Des Filles Entre Elles : Interview de Jeanne Broyon la réalisatrice du documentaire

Des Filles Entre Elles : Interview de Jeanne Broyon la réalisatrice du documentaire

Interview accordée à l'équipe Univers-L en Juin 2010 pour le site Univers-L.com

Pouvez-vous présenter votre documentaire en quelques mots pour celles qui ne l’ont pas vu ?

C’est un film d’une heure qui tente de montrer ce qu’est être lesbienne en France aujourd’hui. De manière drôle, légère, mais avec de vraies questions de fond.

Pouvez-vous nous parler un peu de vous ? De votre parcours, votre formation ?

J’ai 32 ans, je vis à Paris. J’ai un petit garçon de 3 ans avec mon ex-compagne. Je suis journaliste. J’ai travaillé pour Canal Plus, M6, Pink TV et France 4. Avant ça j’ai fait des études de linguistique, j’ai passé un diplôme de journalisme à l’IFP (institut français de presse).

D’où est partie l’idée ? A-t-il été difficile ensuite d’en faire un documentaire ?

L’idée de faire un documentaire sur les lesbiennes est une idée du patron de France 4. Il cherchait une fille qui soit impliquée, et à l’image. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré la co-réalisatrice et productrice du film, Anne Gintzburger, qui m’a proposé d’y participer.

Votre film commence comme une sorte de vlog (un blog vidéo filmé) : le style est direct et semble sans filtre et sans filet. Cela ressemble à un journal intime, mais on sent à la fois une vraie distance humoristique et beaucoup d’émotion. Pourquoi avoir choisi d’introduire ainsi le documentaire ?

Avec l’équipe on cherchait une façon de m’introduire dans le film, en tant que journaliste et en tant que lesbienne. On a cherché un bon moment en se demandant quelle place je devais avoir. Finalement on a opté pour cette petite caméra, introspective, et qui permet de me “démarquer” des autres témoins. C’est aussi une façon d’inviter le spectateur à rentrer dans l’histoire.

Sur un air de country (votre sonnerie de téléphone), vous partez à la chasse aux lesbiennes : pensez-vous vraiment que la lesbienne s’attrape au lasso ? Plus sérieusement, pensez-vous que les lesbiennes soient moins visibles que les gays ? N’est-ce pas un préjugé ?

Je pense sérieusement que les lesbiennes se cachent davantage que les gays. Il suffit de regarder la télé ou de lire la presse: vous connaissez beaucoup de lesbiennes qui présentent des shows, qui chantent, qui font de la politique et qui sont outées ? Les filles se cachent plus que les hommes. C’est encore tabou. Ou pas assez pris au sérieux. Quant à la rue, dehors, là aussi on ne les voit pas beaucoup, et c’est compréhensible: le regard des autres encore compliqué, et être lesbienne, c’est être femme ET homosexuelle, deux bonnes raisons pour être victime de discrimination.
Quant au lasso j’aurais peur de tout faire tomber sur le chemin, ou d’accrocher un vélo qui passe…

Les témoignages de lesbiennes ont-ils été difficiles à trouver ? À quelles difficultés vous êtes-vous heurtée pour convaincre des participantes de se laisser filmer et de se livrer si intimement ?

Ça n’a pas été facile de trouver et de convaincre. D’abord il y avait le problème du média, la télé, les gens s’en méfient. Ensuite se montrer en tant que lesbienne dans un film ça n’est pas facile. Surtout pour évoquer des problématiques qui sont personnelles, liées à la vie intime. Les plus difficiles à trouver : les victimes de lesbophobie. Qui sont encore en état de choc. Viennent ensuite les mamans, qui protègent leurs enfants. Toutes ont été très courageuses en participant au film.

Les justifications pour tourner ce documentaire sont nombreuses : pensez-vous qu’il faille trouver une raison de s’intéresser exclusivement aux lesbiennes pour être entendu ? Ou est-ce parce que vous vouliez vous défendre de questions sur les autres communautés dites « sexuelles » ?

Euh… Je comprends pas la question là… Tout ce que je sais, c’est qu’il est trop rare de ne parler que des filles, et que de temps en temps, ça fait du bien aussi. Les problématiques ne sont pas forcément les mêmes qu’avec les gays, les bi ou les trans. (qui sont tous nuls en lasso).

Votre documentaire s’appelle Des Filles Entre Elles. Vous employez beaucoup le terme de « lesbiennes » dans le film. Pourquoi ne pas l’avoir mis dans le titre ?

Ahah ! Bonne question ! C’est un peu comme si je vous montrais du doigt la montagne la plus belle et la plus sacrée, et tout le monde regarde mon doigt… Ce serait dommage, non ?

Grâce au reportage, on peut suivre l’évolution de plusieurs personnes ; sur combien de mois avez-vous filmé ?

Nous avons filmé sur quelques semaines seulement mais j’étais en contact avec les personnages sur plusieurs mois.

Un tournage qui s’étale sur une aussi longue période, n’est-ce pas difficile à appréhender ? Comment avez-vous fait pour rester immergée dans le sujet et ne pas perdre le fil ?

