Adrienne Monnier et Sylvia Beach

Ce couple, central dans la vie intellectuelle et littéraire de la France et de Paris dans l’entre-deux-guerres, mais assez effacé jusqu’à la publication de l’ouvrage de Laure Murat, Passage de l’Odéon. Sylvia Beach, Adrienne Monnier et la vie littéraire à Paris dans l’entre-deux-guerres en 2003, permet d’explorer les vies de deux femmes qui représentent à merveille ce que l’historienne américaine disparue cette année, Eve Kosofsky Sedgwick, appelait le glass-closet, le « placard de verre », c’est-à-dire une homosexualité vécue dans l’open secret, un secret ni proclamé, ni tu.

Adrienne Monnier est Française. Elle est née en 1892 et a vécu jusqu’en 1955. Ce que l’on sait d’elle, on le sait grâce à sa correspondance et grâce à un ouvrage de mémoires qu’elle rédigea à la fin de sa vie, en 1953, sous le titre Souvenirs de Londres. Ses papiers sont conservés à la Bibliothèque Nationale de France et l’IMEC.

Sylvia Beach est Américaine. Elle est née dans le Maryland en 1887 et elle a vécu jusqu’en 1962. Elle écrivit en 1956 ses mémoires dans Shakespeare and Company et les archives de Princeton conservent ses papiers personnels.

Adrienne Monnier et Sylvia Beach

Toutes les deux forment un couple d’amantes, une paire d’intellectuelles ayant les mêmes projets et des partenaires associées dans l’aventure éditoriale et voisines. Elles ont vécu 35 ans ensemble de façon discrète mais non dissimulée, comme se devait de le faire un couple appartenant à la moyenne bourgeoisie parisienne dans l’entre-deux-guerres, très loin des excentricités et des drames du « Paris lesbien » de Natalie C. Barney et Renée Vivien.

Adrienne Monnier découvre son attirance pour les femmes un peu masculines à l’âge de 17 ans en 1909. Elle s’éprend alors de sa camarade Suzanne Bonnière, de deux ans son aînée. Cette année-là, elle quitte le foyer familial et obtient l’autorisation de suivre Suzanne à Londres pour apprendre l’anglais. Nous les retrouvons ensuite en 1915 à Paris où elles s’associent pour ouvrir la « Maison des Amis des Livres », une librairie et une bibliothèque de prêt installée au 7, passage de l’Odéon, en plein cœur du quartier Latin, le quartier étudiant de Paris et offrant un très grand nombre de livres modernes que l’on ne trouve pas ailleurs. L’association est professionnelle et sentimentale sans doute, complexe assurément. Adrienne Monnier semble se chercher encore sexuellement.  En 1917, Adrienne envisage de se marier à Jean Tournier, mais le projet ne dure pas. L’année suivante, en 1918, elle envoie des violettes à l’écrivaine Rachilde (à la réputation sulfureuse). Dans l’entre-deux-guerres, les violettes sont devenues les fleurs symboliques des lesbiennes à cause du culte que Renée Vivien leur rend et qu’elle associe à son amour pour les femmes et à Sappho.

Sylvia Beach est arrivée à Paris en 1901 avec sa famille. Elle est la fille d’un pasteur presbytérien et a de nombreux ascendants entrés en religion. Après avoir passé trois ans à Paris, elle retourne aux États-Unis un bref temps avant de repartir pour l’Europe. Pendant la Première Guerre Mondiale, elle s’engage à la Croix-Rouge. Les dernières années de la Guerre, elle s’installe définitivement à Paris. Elle se met à étudier la littérature française. Elle découvre ainsi en 1916 la « Maison des Amis des Livres » d’Adrienne Monnier. Il n’y a alors pas de coup de foudre, mais une fascination réciproque et immédiatement une amitié. Sylvia porte les cheveux courts, ce qui est assez rare pour les femmes pendant la Guerre. Adrienne décide de se couper les cheveux peu de temps après. C’est un geste osé pour une commerçante. Ce « sacrifice » en fait une curiosité qui l’apparente aux lesbiennes et à l’avant-garde intellectuelle. Il signe aussi la parenté entre les deux femmes. Pourtant, le début de leur relation amoureuse ne date que des années 1919-1923. À ce moment-là, Sylvia Beach s’est installée au 8, rue Dupuytren dans le quartier de l’Odéon et elle a fondé sa boutique, le Shakespeare and Company destiné à un public anglophone et français féru de nouveautés anglo-saxonnes.

Adrienne Monnier et Sylvia Beach

1919 est aussi la date où Suzanne Bonnière disparaît de l’horizon du futur « couple » en se mariant avec Gustave Tronche, administrateur de la NRF. En 1921, les deux femmes se rapprochent quand la boutique de Sylvia emménage au 12, passage de l’Odéon, juste en face de la boutique d’Adrienne. Ensemble les deux femmes s’engagent dans une aventure éditoriale féconde mais périlleuse : la traduction et la publication d’Ulysse par James Joyce, en 1922. Le livre fait scandale et menace les finances des deux femmes.

Adrienne Monnier et Sylvia Beach

Ensemble, les deux femmes vivent dans le même appartement au-dessus de « La Maison des Amis des Livres » d’Adrienne.

De leur vie commune, il ne reste que peu de traces : des témoignages de jeunes auteurs qui décrivent leur complicité, des photographies comme celle-ci qui montre James Joyce dans l’encoignure de l’entrée de la boutique de Sylvia et Adrienne, dos à la vitrine de sa boutique, regardant de l’autre côté de la rue.

Adrienne Monnier et Sylvia Beach

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