Interview de l’actrice et comique américaine Lily Tomlin

Lily Tomlin

Interview réalisée le 13 Février 2009 par Eric Deggans pour le site Tampabay.com

Lily Tomlin nous parle de Richard Pryor, du fait de refuser $500,000 et de se produire sur scène à 69 ans.

Vous ne croiriez jamais, à voir sa façon de parler et sa bonne volonté à répondre à toutes les questions, que Lily Tomlin a déjà participé à un affrontement –une vidéo immortalisée sur Youtube et largement visionnée-, issue du tournage en 2003 du film lunatique I Heart Huckabees [Titre français : J’adore Huckabees] dans laquelle Tomlin fait trembler la caméra et donne au réalisateur David O. Russell quelques noms d’oiseaux très bien sentis.

Cette attitude semble à des années lumières aujourd’hui ; à la place, elle offre une sagesse désabusée, qui ne peut être que le fruit de 40 années passées dans la fosse aux serpents du showbiz.

Pendant une heure d’interview, précédant son show de la St Valentin au Performing Arts Center dans la Baie de Tampa, Tomlin disserte sur son amitié avec Richard Pryor, son esprit juvénile qui l’a poussée à refuser une proposition de $500,000 au début des années 70 et la raison pour laquelle elle est toujours sur scène à 69 ans.

Contrairement à de nombreux humoristes, vos représentations reposent presque entièrement sur des personnages. Donc qui allons-nous voir quand vous viendrez ?

Je fais un peu de Trudy, la SDF. Ernestine (la standardiste) travaille dorénavant pour une grande compagnie d’assurance – vous savez, à refuser les services de santé à tout le monde. (Rires) Je vais faire 10 ou 12 personnages, parler au public et parler de Tampa et parler du fait que nous avons un nouveau président et tout le reste.

Si vous êtes Chris Rock et que vous voulez parler de l’élection d’Obama, vous n’avez qu’à faire un peu de rab, mais dans votre cas, il faudra peut-être créer un nouveau personnage, non ?

(Rires) En quelque sorte. Ernestine est un personnage particulièrement pratique dans ce domaine. Avant que la guerre ne débute, elle avait toujours une sorte de reality show en direct appelé “Ernestine vous pose la question et vous avez intérêt à avoir une réponse”. Donc au début, elle prenait Bush et Saddam et Kim Jong Il, ou qui que ce soit qui était aux infos, elle les appelait au téléphone et essayait de, vous voyez, d’être satirique à propos d’aller à la guerre ou de savoir pourquoi ils se sautaient à la gorge.

Que répondez-vous aux personnes qui vous demandent pourquoi vous continuez à monter sur scène ?

Je pense que c’est parce que je ne réalise pas depuis combien de temps je le fais. Et Jane, ma compagne, dit toujours : “Je pense que tu aimes faire des spectacles en direct parce que ce sont les deux seules heures de la journée ou tu vis dans le présent.” Donc je ne suis jamais restée sans le faire. Je joue la comédie depuis que je suis gamine, sur les pas de portes, à essayer de faire sortir les gens de leurs appartements pour venir me voir. Quelquefois, je me dis que j’ai été la toute première artiste de scène.

Steve Martin a définitivement mis un point final à sa carrière sur scène après un certain temps Mais certains artistes ne le font jamais. Qu’est-ce qui les différencie ?

Eh bien, Steve s’offre le luxe de faire autant de films qu’il veut, et en réalité, je n’ai jamais eu ce luxe. (Tomlin a fait équipe avec Martin pour un petit rôle dans son film La panthère rose 2) Rares sont les femmes à avoir eu cette espèce de… Prenez les jeunes de SNL [NDLT : Saturday Night Live, émission diffusée tous les samedis soirs sur la chaine NBC en direct et qui se présente sous la forme de petits sketches à la suite.] Les garçons ont eu beaucoup d’opportunités pour tourner dans des films ; il y a cette vieille règle : vous devez toujours avoir 3 films sur le feu -l’un vient juste de sortir, un autre est en préparation et le troisième est en cours de tournage. Et donc si vous faites un navet, vous avez déjà autre chose dans la manche. Gilda (Radner) n’a jamais vraiment eu de carrière cinématographique et bien tristement, Madeline n’a jamais… Madeline n’était pas dans SNL mais Madeline Kahn n’a jamais vraiment eu de carrière au cinéma. Quel que soit ce que Steve est capable de faire ou de vendre, je n’ai jamais eu cette capacité.

