Naissance des Pieuvres : Interview de la Réalisatrice Céline Sciamma

Naissance des Pieuvres : Interview de la Réalisatrice Céline Sciamma

Interview accordée à Jean-Nicolas Berniche pour Evene.fr en Mai 2007

Naissance des Pieuvres traite d’adolescence et de sexualité d’un point de vue adulte. Céline Sciamma, réalisatrice… naissante, a cette originalité qui donne envie de se pencher sur son premier film. Rencontre.

Avant d’aller voir Naissance des Pieuvres, autant dire qu’on était dans le flou, surtout qu’on venait de recevoir le dossier de presse de Zoo, docu sur la zoophilie présenté à la Semaine de la critique. Malgré notre peur de voir des poulpes en pleins ébats, assister à la projection officielle de Naissance des Pieuvres a été une bonne surprise, partagée, au vu du tonnerre d’applaudissements final, par tous les autres journalistes présents. Du coup, l’envie de comprendre pourquoi Céline Sciamma est presque aussi fascinée que son personnage par la natation synchronisée s’est rapidement fait sentir. Et comme le meilleur moyen de savoir, c’était de la rencontrer, on a organisé une interview au bord de la plage. Sans pieuvres à l’horizon.

Pourquoi avoir choisi d’écrire sur l’adolescence et la découverte de la sexualité ?

Parce qu’on écrit plus facilement sur ce qu’on connaît, et parce que j’avais envie d’écrire sur la naissance du désir, il me semblait que c’était l’âge propice pour ça.

Il y a une part autobiographique ?

L’anecdote de départ est autobiographique. J’ai assisté à un gala de natation synchronisée quand j’avais 14 ans. J’ai développé une espèce de sentiment étrange, de fascination, pas autant que dans le film, mais ça m’a marquée et c’est emblématique de ce qui se passe à cet âge-là. Du coup j’ai convoqué ce sentiment pour parler de tout ça. Et puis, la natation synchronisée est un univers qui m’intéresse, déjà parce qu’il a un folklore intéressant, et parce que c’est exclusivement féminin, il y a une notion d’effort, d’athlétisme, et en même temps d’apparat, de féminité outrancière dans les accessoires. On dirait qu’il s’agit d’injonctions faites aux filles, en surface elles doivent avoir le sourire, être rigoureuses et millimétrées, et en dessous, c’est musculaire. Le film est un peu comme ça, entre la surface et ce qu’il y a en dessous.

Que ce soit à travers le regard de Marie ou le jeu des caméras, vous faites beaucoup de place à l’observation. Pourtant, vous avez déclaré que Naissance des Pieuvres est un film d’action ?

Oui, pour moi c’est un film d’action, parce qu’on progresse exactement au même moment que les personnages, on n’a pas un train d’avance sur eux, on prend conscience de ce qui se passe en même temps qu’eux. Tout est incarné dans les images : être amoureux c’est manger une poubelle, le rapport de force entre deux personnes dans les pulsions sexuelles est représenté dans la scène du dépucelage. En termes de discours, le film est assez économe, tout se trouve dans les scènes. Alors oui, j’aime à dire que c’est un film d’action, même si personne ne le dira à part moi !

Vous filmez de manière très crue : c’était pour ne pas tomber dans les clichés romantiques et sentimentaux ?

Le film traite un moment très court de la vie des personnages ; il n’y a pas de temporalité précise, mais c’est le moment où le désir naît, où il devient conscient. Je n’avais pas envie de faire un film nostalgique, d’avoir un regard rétrospectif sur ces moments de découvertes, et du coup de faire un film sur les premières fois. J’avais envie de traiter ces moments de manière brute, dans l’émotion plutôt que dans la gestion des sentiments. Les films sur les premières fois convoquent souvent les sentiments. Pour moi il y a de l’amour dans le film, mais il cache son nom, et c’est ce qui m’intéressait.

Le fait de ne pas faire apparaître d’adultes, c’est une manière de permettre à n’importe qui de s’identifier aux personnages ?

Absolument. Il y a une évocation élémentaire des adultes, il ne s’agissait pas du tout de dire qu’ils sont démissionnaires – ni eux ni les garçons, puisqu’ils sont aussi absents du film -, il s’agissait de se concentrer sur ces personnages et de favoriser le processus d’identification, quel que soit l’âge du spectateur. L’idée était aussi d’enlever la loi incarnée par les parents, leur autorité et les conflits qui s’y rapportent et se concentrer sur les conflits de cet âge-là, qui sont plus importants. Ca ne servait à rien de montrer les parents juste pour dire qu’ils existaient. On le comprend très bien en hors-champ.

A défaut d’être un film d’ado, Naissance des Pieuvres est en tout cas un film féminin.

Oui, ce n’est pas parce que ça a été réalisé par une femme que c’est un film féminin, mais parce que j’ai voulu exercer un regard féminin, un point de vue riche dans ce qu’il a de typiquement féminin. Le cinéma c’est le lieu du fantasme entre deux femmes. Quand c’est bien fait, c’est magnifique.

Est-ce difficile de diriger des adolescentes ?

C’est du travail, c’est sûr, mais j’avais envie d’être professionnelle et de prendre des filles qui avaient l’âge du rôle. On a toujours la ressource de prendre des filles plus vieilles mais qui font jeunes. Moi je voulais que le film parle d’elles, qu’elles soient engagées et que ce soit leur cause, non pas pour les manipuler, mais pour qu’elles soient dans la familiarité avec tout ça. Et c’est passionnant de travailler comme ça. On n’est pas du tout dans la technicité mais dans la patience, le relationnel, et surtout, la communication, parce qu’il fallait qu’elles soient bien conscientes de ce qu’elles allaient faire sur le tournage. Elles ont été très investies et engagées dans le film. Et ça a été très pro. L’expérience a été épanouissante, elle m’a beaucoup apporté.

Une sélection à Cannes pour votre premier film, c’est le bonheur ?

Oui, c’est le bonheur. C’est inespéré. Je ne viens de nulle part, mes comédiennes ne sont pas connues. C’est le film qui est à Cannes, pas moi : c’est gratifiant pour notre travail. Et puis c’est une belle histoire, car le projet s’est fait très vite : il y a un mois je fabriquais encore le film, et aujourd’hui on est là… C’est très satisfaisant d’avoir ce point d’orgue, qui offre en plus la possibilité de parler plus facilement du film.

Interview Originale sur Evene.fr

A propos de Isabelle B. Price

Créatrice du site et Rédactrice en Chef. Née en Auvergne, elle s’est rapidement passionnée pour les séries télévisées. Dès l’enfance elle considérait déjà Bioman comme une série culte. Elle a ensuite regardé avec assiduité Alerte à Malibu et Les Dessous de Palm Beach avant l’arrivée de séries inoubliables telles X-Files, Urgences et Buffy contre les Vampires.

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