Prostituées = Lesbiennes ?

Autre exemple tiré de la littérature médicale et scientifique du XIXe siècle : le docteur Louis Martineau fait paraître en 1886 un traité sur « les déformations vulvaires et anales produites par la masturbation, le saphisme, la défloration et la sodomie ». Un chapitre est consacré aux « déformations saphiques ». Il s’appuie sur les travaux d’un disciple, le docteur Duchastel, qui a étudié les lettres de prostituées envers d’autres en prison. Pour cet ouvrage, les maisons closes servent de repaires aux « ménages de femmes » et ces relations sont encouragées par les patrons et les matrones, car au lieu de quitter la maison close les jours de sortie et de repos, les tribades restent sur place alors que les autres filles vont dépenser ailleurs, avec leur béguin, l’argent accumulé dans la semaine. Le traité ajoute que le saphisme est également encouragé pour attirer une nouvelle clientèle : celle des femmes. Selon le docteur Martineau, cela ne concerne que peu de femmes mariées, mais plutôt des femmes entretenues ou des demi-mondaines qui appartiennent déjà au monde de la prostitution par un biais ou un autre. Selon Martineau, les clientes viennent de l’étranger : le saphisme n’est pas un vice français. Il vient d’Angleterre, d’Allemagne, de Russie. Pourtant, le docteur ne fait que signaler ensuite deux cas qu’il a eu à traiter : une jeune femme de 17 ans atteinte d’un chancre de la vulve et deux jeunes femmes de 19 et 20 ans atteintes de la syphilis.

Dans le premier cas, ce qui attire son attention est la taille du clitoris de la patiente : il parle d’un « gland clitoridien » de près d’un pouce et qui pointe en avant comme un pénis en érection. En interrogeant la jeune femme, il découvre une orpheline violée dans sa jeunesse qui a rencontré une autre jeune femme de 19 ans avec qui elle découvre la passion et avec qui elle aurait jusqu’à 5 rapports par jour. Dans le deuxième cas, tout commence par une observation similaire sur la configuration des clitoris. S’y ajoute l’entretien avec les patientes qui ne peuvent se quitter et qui, selon le docteur, se masturberaient 6 à 7 fois par 24 heures et seraient d’une jalousie maladive.

Ces exemples documentent ce qu’il appelle des relations continues entre femmes. Mais il existe un deuxième cas de figure : les relations intermittentes. Elles seraient le fait de femmes moins éduquées, plus rustres, plus brutales qui ont besoin d’épancher une envie sexuelle pressante. Elles se recrutent chez les femmes mariées ou les concubines.

Enfin, dernier point, que j’avais évoqué sur le forum dans le topic consacré aux « lesbiennes du passé ». Il existe d’autres sources que les traités des médecins ou des hygiénistes. Les registres de police aussi consignent les noms, les lieux, les dates et surtout la sexualité des demi-mondaines qui sont souvent dénoncées par leurs rivales des maisons closes, par les pères de famille qui voient leurs fils s’endetter ou des concierges indisposés. Ces notices ont été éditées en 2006 et présentées par l’historienne Gabrielle Houbre dans Le Livre des courtisanes qui est une mine incroyable d’informations sur bien des hauts dignitaires de la société française de la fin du Second Empire et du début de la Troisième République. Or, il se trouve qu’un certain nombre de ces notices mentionnent soit des “pratiques tribades” (c’est-à-dire lesbiennes) pour émoustiller les clients, soit des relations durables entre femmes.

Prostituées lesbiennes

Parmi les demi-mondaines de luxe connues de la police pour leur « double jeu », citons :

– Marie-Henriette Lasseny, née à Paris en 1845, est une “cocotte” très riche qui grâce à ses riches amants a pu s’acheter un hôtel particulier près du Bois de Boulogne. Mais ses affaires sentimentales sont plutôt avec des femmes : en 1868, elle entretient une longue liaison avec Léonide Leblanc, une actrice bien en vue dont le registre policier affirme “elle avait la passion des femmes”. En 1872, la préfecture de police note qu’elle entretient et subvient entièrement aux besoins d’Armandine Bissier qui est alors en train de suivre un traitement pour un cancer au sein.

– Antoinette Berger, dite “La Nitou”, originaire de la région d’Aurillac, s’installe dès 1872 avec sa maîtresse : une certaine Gabrielle, qui s’habille en homme pendant la période du Carnaval. Elles sont inséparables et fréquentent le “milieu” lesbien de l’époque à Paris.

– La comédienne Blanche d’Antigny, maîtresse des plus grandes fortunes de France, multiplie les conquêtes féminines. La fin de sa vie est moins glorieuse : elle la termine à 34 ans chez une amie auprès de qui elle repose encore aujourd’hui au cimetière du Père-Lachaise. Sur le cliché suivant, on la découvre âgée de 18 ans, incarnant sur la scène une Marie-Madeleine pénitente.

Prostituées lesbiennes

Dans les fictions, françaises comme américaines, le personnage de la tenancière de bordels aux mœurs « particulières » est assez fréquent : c’est le cas dans la série récente Maison close passée sur Canal + dans laquelle Hortense est folle amoureuse de sa meilleure prostituée, et dans la série Deadwood dont nous avons déjà parlé sur le site et dans laquelle le personnage de Joannie est un vrai cœur d’artichaut. Dans le film From Hell qui présente le milieu de la prostitution dans le Londres mal famé du East-End, le spectateur découvre plusieurs couples de femmes prostituées.

Dans la littérature, les prostituées lesbiennes sont également nombreuses : pensons à la Nana de Zola.

Une image qui persiste ? Dans le film Nathalie, il existe une relation trouble entre une call-girl et une femme mariée et jalouse qui l’engage pour tester la fidélité de son mari. Cette relation tacite est rendue plus dérangeante et explicite dans le remake américain Chloe.

Virginie Despentes et les lesbiennes pro-sexe mélangent souvent d’une manière inédite et perturbatrice l’image de la lesbienne et de la prostituée ou de la pornographe. Il semble donc que l’association ait encore de beaux jours devant elle.

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