Alice Walker : Beauty in Truth : Interview de Pratibha Parmar

Pratibha Parmar

Interview accordée à Marcie Bianco le 21 Juin 2013 pour le site Afterellen.com

Walker a gagné le prix Pulitzer de fiction en 1983 avec La Couleur Pourpre. À la fois le livre et l’adaptation cinématographique ont recueilli de lourdes critiques de la part des hommes afro-américains, comme vous le pointez du doigt dans votre documentaire. L’un des sujets du livre, « La douleur exercée par les noirs sur les leurs », est un effet pernicieux du racisme. Trente ans plus tard, comment pensez-vous que cette douleur s’exerce ou se manifeste de nos jours ?

Beaucoup de gens ayant vu Beauty in Truth disent qu’ils n’avaient aucune idée du niveau de haine et de diffamation qu’a subit Alice Walker pour son livre mais surtout pour le film de Spielberg La Couleur Pourpre. J’ai fait un effort pour inclure des images d’archives montrant les protestations contre la première du film à Los Angeles, tout comme des émissions où le public, en particulier des hommes, s’en prenait à Alice. Sans aucun doute, trente ans après, même si la dynamique reste tendue autour de ces questions complexes, nous avons également vu du changement. Le livre de Sapphire, Push, foule le même territoire et a également été transformé en un film puissant par Lee Daniels : Precious. Il y a eu quelques voix agressives qui se sont fait entendre, en réalité une ou deux provenant des mêmes individus qui attaquèrent Alice Walker. Avec Precious cela a suscité un débat constructif. C’est un pas en avant.

Vous incluez beaucoup d’images – photographies et vidéos – de la brutalité de la police noire des États-Unis des années quarante à soixante, ce qui offre un contexte politique et social à la vie d’Alice. Elle décrit ce racisme et dit qu’elle confirme parler du racisme en tant que « terrorisme ». J’ai littéralement levé le poing en l’air lorsqu’elle a dit cela parce qu’elle vise en plein dans le mille, tout particulièrement étant donné le climat actuel autour du terrorisme. Pensez-vous que redéfinir le racisme en tant que terrorisme pourrait être productif ? On dirait que cette redéfinition est une façon de nous forcer à discuter des races dans notre Amérique a priori « post-races ».

Si on définit le terrorisme comme « l’utilisation de la violence et de l’intimidation dans des buts politiques » alors c’est absurde de parler de quelque chose de « post-race », surtout lorsque vous pensez au nombre disproportionné d’hommes et de femmes noirs incarcérés dans les prisons américaines et le niveau journalier de violence de la police envers les gens noirs ou de couleur. Cela ressemble fort à un véritable état de violence.

J’ai adoré lorsque Walker dit qu’elle n’est pas lesbienne ou bi ou hétéro : elle est « curieuse ». Pour moi, cela illustre la profonde différence entre la race et la sexualité, et entre le mouvement des droits civiques du milieu du vingtième siècle et le mouvement des droits des homosexuels d’aujourd’hui. Que pensez-vous de cette déclaration (sexuelle) ?

Je pense que cette déclaration est profondément et typiquement Alice ! J’aime ce que Jewelle Gomez dit dans le film, que parce que nos communautés gays sont le plus souvent cachées, nous sommes assoiffés, et ce n’est pas faute d’en demander, de supports de visibilité venant de grandes « célébrités », mais vous savez qu’elles doivent vivre leur propre vérité. Et c’est une chose pour laquelle Alice est exemplaire, elle vie sa propre vérité.

Votre documentaire se termine avec les expériences de Walker au Rwanda, Congo et en Palestine. L’intérêt pour la Palestine a fait beaucoup de bruit au sein de la communauté gay. Comment décrieriez-vous l’implication ou l’intérêt de Walker pour la Palestine ?

En ce moment Alice reçoit beaucoup d’attaques encore une fois pour sa vision de la Palestine et de l’Israël. Dans Beauty in Truth nous la montrons dans Gaza sur la Freedom Flotilla, qui a été arrêté avant d’aller à Gaza. Ce qui motive Alice c’est sa croyance qu’une des façons de changer le monde est d’être témoin de la souffrance des gens, où qu’ils soient. Son soutien aux palestiniens en a fait une icône controversée parce qu’encore une fois elle s’est mise en ligne de mire. Nous avons fait l’expérience de la retombée de cette controverse en étant rejetés encore et encore lorsque nous recherchions des fonds dans plusieurs fondations et même dans des fondations qui prétendent soutenir les femmes réalisatrices. Lorsque nous avons montré le film a une programmatrice de festival de films, elle nous a carrément averti et dit «préparez-vous à ne pas être sélectionnées par plusieurs festivals progressifs à cause de la vision d’Alice sur la Palestine », ce qui m’a choquée, mais après on a vu comment cela s’est passé. En Grande-Bretagne le climat est beaucoup plus ouvert pour parler du conflit entre la Palestine et l’Israël, mais cela nous a ouvert les yeux sur le fait qu’aux États-Unis, cela semble être un tabou pour tellement de gens, ce qui est vraiment dommage.

Vous avez passé plus de deux ans à travailler sur la production de Beauty in Truth. Que comptez-vous faire maintenant ?

En réalité, ce fut quatre très longues années. Longues parce que nous avons vraiment eu une période difficile pour trouver des fonds pour le film. Beaucoup de personnes sont choquées lorsque je leur dis ça, mais ce n’était vraiment pas facile. Je n’aurais pas pu faire ce film sans le talent incroyable du producteur Shaheen Haq, qui est un brillant architecte et maintenant un superbe producteur.

Concernant les futurs projets, il y a beaucoup de scénarii et d’idées que j’aimerais exploiter mais tout d’abord il faut je rembourse mes dettes. Ce n’est pas durable d’être uniquement une réalisatrice indépendante donc ma priorité pour l’instant est de devenir durable. J’ai hâte de pouvoir enseigner à mi-temps à la Stanford University pendant un semestre en automne et bien entendu de montrer le film aux États-Unis dans différentes universités, lycées et écoles et de le partager avec le public.

Interview Originale sur le site Afterellen.com

A propos de Isabelle B. Price

Créatrice du site et Rédactrice en Chef. Née en Auvergne, elle s’est rapidement passionnée pour les séries télévisées. Dès l’enfance elle considérait déjà Bioman comme une série culte. Elle a ensuite regardé avec assiduité Alerte à Malibu et Les Dessous de Palm Beach avant l’arrivée de séries inoubliables telles X-Files, Urgences et Buffy contre les Vampires.

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