Les humoristes comme George Carlin et Richard Pryor, on dirait qu’ils ont eu une période où ils étaient plus marketing et qu’ensuite ils ont trouvé ce qu’ils souhaitaient vraiment dire. Alors que les comiques d’aujourd’hui, lorsque vous les voyez sur Comedy Central, vous arrivez plus ou moins à saisir quel est leur jeu.

Sincèrement, il n’y a pas deux mondes distincts aujourd’hui. C’était le cas à l’époque. Je veux dire, les choses étaient… Plus rien n’est tabou maintenant. George faisant le présentateur météo hippy et compagnie… Il a fait ça parce qu’il ne pouvait pas se permettre autre chose à Vegas. On l’aurait mis dehors. Et il n’y avait pas tant d’endroits que ça où travailler.

Il y a quelques années, avant que Richard ne meure, je lui ai remis une récompense… Il était vraiment très très diminué physiquement à l’époque. Je suis restée assise derrière lui deux heures durant, à regarder les vidéos du festival, et je savais qu’il était pratiquement en train de sangloter. C’était une véritable torture pour lui, parce que cet homme à l’écran était tellement merveilleux et tellement… incroyablement magnétique et charismatique, alors que lui était (à ce moment-là), tellement isolé dans son propre corps.

Je dois vous le demander : est-ce que AT&T vous a réellement offert un demi-million de dollars pour faire Ernestine ?

Ouais, c’était en 1970, il me semble. Mais j’étais… Mes sentiments étaient… Je me suis sentie insultée. J’ai littéralement fondu en larmes.

Qu’est-ce que votre agent a cru –que ça allait être une super nouvelle à vous annoncer et… ?

(Rires) Oh, ouais. Mon manager, cette fille anglaise, vous voyez, moi je me faisais dans les $750 par semaine dans Laugh-In et elle se faisait, à peu près, 10% de ça. (Rires)

Oui, elle avait dans ses yeux la vision de ces 10% d’un million de dollars…

Elle ne pouvait plus respirer. Je veux dire, elle hyper-ventilait tellement de devoir me l’annoncer, tellement excitée qu’elle était, parce que ça, ça n’était que pour la Nouvelle Angleterre. Ils pensaient que si ça marchait, alors ils pourraient l’exporter à travers le pays parce qu’Ernestine était tellement prometteuse. Oh, c’était un monstre. Vous voyez, il a fallu que j’arrête carrément de la faire, que j’arrête complètement de l’incarner, pour que je puisse la remettre en perspective parce que si j’étais allée dans un show de variétés à l’ancienne à l’époque, comme Glen Campbell ou Flip Wilson ou –il y en avait tellement- et qu’on avait fait un sketch, sur un supermarché bio par exemple, ils l’auraient écrit pour qu’Ernestine le fasse parce qu’elle était tellement drôle. Vous voyez, elle pouvait rendre n’importe quoi drôle.

Avec le recul, souhaiteriez-vous avoir agi différemment ?