Mais j’ai perdu le fil ! Non sérieusement, ce n’était pas si long, et je restais lesbienne chaque jour, et ça, ça m’a vraiment aidée ; Et surtout il y a toute l’équipe, qui elle aussi devenait lesbienne, et qui me soutenait ! J’ai fait beaucoup de sport aussi (du lasso).

Votre documentaire montre des lesbiennes entre 21 et 35 ans : est-ce parce que vous ne vous intéressez qu’à la nouvelle image des lesbiennes ?

Non je m’intéresse aux autres, mais les thèmes autour de l’homoparentalité et du coming out concernent plus souvent les filles de 20/30 ans… Et puis j’ai l’impression qu’il y a du nouveau, une génération de lesbiennes militantes, chouettes qu’il faut mettre en avant.

Le film est co-signé par Anne Gintzburger, or elle n’apparaît pas du tout à l’écran. Pourquoi ce choix opposé au vôtre d’un tel effacement ?

Sur France 4, les documentaires sont “incarnés” par les journalistes. Le défi était d’incarner un film sur les lesbiennes avec une journaliste lesbienne. Anne n’étant pas lesbienne c’est tombé sur moi. Et puis elle avait déjà beaucoup de boulot, elle produit, elle écrit, elle coach… (c’est la boss quoi). Plus sérieusement c’étais mon premier documentaire, et jamais je n’aurais pu le réaliser tel quel sans son expérience, sa patience et son soutien quotidien !

Vous avez choisi quelques étapes pour un petit voyage au pays de la lesbianitude avec sa géographie (surtout urbaine – Paris, Compiègne et Nantes), ses codes (butch et fem, gaydar), ses grands événements (le coming-out, le kiss dans la rue et la maternité) : est-ce selon vous des curiosités exotiques pour les hétéros qu’il faut éduquer à la sub-culture lesbienne ou bien les signes d’une discrimination que ce documentaire veut œuvrer à combattre ?

L’idée était de faire un “état des lieux” de la vie des lesbiennes en France aujourd’hui. Impossible d’être exhaustif, donc il a fallu trancher. Le film parle d’homoparentalité, de coming out et de discriminations. Je ne pense pas que ce soit exotique, en revanche je pense qu’il existe pas mal de gens qui connaissent mal la vie des lesbiennes, et qui du coup en ont peut-être une image fausse. Donc montrer des choses simples, des mamans qui font un bébé, des filles qui s’embrassent dans la rue, ça désamorce un peu, non ?

Lorsque vous présentez le sujet d’Oriane, dont les parents ont de grandes difficultés à accepter son homosexualité, vous parlez d’outing. N’est-il pas plutôt question de coming out ?

Si si je me suis trompée… ça n’est pas pareil.

On peut voir votre documentaire comme un film délivrant un message principalement sur la famille, que ce soit celle que Francine et sa compagne Karen sont en train de construire sans reconnaissance légale ou les rapports des lesbiennes avec leurs parents, ou vous-même qui pendant le documentaire quittez le domicile de vos parents pour gagner l’indépendance d’un toit à soi : est-ce le combat principal des lesbiennes aujourd’hui ?

C’est un combat qui a une grande importance. Le mariage, l’adoption par des couples homosexuels, tout cela est en discussion depuis pas mal d’années en France et rien ne bouge. Avoir des droits, c’est être reconnu. À partir de là, on est égaux, et ça c’est primordial, contre les discriminations, pour être libre.

Vous semblez souvent très émue par les histoires que vous avez découvertes en faisant ce film : quelle est celle qui vous a le plus touchée ?

Toutes ! Oriane est très drôle et courageuse. Elle m’a beaucoup touchée car à son âge j’étais loin d’être aussi détendue sur la question. Bien-sûr l’arrivée des jumelles a été un moment très particulier, hors du temps, qui m’a rappelée de belles choses.
Mais la séquence qui me donne des frissons est celle sur la lesbophobie. Là on est dans des histoires tristes, des actes incompréhensibles, du racisme à l’état pur. Et ça peut arriver à n’importe qui. C’est très choquant.

Est-ce que si Francine avait été un homme, elle aurait pu entrer dans un bloc opératoire pendant une césarienne ?

Je crois que ça dépend des hôpitaux et des médecins. J’ai un ami qui a assisté à la césarienne de sa copine. Dans certains endroits ça ne se fait pas. Alors quand on est la deuxième maman c’est encore plus délicat de le demander… Ce que je trouve vraiment difficile ça n’est pas le fait qu’on lui refuse l’accès au bloc, mais qu’elle n’ose même pas demander. Ça c’est violent.

A propos de Isabelle B. Price

Créatrice du site et Rédactrice en Chef. Née en Auvergne, elle s’est rapidement passionnée pour les séries télévisées. Dès l’enfance elle considérait déjà Bioman comme une série culte. Elle a ensuite regardé avec assiduité Alerte à Malibu et Les Dessous de Palm Beach avant l’arrivée de séries inoubliables telles X-Files, Urgences et Buffy contre les Vampires.

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