pour vous prévenir de rester pour récupérer votre récompense. [L’équipe] n’avait pas la moindre idée que nous allions gagner. Nous sommes allés à la cérémonie – pour finaliser notre expérience. Je me souviens que Sarah avait sa caméra et elle filmait les récompenses en direct, et quand notre tour est arrivé, elle a éteint la caméra ! Ils ont annoncé : « et le Prix du Public revient à… » et elle a coupé la caméra juste à ce moment-là. On a crié ! C’était incroyable. On s’est senti tellement honorés. Bien sûr, l’autre grande récompense est le Prix du Jury, mais avec le Prix du Public, vous savez que les gens ont apprécié le film. Les gens aiment le film, même s’il n’est pas en anglais et parle d’Iraniennes ! [Rires]

Traduction Magali Pumpkin

Interview Originale sur le Site Afterellen.com

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