Dans les années 60, vous savez, on avait une vision différente du monde, aussi naïve qu’elle ait pu être… Vous étiez seulement supposé réussir en faisant du bon travail. Et gagner de l’argent… Si vous remportiez de l’argent, ou que vous deveniez un énorme succès commercial, vous aviez intérêt à avoir fait quelque chose de qualité, contrairement à aujourd’hui. (Rires)

Mervin LeRoy, qui a produit le Magicien d’Oz m’a contactée et voulait faire, un genre de film à la Walter Mitty avec Ernestine cette année-là. Et bien, je n’ai pas voulu le faire, stupide comme je suis. Et je ne voulais pas le faire parce que je ne voulais pas exploiter Ernestine. (Rires) Je voulais être fidèle à l’idée que je m’étais faite d’un(e) artiste, quelle qu’elle ait pu être. Eh bien, j’aimerais que Mervyn LeRoy soit encore vivant… (Rires)

Quoique, sachant la personne que vous étiez à l’époque… Auriez-vous été à l’aise en faisant ça ? Auriez-vous pu être drôle en faisant ça ?

Non, je n’aurais pas pu le faire. Non, c’est pour ça que je ne l’ai pas fait.

Donc vous avez pris la meilleure décision pour vous.

Mais si ça avait été juste 10 ans plus tard, je l’aurais probablement fait. (Rires)

Donc maintenant, vous êtes dans Desperate Housewives.

Eh bien, j’ai joué dans 4 épisodes et je reviendrai sûrement conclure en fin de saison. Ils nous ont programmées pendant les semaines creuses, vous voyez ?

Comment cela est-il arrivé ?

(Une autre héroïne de Desperate Housewives) Kathryn Joosten (Mme McCluskey) est une amie. Elle avait ce rôle d’assistante du Président dans À la Maison Blanche et je me suis dit : “Comment diable a-t-elle eu ce rôle ?” (Rires) Et je voulais être dans ce show. J’ai intégré la série en tant que remplaçante de Kathryn lorsque son personnage a été tué dans un accident de voiture et nous sommes restées amies. Et donc nous assistions à un meeting et elle m’a dit : “Ma sœur va faire son entrée dans la série, pourquoi tu ne viendrais pas la jouer ?” On avait une grande complicité, on avait beaucoup de répondant en jouant ces deux sœurs. Donc maintenant, nous songeons à développer une série.

Vous parlez beaucoup de votre compagne Jane Wagner, et je pense que nous sommes à un moment intéressant s’agissant des gay et de l’Amérique ; d’un côté, les artistes peuvent être plus out qu’ils ne l’ont jamais été, mais de l’autre, de nombreux États viennent d’adopter une loi anti-mariage. Est-ce que ça donne l’impression d’un environnement contradictoire ? 

Ma famille est du Sud fondamentaliste. J’ai grandi dans cette paroisse. Ce n’est pas inhabituel pour moi, vous comprenez ? Certains de mes amis ne se contrôlaient plus à l’idée de voir Rick Warren s’exprimer à l’inauguration et j’ai pensé : “C’est comme si mon oncle prononçait la sentence.” (Rires) Il faut que les gens deviennent plus tolérants, mais vous ne changerez pas leur façon de penser, celle des personnes qui croient fortement en la Bible et en cette interprétation. Certaines personnes vous aime et d’autres pas. (Rires)

Quand vous êtes-vous sentie pour ainsi dire à l’aise en vivant publiquement votre orientation sexuelle ?

Eh bien, vous savez, c’est drôle parce que je suis dans le coin depuis tellement longtemps que ce n’était certainement pas un secret dans l’industrie du showbiz. Jane et moi étions totalement out et on a toujours fait des trucs ensemble, on produisait et travaillait toujours ensemble. J’ai même eu un jour une de mes scénaristes qui m’a dit : “Tu sais, je pense que Jane et toi vous devriez venir au travail chacune avec sa voiture. (Rires) Ce à quoi j’ai répondu : “Et pourquoi ferions-nous une telle chose ? –en plus du fait qu’on n’a pas deux voitures- ?” Elle essayait certainement de nous protéger mais surtout, sa propre politique, ses propres préjugés avaient raison d’elle.

Traduction Magali Pumpkin

Interview Originale sur le site Tampabay.com

Lily Tomlin

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